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Chaque fois que le prix Nobel de l’économie américain Joseph Stiglitz publie un bouquin, c’est un événement. Son dernier ouvrage « l’Euro comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe » n’échappe pas à la règle.

Enfin, dans l’ambiance de pensée unique qui règne au sein des institutions européennes et qui est imposée par les grands médias à l’opinion publique, voici une voie autorisée extérieure à l’Europe qui se prononce.

L’auteur commence fort. S’il est favorable à l’idée européenne comme union des peuples, il critique les méthodes utilisées dans ce but en se penchant particulièrement sur l’Euro.

Joseph E Stiglitz dresse un réquisitoire sévère et sans appel contre la conception de l'Euro.

Joseph E Stiglitz dresse un réquisitoire sévère et sans appel contre la conception de l'Euro.

« Si de nombreux facteurs contribuent aux souffrances de l’Europe, ils sont sous-tendus par une seule erreur : la création de la monnaie unique, l’euro – ou plus exactement, la création d’une monnaie unique sans mise en place d’un ensemble d’institutions qui permettraient à une région aussi diversifiée que l’Europe de fonctionner efficacement avec une monnaie unique. »

La zone euro était viciée à la naissance.

Et le constat de Stiglitz est sans appel :

« La zone euro était viciée dès sa naissance. »

L’économiste ajoute que la force de l’Europe, c’est sa diversité. Or, l’Euro est conçu de telle manière qu’il ne permet aucune différence économique ou politique au sein des différents Etats membres de l’Union européenne. Stiglitz reproche l’hypercentralisation de la Banque centrale européenne (BCE) et un manque de flexibilité dans la gestion de la politique budgétaire des Etats. On l’observe en effet quotidiennement avec le fameux Pacte de stabilité.

L’auteur n’en parle pas, mais ajoutons que lorsque les propagandistes de l’Europe parlent de l’euro comme étant la plus grande avancée fédéraliste européenne, ils confondent « fédéralisme » et « centralisme ». Or, le fédéralisme européen conçoit un Etat fédéral centralisé et unitaire.

Le fédéralisme, c’est l’unité dans la diversité. C’est d’ailleurs la devise de l’Union européenne. Dans un Etat fédéral comme les Etats-Unis, les Etats fédérés ont beaucoup d’autonomie et de compétences propres. L’Etat central représente 20 % du PIB américain et a surtout le pouvoir financier et la politique étrangère et celle de défense dans ses attributions.

On est loin du compte dans l’Union européenne que l’on compare souvent et à tort aux Etats-Unis. Le budget de l’UE représente à peine… 1% du PIB européen. Mais la structure de l’Union est très centralisée. Elle a une direction bicéphale : le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et la Commission européenne. En matière monétaire, la politique est déterminée par la BCE qui est un organe indépendant et privé, n’ayant de comptes à rendre à personne. L’Eurozone est dirigée par l’Eurogroupe qui est composé des ministres des finances des Etats membres de l’Union et la BCE. S’est ajouté à ce duo, en cas de crise, le FMI. La Troïka, elle, est composée de délégués de la Commission, de la BCE et du FMI.

Les traités (le Pacte de stabilité et le fameux TSCG, entre autres) qui régissent la monnaie unique sont très stricts et ne laissent aucune marge de manœuvre aux Etats-membres. C’est une des causes majeures de la crise économique et sociale que connaît l’Eurozone avec ses conséquences dramatiques pour la population.

Une monnaie idéologique

Revenons à Joseph Stiglitz. Il fait une deuxième observation : le concept de l’Euro est purement idéologique. C’est la confiance absolue à la force régulatrice du marché « sans comprendre ses limites. ». C’est la fameuse « main invisible » d’Adam Smith. L’auteur démontre que s’inspirer d’Adam Smith et de Ricardo est absurde : à la fin du XVIIIe siècle, l’économie était rurale et l’industrie était encore dans les limbes. D’autre part, Adam Smith, lui-même, était convaincu du rôle important de l’Etat dans l’économie.

Adam Smith, tout comme Karl Marx pour les gauchistes, a été mal lu par les ultralibéraux.

Adam Smith, tout comme Karl Marx pour les gauchistes, a été mal lu par les ultralibéraux.

Il dénonce le fondamentalisme du marché.

