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Il ne se passe pas un jour sans qu’on évoque la laïcité. On ne cesse de la proclamer et on ne cesse de la combattre. On oppose la laïcité à l’islam. Nicolas Sarkozy, lors de sa présidence, a tenté de l’affaiblir. Le monde laïque lui-même est divisé quant à sa nature et à son avenir.

 

De quelle laïcité parle-t-on ? Il s’agit de la laïcité qui s’est imposée en France par la fameuse loi de 1905 de séparation de l’Eglise et de l’Etat et la laïcité « à la Belge » qui, n’étant pas proclamée, est pourtant bien réelle, sont toutes deux menacées de disparition.

 

Depuis le début du XXIe siècle, elles subissent une offensive cléricale et dogmatique sans précédent et en plus sont récupérées par des courants extrémistes – dits « populistes » - de plus en plus puissants qui osent s’en revendiquer, surtout par hostilité à l’égard du monde musulman.

L’offensive cléricale et dogmatique est d’une tout autre nature que celle qui opposa et oppose encore aujourd’hui, mais de manière moins virulente, l’Eglise catholique apostolique romaine au courant de la libre pensée qui se réclame de la laïcité. Un troisième larron est venu se joindre à cette ancienne joute : l’Islam qui monte en puissance aussi bien sur le plan géopolitique qu’à l’intérieur des pays dits laïques.

Ce combat de titans où se mêle le terrorisme sanguinaire à une remise en question des bases mêmes de la société laïque et démocratique transforme la laïcité en une forteresse assiégée. Et l’histoire nous a appris qu’aucune forteresse n’est invincible.

Depuis quelques décennies, la laïcité ne se définit plus comme un élément d’émancipation et de progrès mais comme une force opposée à une autre. Or, son histoire fut très riche, car elle amena progressivement la liberté de conscience comme pilier essentiel de notre société.

Nous souhaitons la laïcité pleine et entière.

Henri Bartholomeeusen, président du Centre d’action laïque belge (CAL) a rappelé l’apport fondamental de la laïcité dans l’histoire, dans son discours au Sénat de Belgique à l’occasion d’un colloque intitulé Constitution et régime des libertés qui débattait de l’inscription éventuelle de la laïcité dans la Charte fondamentale belge :

Henri Bartholomeeusen est le gardien des principes de base de la laïcité "à la Belge".

Henri Bartholomeeusen est le gardien des principes de base de la laïcité "à la Belge".

« Au sortir des guerres de religion, ce concept repose sur deux propositions: nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre; nul n’est tenu de n’en avoir aucune.

Il s’agit là d’un progrès considérable puisque le citoyen n’est plus tenu d’appartenir à la religion du roi. Il demeure que si vous êtes libre de choisir votre religion, c’est à la condition d’en avoir une. L’athée n’est donc pas toléré. Avec un homme sans foi, donc, sans loi, il n’est pas possible de construire du lien social.

En traversant le Channel, le concept va subir l’influence des Lumières et s’élargir à une troisième proposition. Il se déclinera dorénavant comme suit: nul n’est tenu d’avoir une religion plutôt qu’une autre; nul n’est tenu de n’en avoir aucune; nul n’est tenu d’en avoir une plutôt qu’aucune. »

Et il ajoute :

« Pour y accéder [à la laïcité], outre ce régime de liberté, il faudra ajouter une exigence, l’impartialité du prince. La tolérance ne suffit pas. La liberté ne suffit plus. Elle doit être garantie au citoyen. Elle exige son émancipation par le partage des savoirs et le libre examen. »

Ajoutons qu’il y a des conceptions différentes de la laïcité dans le monde laïque même. Le président du CAL affirme de son côté :

« … la laïcité, c’est le principe à la fois politique et humaniste qui fonde le régime des libertés et des droits humains sur l’impartialité d’un pouvoir civil démocratique qui s’oblige, quant à lui, à contribuer à l’émancipation des citoyens. La laïcité n’est donc pas plurielle dans sa définition. L’adjectiver revient à la dénaturer. Nous la voulons sans attribut, minimaliste, distincte de l’infinité des actions qu’elle peut fonder, mais nous la souhaitons pleine et entière. »

D’autres pensent différemment. Ainsi, Hervé Hasquin, ancien président de l’ULB, ancien ministre libéral et actuel secrétaire perpétuel de l’Académie royale de Belgique, qui dit être tombé dans la marmite laïque lorsqu’il était petit, affirme dans une interview à La Libre Belgique du 9 septembre consacrée au débat sur l’éventuelle inscription de la laïcité dans la Constitution :

Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Belgique, est partisan d'une laïcité plurielle.

