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L'Europe se disloque. En adoptant le dernier volet de l'interminable Brexit, les dirigeants de l'Union européenne ont donné le signal de son démantèlement à moyen terme. Déjà, les pays d'Europe centrale se rassemblent hors des institutions européennes. Le groupe de Visegrad constitué de la Pologne, de la Tchéquie, de la Slovaquie et de la Hongrie qui était en sommeil, s'est réveillé en mars 2017 suite à la crise migratoire. Ce groupe d'Etats refuse l'accord de Dublin et les quotas de migrants imposés par la Commission européenne. L'Autriche et l'Italie prennent leurs distances avec l'UE également pour les questions migratoires, mais aussi pour des raisons économiques. Le fameux couple franco-allemand n'est plus qu'un souvenir. Bref, le délitement s'accentue. Et ce n'est pas réjouissant !

 

Cette crise est avant tout une crise des valeurs. Au moment où l'on commémore le septantième anniversaire de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, les valeurs qu'elle proclame sont remises en cause, notamment par la question des migrants, mais aussi par la poussée communautariste et également par le durcissement des politiques répressives à l'égard des mouvements de contestations économiques et sociaux ainsi que le renforcement de l'exécutif au détriment des deux autres pouvoirs.

 

 

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Eleanor Roosevelt tenant la version espagnole de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

 

Un autre aspect de cette crise de l'Union européenne est tout simplement son existence dans le monde. On se souvient de la célèbre parole du secrétaire d'Etat de Nixon et puis de Ford, Henri Kissinger : « L'Europe, quel numéro de téléphone ? » On pourrait dire aujourd'hui : « L'Europe, quelle adresse courriel ? », car elle est quasi inexistante en matière de haute technologie. Elle ne fait pas le poids devant les GAFAM (Google, Appel, Facebook, Amazon et Microsoft), ces gigantesques entreprises qui pèsent bien plus que des Etats.

 

Et cela ne date pas d'hier. L'Obs de la semaine du 22 novembre a publié des extraits des conversations qui eurent lieu entre janvier 1993 et décembre 1999 entre le président russe Boris Eltsine et le président US William Clinton.

 

À la fin de son mandat en 1999, Eltsine qui sait que Poutine va lui succéder, demande à Clinton que la Russie remplace les Etats-Unis pour protéger l'Europe ! Pourquoi ? Parce que la Russie est « à moitié européenne » ... Aussi ahurissante que soit cette proposition, elle prouve une chose : dans l'esprit des deux chefs d'Etat, l'Europe n'existe pas. C'est une entité territoriale abstraite dont il faut s'assurer le contrôle.

 

 

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William Clinton ne fit aucune concession à Boris Eltsine sur l'expansion de l'OTAN.

 

D'ailleurs, leurs discussions ont toujours porté sur le « théâtre » européen. Ainsi, en 1995, au Kremlin, Eltsine s'inquiète de l'élargissement de l'OTAN en Europe : « ... si vous le faites, je n'y verrai qu'une humiliation de la Russie. Comment crois-tu que nous prenions cela alors que le Pacte de Varsovie a été aboli ? Ce serait une nouvelle forme d'encerclement si un bloc militaire, survivance de la guerre froide, s'étendait jusqu'à la frontière de la Russie. »

 

En réalité, Eltsine ne voulait pas que l'on reconstitue les blocs. Il faut reconnaître que ses craintes étaient justifiées puisque les troupes de l'OTAN manœuvrent aujourd'hui en Estonie à proximité de la frontière russe. Clinton eut beau répondre que « la Russie ne représente pas une menace pour les pays de l'OTAN », le président russe de l'époque n'est pas rassuré d'autant plus que l'Américain veut accroître la présence de l'OTAN en Europe en l'ouvrant à d'autres pays – sous-entendu les pays d'Europe centrale. Et Clinton propose un marché : l'élargissement de l'OTAN contre une place pour la Russie au G7.

 

Eltsine supplie Clinton de retarder cette expansion invoquant les prochaines élections en Russie et aux USA. Clinton reste intraitable.

 

Malgré cela, lors d'une entrevue suivante, Eltsine demande à Clinton de s'engager à ne pas étendre l'OTAN aux anciennes républiques soviétiques comme l'Ukraine. Là aussi, le président US reste intraitable.

 

Résultats : l'Ukraine tout en n'entrant pas dans l'OTAN fut prête à signer un accord de libre-échange avec l'Union européenne qui aurait eu de sérieuses conséquences économiques en Russie, notamment dans le cadre de l'exportation du gaz naturel russe. Cela déclencha le conflit que l'on sait. L'Ukraine est dirigée par un président milliardaire qu'on pourrait comparer à l'Américain Trump et les nazis y font la loi.

 

On sait ce qu'il en est aujourd'hui : la Russie a été exclue du G7 suite à la crise en Crimée et l'OTAN est à la frontière russe. De nouvelles escarmouches ont eu lieu entre la Russie et l'Ukraine sur la Mer d'Azov. La tension est donc à son comble.

 

Les dirigeants de l'Organisation militaire de l'Alliance atlantique ne cessent de proclamer que la Russie représente un danger pour l'Europe alors que jamais – même à l'époque communiste – ce pays n'a exprimé la moindre velléité agressive à l'égard de l'Europe occidentale. Cela n'a pas empêché le chef de l'armée britannique a mis en garde samedi 24 novembre le Royaume-Uni contre la menace posée par la Russie, « bien plus grande » que celles posées par certains groupes djihadistes comme l'État islamique.

 

« La Russie aujourd'hui représente indiscutablement une menace bien plus grande pour notre sécurité nationale que les menaces extrémistes islamistes que représentent Al-Qaïda et le groupe État islamique », a déclaré le général Mark Cerleton-Smith, chef de l'état-major interarmes, dans un entretien au quotidien The Telegraph.

 

 

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Mark Cerleton Smith, chef d'Etat-major de l'armée britannique : un atlantiste convaincu.

 

Cette déclaration intervient après une visite en Estonie, où des troupes britanniques sont déployées dans le cadre d'un programme de l'Otan, à quelques 150 kilomètres de la frontière russe.

 

« La Russie a montré qu'elle était prête à utiliser la force militaire pour défendre et développer ses propres intérêts nationaux", a-t-il ajouté. "Les Russes cherchent à exploiter la vulnérabilité et la faiblesse partout où ils la détectent ». Dans sa déclaration, le chef d'état-major britannique visait en fait l'idée d'une armée européenne voulue par le président français Macron.

 

Il a déclaré qu'il « ne soutiendrait aucune initiative qui diluerait l'efficacité de l'Otan » Et il a ajouté que « L'Otan représente le centre de gravité de la sécurité européenne ». Il est donc clair que le Brexit a renforcé l'atlantisme de la Grande Bretagne.

 

En lançant une proposition qui ne manque pas d'intérêt, mais qui vient beaucoup trop tôt, le président français n'a fait que jeter de l'eau au moulin de ceux qui veulent à tout prix une vassalisation de l'Europe aux Etats-Unis d'Amérique.

Résultat : les blocs que Eltsine ne voulait pas revoir sont bien reconstitués aujourd'hui avec tous les risques de graves tensions que cela comporte, le renforcement du complexe militaro-industriel US – l'affaire de l'achat des F35 par la Belgique en est une preuve – et malgré tout un risque de guerre.

 

Beau gâchis !

 

Pierre Verhas

 

Source: http://uranopole.over-blog.com/2018/11/europe-quelle-adresse-courriel.html