Donc l’Euro a deux tares :

« Une idéologie économique erronée, qui dominait à l’époque de la construction de l’euro, et l’absence de solidarité politique profonde. »

Rappelons que le traité de Maastricht interdit toute solidarité envers un Etat en difficulté. On voit ce que cela donne avec la Grèce, car c’est loin d’être terminé !

L’Euro qui devait amener à la convergence les différents pays par cette politique très stricte comme les fameux critères dits de convergence, tels les 3 % de déficits par rapport au PIB de chaque Etat-membre de l’eurozone, a conduit en réalité à la divergence !

Stiglitz rappelle l’exemple de l’Italie. Il y a toujours eu divergence entre le Nord de l’Italie et le Sud. Or, il n’y a ni frontière, ni réglementations, ni monnaies différentes entre les deux régions. Ce sont donc des causes économiques et sociales qui sont responsables de cette divergence au sein d’un même Etat.

En plus, une des conséquences des divergences existantes dans la zone euro est la fuite des capitaux. Alors que les concepteurs de la monnaie unique pensaient que les capitaux iraient des régions riches vers les pays pauvres, c’est l’inverse qui s’est passé : les capitaux ont fui le Sud pour se réfugier au Nord.

Il y a aussi la question de taux d’intérêt. La BCE fixe un taux d’intérêt unique, alors que les taux d’intérêt sont différents d’un pays à l’autre. Les économies pauvres et les pays les plus endettés devront payer des intérêts bien plus élevés que les pays riches et à relativement faible déficit.

En plus, cette conception politique de l’Euro a mené à l’échec, même pour l’Allemagne.

« L’Allemagne se présente comme un succès, un exemple à suivre pour les autres pays. Son économie a enregistré une croissance de 6,8 % depuis 2007, ce qui signifie que son taux de croissance moyen n’a été que de 0,8 % par an – chiffre qui, en temps normal, serait jugé proche de l’échec. »

L’auteur constate que c’est le travailleur qui paie la note : le salaire réel a stagné, voire baissé et l’écart entre les plus bas et les moyens revenus s’est creusé de 9 % dans cette période. De plus, la pauvreté et les inégalités se sont accrues considérablement.

Alors, finalement, l’Allemagne n’a connu un « succès » que par rapport à ses partenaires européens.

Les partisans de l’Euro répliquent qu’entre 2000 et 2008, année du déclenchement de la crise financière, la convergence a réussi. Donc, l’Euro était le bon choix ! Pour Stiglitz, si, effectivement, la crise financière a entravé l’Euro, il « n’était pas l’innocente victime d’une crise créée ailleurs. »

Les marchés comme les responsables politiques n’ont pas compris qu’en éliminant le risque des échanges, on n’éliminait pas automatiquement le risque souverain. Au contraire, d’après l’auteur, si on avait permis une certaine souplesse de change, des dettes auraient disparu. « Ils n’ont pas compris que la façon dont on avait créé l’euro avait en fait accru le risque souverain. »

Rappelons que ce n’est guère étonnant. L’euro a été créé par François Mitterrand qui était malade et qui voulait absolument apporter sa marque à la construction européenne et Helmut Kohl obnubilé par la réunification allemande et qui n’eut guère de difficulté à imposer l’ordolibéralisme allemand. Comment ces hommes pouvaient-ils prévoir les risques qu’ils faisaient prendre à l’économie et aux peuples européens dans cette ambiance à la fois d’euphorie et de fin de règne ?

Helmut Kohl a imposé la conception ordolibérale de l'Euro à François Mitterrand.

Helmut Kohl a imposé la conception ordolibérale de l'Euro à François Mitterrand.

La démocratie bafouée

Un autre aspect et non des moindres est dénoncé par l’économiste américain. C’est l’absence totale de légitimité démocratique pour un projet aussi fondamental. Certes, il y a eu le référendum français sur le traité de Maastricht où le « oui » l’a emporté avec une très faible marge. Et encore, le débat portait sur la question du fédéralisme face à l’Europe des nations et non sur la monnaie unique. Le Danemark a dit non et ne fait dès lors pas partie de l’Eurozone. La plupart des autres pays ont fait ratifier le traité par la voie parlementaire. Cependant, on ne peut appeler cela un processus démocratique.

