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Il est de bon ton aujourd’hui de critiquer l’islam politique. Et, en effet, il y a assurément matière à discussions, controverses, polémiques, etc. Il y a deux manières de mobiliser cette thématique et de formuler de la critique sans concession.
La première consiste à prendre le sujet au sérieux, à respecter sa nature complexe, à mobiliser l’ensemble des savoirs utiles à sa maîtrise et, ensuite, à forger, pas à pas, la grille d’analyse qui pourra déboucher sur de la critique solide, fondée et pertinente.
La seconde méthode consiste à dénigrer le sujet et à rassembler des critiques faites de distorsions de la réalité, de tristes lambeaux d’argumentaires et de fragments de principes bancals ou rendus comme tel. Cette manière de critiquer l’islam politique est une impasse lourde de conséquences dans le contexte actuel de nos sociétés européennes. 
Pourtant, sachant que les deux démarches coexistent dans nos espaces européens, belges, dans la galaxie médiatique agitée en permanence par le besoin de la meilleure performance télévisuelle et de la course à l’audimat, c’est, à notre regret, la seconde méthode qui occupe le plus l’espace médiatique.
L'islam politique est souvent perçu, à juste titre, comme venant d'ailleurs. Les soucis débutent lorsqu’on constate que la thématique de "l'islam politique" est très souvent utilisée comme vecteur de décrédibilisassions d'acteurs de la société civile musulmane. Or ce qui caractérise les dynamiques émergentes de cette société civile, jeune mais autochtone, ce sont des dynamiques originales, innovantes, au travers desquelles les communautés musulmanes vivent des expériences qui les unissent irrémédiablement à l’Europe occidentale.
Dès lors, mobiliser, ad nauseam, la question « effrayante, menaçante » de l'islam politique en ignorant la nature des dynamiques intra-communautaires musulmanes belges révèle les fantasmes et les peurs que l’on nourrit à l’égard de ces communautés autochtones à défaut de révéler leurs identités complexes, foisonnantes, vivantes.
Comment cela est-il possible ? Nos sociétés occidentales, n’étant plus identique à ce qu’elles furent par le passé, sont en crise identitaire et en quête de figures aisément identifiables pour pouvoir se définir. En particulier, il s’agit de se définir en opposition à cet islam politique perçu comme étant indubitablement exogène à l'Occident, malfaisant et le meilleur candidat à la menace du mode de vie à l’occidentale.
Dès lors, on comprend que l'enjeu de l’islam politique dans nos sociétés - nous n’évoquerons pas le monde arabe parce qu’il ne nous intéresse pas ici, il en va de même la pathologie du terrorisme - participe moins de la réalité empirique du vécu musulman belge, européen et participe plus d'un jeu identitaire qui a beaucoup de succès chez les non-musulmans.
Le dommage collatéral est la prise systématique en otage d’innombrables musulmans qui ne se prononcent pas sur l'islam politique... Parce qu'ils n’en ont cure et qu’ils ont autre chose à faire de leur temps que de répondre à l’impératif de plus de justifications auquel on les soumet régulièrement. Cela est particulièrement le cas lorsque des médias se confrontent au tissu associatif musulman qu’ils méconnaissent largement et au sein duquel ils découvrent qu’il y a là un microcosme d’acteurs de tendances diverses. Ils y observent qu’il n’y a pas de rupture nette entre l’activisme citoyen et les convictions religieuses puisque ce sont des dimensions de l’individu qui se mêlent allègrement et singulièrement pour chaque personne à la fois croyante et citoyenne.
Pour quitter ce quiproquo – car il est indispensable de le quitter -, il devient essentiel de faire preuve de lucidité dans le chef des acteurs de notre société civile majoritairement non musulmane. Il devient essentiel de connaître, de maîtriser, dans le chef des médias, des politiques et d’autres leaders d'opinion, quelles sont les caractéristiques empiriques de la société civile musulmane belge qui, par ailleurs, ne cesse d’évoluer comme le reste de la société.
