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Au moment où les négociateurs politiques essaient de boucler le budget 2012, les ONG d’environnement proposent, dans une carte blanche parue dans « Le Soir » du 10 novembre, de récupérer entre 3 et 4 milliards d’euros en supprimant progressivement le régime de faveur accordé aux véhicules de société, environnementalement, socialement et fiscalement inacceptable.

La question du déficit budgétaire se pose aujourd’hui avec une acuité toute particulière. Il y a des milliards d’euros à « trouver » et, dans ce contexte difficile, les décideurs politiques affichent des audaces rares, se proclament sans tabous, paraissent prêts à tout oser… ou presque. Il subsiste en effet quelques vaches sacrées intouchables au premier rang desquelles trônent les voitures de société.

L’appellation « voiture de société » peut prêter à confusion ; en fonction des sources, cette notion recouvre en effet des ensembles de véhicules différents et plus ou moins importants. Nous nous référons ici à la définition proposée dans l’étude COCA [1], qui fait référence en la matière : une voiture de société - ou « voiture-salaire » - est un véhicule dont l’employeur supporte le coût initial et qu’il met à disposition de l’employé pour ses déplacements personnels, professionnels et/ou privés. L’employé peut en faire usage sans demander l’autorisation de son employeur.

Le nombre de voitures de société s’avère particulièrement élevé en Belgique, une spécificité qui s’explique par deux éléments complémentaires. La fiscalité sur le travail est réputée anormalement élevée dans notre pays et la voiture-salaire y fait partie des dispositions fiscales qui ont pour objectif et pour effet plus ou moins explicites « d’alléger l’ardoise » des entreprises ou, pour l’exprimer autrement, de diminuer leur contribution au bien public. A titre d’exemple, un employeur qui souhaite garantir un salaire net de 2 280 euros [2] à son employé devra débourser 5 400 euros. Mais si cet employeur remplace une partie de ce salaire par une voiture de société (avantage en nature), il peut garantir à son employé un revenu équivalent à 2 280 euros en ne déboursant qu’environ 4 550 euros (ceci abstraction faite des aspects relatifs à la récupération de la TVA). Win-win, diront certains. C’est loin d’être aussi simple.

Le système des voitures de société se révèle ainsi fondamentalement inégalitaire, tant pour les employeurs que pour les employés. 64% des véhicules sont détenus par les entreprises de plus de 500 personnes contre 24% pour celles de moins de 10 personnes alors que cette dernière catégorie représente 96% des entreprises en Belgique [3]. Par ailleurs, les bénéficiaires en sont à 38% des femmes et à 62% des hommes. 1% des ménages quintile 1 (tranche de revenus les plus faibles) disposent d’une voiture de société contre 24% des ménages quintile 5 (tranche de revenus les élevés) [4].

Comme le relevait le Conseil supérieur des Finances en 2009, « sur le plan économique, octroyer un régime fiscal favorable à un avantage extra-salarial concentré dans le haut de la distribution des revenus n’est ni efficace ni équitable ». De là, il découle que « il faut aller progressivement vers la suppression du régime fiscal particulier des voitures de société et aligner la taxation de l’avantage de toute nature sur celle des salaires, tant dans le chef de l’employeur que dans le chef du salarié. » [5] Selon les diverses estimations, cette réforme rapporterait à l’État entre 3 et 4 milliards d’euros !

Le régime de faveur accordé aux véhicules de société est d’autant moins défendable qu’il constitue une aberration du point de vue environnemental. Certes, ces véhicules intègrent les dernières technologies et exigences en matière de pollution mais ils sont généralement choisis parmi des modèles moyen ou haut de gamme, plus lourds, plus puissants et plus gourmands. Si bien qu’au final, contrairement à ce que prétend le discours des constructeurs, ils émettent plus de CO2 que les véhicules privés ! Pour l’année 2010, les émissions moyennes des voitures neuves étaient ainsi égales à 146,8 gCO2/km pour les voitures de société contre 129,7 pour les voitures de particuliers [6].

Par ailleurs, en confirmant l’équation « voiture = réussite sociale » (le « standing » et la taille du véhicule dépendent non pas des besoins réels mais de la fonction occupée par le salarié), ce système contribue à renforcer l’image positive de la voiture et donc sa prédominance dans nos comportements de mobilité. C’est peut-être son aspect tout à la fois le moins débattu et le plus impactant.

Les ONG d’environnement proposent une combinaison de mesures visant à modifier progressivement le système. Ces mesures portent tant sur les dispositions fiscales relatives à l’employeur que sur celles applicables à l’employé. Elles conduiraient à la réduction progressive puis, in fine, à la suppression de l’actuel manque à gagner pour les finances publiques. Certes, le statut d’« avantage fiscal acquis » de la voiture de société rend la révision du système politiquement délicate. Mais en ce temps de disette budgétaire, l’heure semble venue de s’attaquer de front à une situation environnementalement, socialement et fiscalement inacceptable.

Signataires

Christophe Schoune, Secrétaire général d’Inter-Environnement Wallonie.
Michel Genet, Directeur général de Greenpeace Belgique.
Mathieu Sonck, Secrétaire général d’Inter-Environnement Bruxelles.
Lieze Clots, Directrice politique du Bond Beter Leefmilieu.
Ann Descheemaeker, Directrice du Brusselse Raad voor het Leefmilieu.

Notes

[1] COCA (company cars analysis), Cornelis et al., 2007.

[2] Avec un taux moyen de précompte professionnel de 36%.

[3] Corporate Vehicle Observatory, dossier de presse 02/06/2010, ARVAL, BNP Paribas Group.

[4] COCA.

[5] Conseil supérieur des Finances, Section « Fiscalité et parafiscalité », La politique fiscale et l’environnement, septembre 2009.

[6] Statistiques FEBIAC.

Publié le jeudi 10 novembre, par Inter Environnement Bruxelles.