« Ce souci de la légitimité populaire était incompatible avec la politique de la zone Euro qui n’avait jamais été un projet très démocratique. » écrit Stiglitz. En effet, la plupart des Etats-membres n’ont pas sollicité l’avis des peuples. En plus, la BCE est dégagée de toute responsabilité politique. Et on se souvient lors de la crise grecque que le Premier ministre Papandréou n’a pu faire un référendum pour demander au peuple grec s’il approuvait les mesures drastiques imposées par l’Union européenne et la fameuse Troïka. Par après, en juillet 2015, « le gouvernement de Syriza voulait garantir une légitimité démocratique à son acceptation d’un programme si contraire à ce que tant de gens en Grèce avaient demandé, si contraire au résultat des élections de janvier 2015. »

Alexis Tsipras a été écrasé par Angela Merkel au Sommet européen des 12-13 juillet 2015.

Alexis Tsipras a été écrasé par Angela Merkel au Sommet européen des 12-13 juillet 2015.

On se rappelle ce qu’il est advenu lors du Sommet des 12-13 juillet 2015, les « Européens » écrasèrent littéralement Tsipras avec un « accord » qui ressemblait plus à un diktat. Ce n’était pas Munich, comme on l’a dit, c’était Versailles ! De cela est sorti un troisième « mémorandum » bien plus sévère que les deux précédents contre lesquels Tsipras et ses amis ont été élus !

Oui, les élites méprisent la démocratie et aussi le peuple. Dans le « Monde diplomatique » de septembre 2016, Anne-Cécile Robert écrit :

« Par un retournement spectaculaire, dans nos démocraties modernes, ce ne sont plus les électeurs qui choisissent et orientent les élus, ce sont les dirigeants qui jugent les citoyens. C’est ainsi que les Britanniques, comme les Français en 2002 (échec de M. Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle) et en 2005 (« non » au référendum sur le traité constitutionnel européen), ont subi une psychanalyse sauvage à la suite du « Brexit » du 23 juin 2016. On peut avancer, sans craindre de se tromper, qu’une telle opération — réalisée presque entièrement à charge avec orchestration médiatique — n’aurait pas été effectuée si le scrutin avait conclu au maintien du Royaume-Uni dans l’Union européenne. Le principe d’une consultation populaire sur « un sujet aussi important » n’aurait pas davantage été questionné.

On le sait : un principe à géométrie variable n’est pas un principe, c’est un préjugé. Celui-ci peut être analysé de deux manières : mépris de classe ou haine de la démocratie. Le premier sentiment dégouline assurément de la bouche du toujours subtil Alain Minc : « Ce référendum n’est pas la victoire des peuples sur les élites, mais des gens peu formés sur les gens éduqués. » À aucun moment l’idée n’effleure la classe dirigeante que les citoyens rejettent les traités européens non pas parce qu’ils seraient mal informés, mais parce qu’au contraire ils tirent des leçons tout à fait logiques d’une expérience décevante de près de soixante ans. »

« Le coupable c’est la victime ! »

Stiglitz observe à propos de la Grèce.

« Les effets négatifs de cette structure de la zone euro qui mène presqu’inévitablement à la divergence ont été aggravés par les politiques que cette zone a choisi de suivre, notamment dans ses réactions à la crise de l’euro. Même en respectant les contraintes de la zone euro, on aurait pu mettre en œuvre d’autres politiques que celles-là. On ne l’a pas fait et ce n’est pas une surprise. »

« Le coupable c’est la victime ! » écrit-il. Oui, la Grèce dirigée par une oligarchie a commis de graves erreurs, mais l’on s’en est aperçu trop tard – ou plutôt, on n’a pas voulu s’en apercevoir, puis que les problèmes existaient déjà lorsqu’on a admis la Grèce dans la zone euro. Ensuite, accuser la Grèce d’avoir à elle seule provoqué la crise de la zone euro est absurde, puisque d’autres pays connaissaient des problèmes similaires à la Grèce. Et aujourd’hui, d’autres pays comme la très « stricte » Finlande et la France connaissent les mêmes difficultés. Rappelez-vous Varoufakis qui estimait que les Français avaient une peur panique de tomber sous la coupe de la Troïka, ce que souhaiterait le distingué M. Schaüble. Et les difficultés budgétaires et économiques de la Belgique pourraient également amener les charmants fonctionnaires de la même Troïka à rendre visite au Plat pays.