Le tissu associatif musulman est dense mais il est peu structuré. Le leadership communautaire est faible et/ou inefficace. Par contre, les projets sont innombrables et, de surcroit, il y a une transition, un passage de témoin d'une génération à l'autre qui est à l'œuvre actuellement. Cela signifie que nombre d'acteurs s'investissant aujourd'hui dans la société civile musulmane sont des interlocuteurs pertinents du dialogue puisqu'ils sont jeunes et qu'ils écoutent les besoins de leur société, raison pour laquelle ils s'investissent autant dans l'édification d'initiatives de promotion du vivre/faire ensemble.
Le marqueur "islam politique" est tout à fait limitant, voire aveuglant et biaisant, dans sa capacité à révéler intrinsèquement la nature des communautés musulmanes belges qui sont diverses. Les musulmans sont bien plus susceptibles de ne jamais pouvoir se coordonner autour d'un même projet politique, les motifs de désaccords étant incroyablement nombreux et aisés à mobiliser.
Dès lors, il est faux de supposer l'émergence d'un islam politique structurant les communautés musulmanes. N’oublions pas aussi qu’on reproche régulièrement à ces communautés musulmanes leur incapacité à se fédérer autour d'un projet d'islam de Belgique car personne au sein des communautés musulmanes (ni au-delà d’ailleurs) ne peut imposer à tous sa définition politique ou idéologique de l’islam belge.
Ajoutons également qu’il est pleinement contradictoire de parler d'islam politique, agissant en Belgique tel un appareil de contrôle social mettant en péril l'intégrité de l'autorité légitime de l'Etat belge, de l'Etat de droit à l'occidentale, puisque notre société occidentale évolue vers des mouvements sans chef... ce qui est exactement la situation présente des communautés musulmanes belges et européennes. 
Dès lors, rendons-nous compte que l’on ne peut projeter sur la société civile musulmane belge le fantasme de l’islam politique sans s’engouffrer durablement dans une impasse. Persévérer en ce sens reviendra à sacrifier au fur et à mesure tous les interlocuteurs émergents des communautés musulmanes au nom d’une déraison néfaste pour tous. Et cela pose plusieurs questions : Pourquoi sommes-nous devenus des analphabètes du fait religieux ? Et pour certains des analphabètes du vivre ensemble ? Ne participons-nous pas, à l’issu de notre plein gré, à des dynamiques d'hystérie collective ?
Ne serait-il pas finalement temps de réconcilier Occident et Islam sans prendre en otage qui que ce soit ? La thématique de l’islam politique dans son traitement majoritaire actuel ne le permet pas !
Pour conclure, relevons que face à l’islam politique, nombreux appellent de leurs vœux un Islam de Belgique ! Mais quel est-il? On ne peut en fournir une définition théologique, politique ou idéologique. Par contre, on peut proposer que l’Islam de Belgique soit toute l'aventure humaine, historique et culturelle de l'islam en Belgique. Au travers de cette définition, il y a deux catégories d'acteurs indispensables à l'Islam de Belgique : d'une part, tous les musulmans belges et, d'autre part, tous les non-musulmans belges. On a besoin de tenir compte de tout le monde pour élaborer notre devenir! Musulmans et non-musulmans, nous sommes ensemble amenés à devenir partenaires pour refonder les espérances en notre société et pour nous projeter dans une aventure civilisationnelle dont nous pourrions tous être fier. 
Ainsi, ne reprochons pas abusivement aux citoyens musulmans d'Occident de poursuivre leurs efforts à s'affirmer comme faisant partie de la solution. Bien au contraire, brisons les murs, transgressons les frontières de la peur car le premier rempart pour pouvoir Faire Ensemble consistera à affronter notre réticence à nous Faire mutuellement plus Confiance. Faire Confiance, c'est déjà Faire Ensemble!
Slachmuylder Karim (Empowering Belgian Muslims) - 15 February 2016