Hervé Hasquin, secrétaire perpétuel de l'Académie royale de Belgique, est partisan d'une laïcité plurielle.

« La nôtre [laïcité] en Belgique, n’en déplaise à quelques têtes mitrées du courant laïque, est vraiment plurielle. Dès lors, à quoi servirait-il sur le plan juridique de la couler dans notre charte fondamentale ? »

On s’aime dans le microcosme laïque belge !

Hasquin ajoute :

« Le contexte conflictuel qui ne manquera pas de se renforcer pourrait surtout donner du grain à moudre aux islamophobes de toute espèce. Et se retourner contre les laïques car le risque est réel que le combat des démocrates contre les barbares ne soit perçu comme un combat chrétien contre l’islam. Et la laïcité pourrait être instrumentalisée par les extrémistes. Le conditionnel n’est plus de mise Outre-quiévrain : la radicalisation de certains laïques a ouvert une brèche dans laquelle s’est engouffrée la droite extrême et l’extrême droite de l’Hexagone qui ont récupéré la laïcité. »

En effet, l’islamophobie qui est considérée par certains laïques comme une invention de musulmans extrémistes se développe de plus en plus dans notre société où aussi bien suite au terrorisme qu’à cause de la crise économique et sociale où, comme toujours, on cherche un bouc émissaire. L’afflux mal maîtrisés par les autorités des pays européens de réfugiés d’Afrique et de Moyen-Orient n’arrange évidemment en rien les choses.

Où il est question d’islamophobie

Cependant, la laïcité ne doit pas se positionner en tant qu’ennemie de l’Islam qui est une réalité dont on doit tenir compte. Or, un des phares de la laïcité, une Elisabeth Badinter a dit le 6 janvier 2016 à France Inter :

« Il faut s'accrocher et il ne faut pas avoir peur de se faire traiterd'islamophobe, qui a été pendant pas mal d'années le stop absolu, l'interdiction de parler et presque la suspicion sur la laïcité. A partir du moment où les gens auront compris que c'est une arme contre la laïcité, peut-être qu'ils pourront laisser leur peur de côté pour dire les choses. »

Elisabeth Badinter a jeté un fameux pavé dans la mare à France Inter.

Elisabeth Badinter a jeté un fameux pavé dans la mare à France Inter.

Donc, la philosophe refuse de prendre l’islamophobie au sérieux. Elle considère même que l’accusation d’islamophobie discrédite la laïcité, sous-entendu que le concept « islamophobie » a été inventé pour cela !

Et elle ajoute :

« La laïcité, devenue synonyme d’islamophobie, a été abandonnée à Marine Le Pen. Cela, je ne le pardonne pas à la gauche. »

Mme Badinter a là en partie raison. Comme l’explique Hervé Hasquin, mais avec une autre analyse, l’extrême-droite s’est emparée de la laïcité comme d’une arme pour fustiger les musulmans. Mais, cela parce que les laïques n’ont pas combattu l’islamophobie.

Certains prétendent que le terme islamophobie a été inventé par les islamistes, dont le fameux Tariq Ramadan, pour empêcher toute critique de la religion islamique. D’autres disent qu’il s’agit d’une forme particulièrement perverse de racisme.

Alors, qu’entend-on eu juste par « islamophobie » ? Dans le journal en ligne Mediapart, du 15 septembre 2016, Guillaume Weill Raynal, ancien avocat au barreau de Paris, aujourd’hui essayiste, met les choses au point :

Guillaume Weill Raynal a le mérite d'être clair !

Guillaume Weill Raynal a le mérite d'être clair !