Enfin, le titulaire du Prix Nobel conclut en l’occurrence :

« Si la théorie de l’Allemagne était juste et si les causes des crises étaient bien les déficits et les dettes – ce qui implique que la meilleure politique de prévention des crises est d’imposer des contraintes rigoureuses sur les déficits et les dettes -, l’Espagne et l’Irlande n’auraient jamais dû avoir de problèmes. (…) C’est la gravité de la crise et sa durée qui ont provoqué les déficits et les dettes et non l’inverse. »

En clair, cela fait des années qu’en imposant cette absurde politique d’austérité, on nous trompe.

Ce que ne dit pas Stiglitz ; ce n’est pas uniquement un blocage idéologique, c’est aussi la pression des banques et des entreprises transnationales qui tirent tous les avantages de cette politique d’austérité et de l’affaiblissement de la puissance publique.

Mais, ces politiques n’ont pas donné le résultat escompté. L’auteur écrit :

« A l’heure où ce livre va sous presse, un seul des pays en crise (l’Irlande) est revenu à ses niveaux de PIB d’avant crise. Les prévisions de la Troïka ont toujours été démenties par les faits, et de très loin. Elle avait prédit que la croissance reviendrait vite dans les pays en crise. La gravité et la durée des récessions ont été infiniment supérieures à ce que ses modèles avaient anticipés. »

Une solution est-elle possible ?

Y a-t-il une solution ? Pareille situation, si elle persiste, mènera l’Union européenne à la catastrophe, sans compter d’autres menaces comme l’attitude des pays d’Europe centrale à l’égard des réfugiés et bien entendu les suites du Brexit.

Selon Stiglitz, il y a des solutions. Ces solutions doivent user à la fois de souplesse et amener de la convergence. Ainsi, concernant la fuite des capitaux et les taux d’intérêts divergents, l’auteur propose de créer une garantie commune des dépôts bancaires, avec réglementation commune et résolution des défaillances bancaires commune à toute la zone. Enfin, établir au niveau du marché unique une réglementation commune et moins laxiste pour les sociétés financières et le capital financier.

En ce qui concerne l’Euro, Stiglitz ne veut pas revenir en arrière, aux monnaies nationales, ce qui serait absurde. Il préconise entre autres un mécanisme de flexibilité de la monnaie unique permettant de rétablir un certain niveau de différences de change entre les pays de la zone Euro. Cela permettrait aux pays en difficulté d’avoir un bol d’oxygène pour se redresser au lieu de leur imposer des critères inapplicables et destructeurs.

Pierre Moscovici, le Commissaire européen français aux affires économiques et financières a tout fait pour saboter la réforme des banques et la taxte sur les transactions financières.

Pierre Moscovici, le Commissaire européen français aux affires économiques et financières a tout fait pour saboter la réforme des banques et la taxte sur les transactions financières.

Joseph Stiglitz se rend parfaitement compte de la difficulté de la mise en œuvre de ses solutions. On le sait. Prenons un exemple qui est paru récemment dans la presse : le Commissaire européen au Affaires économiques et financières, le Français (socialiste…) Pierre Moscovici a tout fait pour saboter la réglementation sur la séparation des activités de détail des activités financières des banques et empêcher l’instauration d’une taxe sur les transactions financières, alors qu’il y avait un accord politique sur ces deux points.

Tant que l’Union européenne sera dirigée par des personnages compromis dans les affaires fiscales, ayant d’étroites relations avec la haute finance et les grandes entreprises transnationales – les exemples sont légion, ces temps-ci -, on ne doit s’attendre à aucune réforme sérieuse.

C’est de la base que viendra la lumière. Ce seront les peuples qui devront se lever pour imposer le changement. C’est une question de survie. L’avertissement lancé par le Prix Nobel de l’économie, Joseph Stiglitz est sérieux. À nous d’en faire bon usage.

Pierre Verhas - 2 octobre 2016

Joseph E. Stiglitz
Prix Nobel d’économie
L’Euro comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe
.Ed. Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016
ISBN 979-10-209-0406-5
Prix 25 € TTC