« Il ne s’agit bien évidemment pas de la Shoah, auquel cas le parallèle serait effectivement scandaleux. Mais le discours islamophobe qui gagne chaque jour un plus de terrain ressemble en tous points aux théories antisémites qui fleurissaient en France dans les années 30 : il repose sur une base largement fantasmatique à laquelle une construction savante donne les apparences de la vérité et de l’évidence. Il essentialise et stigmatise une population prise dans son ensemble. Enfin, il est soutenu et développé par des figures majeures du paysage intellectuel et politique. Au final, l’opinion finit par être persuadée de l’existence d’un « problème musulman » comme on avait réussi naguère à la convaincre de l’existence d’une « question juive ». »

Le fantasme de l’islamiste sanguinaire

En effet, il est de bon ton d’accuser les musulmans d’envahir l’Europe pour y imposer la loi coranique, la fameuse charia. M. Weill Raynal ajoute :

« Au Moyen-Orient, les fanatiques de Daech qui haïssent nos mœurs et notre liberté auraient, pour ce seul motif, lancé une vaste offensive dont les terroristes qui ont ensanglanté la France et la Belgique seraient le fer de lance et dont une large partie des musulmans, français ou résidents, seraient les avant-postes, soit par leur silence complice, soit - pire – par l’affichage de signes « ostensibles » contraires à l’ordre public car niant les valeurs de laïcité et d’égalité hommes-femmes. »

Ici, si le fantasme de l’islamiste sanguinaire envahisseur relève d’une obsession raciste similaire à celle de l’antisémitisme des années 1930 qui voyait le Juif comme le « fer de lance » de la dictature cosmopolite qu’il mettrait en œuvre avec les francs-maçons, il faut aussi dénoncer les graves dérives communautaristes se déroulant dans les « banlieues » et les « quartiers », dérives dont sont particulièrement victimes les femmes et où s’épanouit un microcosme wahhabite et où se forment, comme cela a été le cas à Molenbeek, les petits soldats du terrorisme « daechien ».

Mais généraliser ce phénomène à la totalité des musulmans vivant en Europe relève du racisme. Et c’est bien cela l’islamophobie. C’est ce que dénonce Weill Raynal :

« … rien ne permet d’affirmer qu’une population prise dans son ensemble (les précautions de langage qui prétendent ne viser que « certains musulmans » ne trompent personne), serait complice à quelque titre que ce soit des terroristes ou de Daech du seul fait qu'elle lit le Coran, mange halal, et porte sur la voie publique ou sur la plage une tenue vestimentaire dont chacun est libre par ailleurs d’estimer et de dire qu’elle est peut-être la manifestation d’une pudeur excessive ou d’une tradition archaïque. Il en faut plus pour contrevenir à l’ordre public. Oser affirmer que cette population représenterait un danger sur notre territoire, c'est effectivement revenir aux années 30. »

En outre, c’est donner de l’eau au moulin des islamistes qui, ainsi, exploitent les frustrations provoquées par ce rejet.

D’ailleurs, Guillaume Weill Raynal rappelle comment est pratiquée la fameuse loi de 1905.

« L’islam serait contraire à la laïcité ? La belle affaire ! C'est le cas des autres religions monothéistes qui, par essence, portent une vision du monde que l’athéisme républicain ignore et que les pouvoirs publics tolèrent – au sens de notre constitution - sans lui reconnaitre la moindre valeur normative sur le plan juridique.

La laïcité repose précisément sur le respect absolu de cette frontière infranchissable. C'est à ce titre que les rédacteurs de la loi de 1905 s’étaient vigoureusement opposés à l’interdiction du port en public de la soutane, estimant qu’il ne s’agissait pas, selon la loi républicaine, d’un vêtement religieux contraire à l’ordre public, mais d’un simple vêtement « comme les autres ». Chacun est libre de s’afficher dans la rue comme il le souhaite. »

La laïcité s’accommode mal d’interdits !

En clair, la loi d’interdiction du port du voile votée en France est donc contraire à la loi de 1905 qui est la clé de voûte de la laïcité française ! De même, les interdictions décrétées dans la plupart des écoles de Belgique – le législateur n’a pas eu le courage de trancher la question – sont sources de conflits inextricables.

La laïcité s’accommode mal d’interdits ! Parce que ce n’est pas sa nature, tout simplement ! Henri Bartholomeeusen le rappelle dans son discours :

« Parce que la laïcité est un principe politique et humaniste qui oblige les pouvoirs publics, parce qu’elle ne se limite pas à la séparation des Églises et de l’État, parce qu’elle diffère d’un régime de neutralité ou de tolérance à l’anglo-saxonne, parce que la laïcité se fonde sur les libertés indissociables des droits humains, sur l’égalité et la solidarité, la laïcité est le principe universel d’impartialité objective qui autorise le régime des libertés. »

Et c’est parce que certains laïques ont milité pour restreindre une liberté au nom de LA liberté, c’est-à-dire la liberté de se vêtir comme on l’entend, c’est une des principales raisons pour laquelle elle ne fonctionne plus. Là est le danger.

Un de mes amis, enseignant retraité, laïque convaincu, militant de la Ligue de l’enseignement, a eu une parole très juste il y a peu : « La laïcité doit toujours se positionner contre quelque-chose. »

Et c’est son point faible. Les militants de la laïcité ont toujours été minoritaires dans des pays comme la France ou la Belgique où l’Eglise catholique jusqu’il y a peu imposait son modèle culturel et éthique. Les luttes pour la dépénalisation de l’avortement, la légalisation de l’euthanasie, le mariage homosexuel ne sont toujours pas terminées. Et, en ce domaine, les catholiques ont reçu un renfort de taille avec les imams musulmans qui imposent une infériorisation de la femme et appellent au combat, parfois violent, contre l’homosexualité.

Mais, si ce principe fondamental de l’égalité hommes – femmes ne souffre aucune dérogation, la laïcité ne peut être un bloc monolithique qui impose à tous un seul modèle.

La laïcité peut devenir elle aussi totalitaire. Hervé Hasquin a raison de rappeler :

« la laïcité doit donc se rendre compte une fois pour toutes que l’assimilation et l’uniformisation sont des leurres. Il faut, au contraire, une laïcité accueillante aux problèmes culturels et religieux; l’important est de mettre en exergue un socle commun de droits. La laïcité politique et juridique ne doit pas devenir une conviction spirituelle de plus mais rester plurielle. Elle ne peut pas faire table rase du passé, des traditions et des cultures sous peine de devenir elle aussi totalitaire »

De son côté, le philosophe français Etienne Balibar précise dans une tribune à Libération du 30 août 2016 – en plein dans la rocambolesque affaire du burkini :

Le philosophe français Etienne Balibar distingue deux conceptions de la laïcité.

Le philosophe français Etienne Balibar distingue deux conceptions de la laïcité.

« Grâce à l’ordonnance du Conseil d’Etat [le Conseil d’Etat français avait abrogé les arrêtés d’interdiction du port du burkini dans certaines communes de la Côte d’Azur], on évitera de voir en France une police des mœurs, chargée non de forcer les femmes à porter le voile, mais de les forcer à l’ôter. L’exercice des libertés doit primer dans toute la mesure du possible sur les exigences de l’ordre public, qui par définition les restreignent. »

Balibar distingue deux conceptions de la laïcité – on retrouve ici le débat Bartholomeeusen Hasquin :

« La première inclut la laïcité comme une pièce essentielle du primat « normatif » de l’ordre public sur les activités et les opinions privées, la seconde pose l’autonomie de la société civile, dont relèvent les libertés de conscience et d’expression comme norme dont l’Etat doit se faire le serviteur et le garant. »

Et il voit le danger :

« Obsédée par la nécessité de faire barrage au « communautarisme », elle [la laïcité] en vient donc à construire (…) un communautarisme d’Etat. Mais il y a plus grave, surtout dans la conjoncture actuelle : le symétrique, ou le synonyme inversé, de l’assimilation, c’estl’acculturation. »

C’est ce que le philosophe appelle la « laïcité identitaire » qu’il met en parallèle avec l’offensive islamiste.

Ne pas rejouer les anciennes batailles à l’identique.

Enfin, Balibar dénonce :

« A l’évidence, le surgissement de ce monstre qu’est la laïcité identitaire n’est pas un phénomène isolable des multiples tendances à l’exacerbation des nationalismes et au « choc des civilisations » qui, en liaison avec d’extrêmes violences, se reproduisent dans le monde actuel. (…) Réagir est vital. Mais il faut comprendre ce qui se passe, retracer les « fronts » et ne pas rejouer les anciennes batailles à l’identique. »

La laïcité, si elle s’accommode mal d’interdits, doit s’accommoder de la diversité.

C’est en cela qu’elle doit être plurielle si elle veut maintenir et consolider ses piliers fondamentaux : la liberté de conscience, l’égalité hommes – femmes et la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Sinon, elle risque d’être totalitaire et de devenir un facteur de guerre.

Pierre Verhas - 20 septembre 2016