Dans le portrait qu’elle faisait de Sophie Wilmès le samedi 21 mars dernier, la Libre Belgique nous apprenait que « de nombreuses photos de famille [ornait] son bureau… aux côtés de la maquette d’un F-35, le chasseur ultramoderne et potentiellement doté du feu nucléaire acquis par la Belgique il y a deux ans ».
A ce moment, le gouvernement Michel a conclu l’achat de 34 avions chasseurs-bombardiers pour une somme dépassant les 4 milliards d’euros. Sophie Wilmès était ministre du budget. C’est elle qui avait la charge du suivi de la trajectoire budgétaire extrêmement austère imposée par le gouvernement, dont l’épargne de 3,8 milliards d’euros sur les soins de santé sur l’ensemble de la législature. Une austérité qui n’a pas concerné les dépenses militaires vu les 9,3 milliards d’investissement que le gouvernement a contracté ces mêmes années. Evidemment, ce n’est pas une maquette d’ambulance qui trône sur le bureau de Sophie Wilmès.
Pourtant, chacun peut désormais le ressentir, se le certifier : engager autant d’argent public dans du matériel de guerre est une aberration quand on voit le peu de cas que ce gouvernement a prêté au secteur des soins de santé et, plus largement, à l’ensemble des services publics. Acheter 34 avions chasseurs-bombardiers à capacité nucléaire n’est pas une priorité, loin de là. L’avoir fixé comme telle lors de la précédente législature est d’une profonde violence. Chacun l’expérimente aujourd’hui, sans même nécessairement devoir se rappeler qu’1 personne sur 5 en Belgique continue de vivre en-dessous du seuil de pauvreté, que la justice est exsangue, que nous assistons à la plus grande extinction massive de la biodiversité, que les effets du réchauffement climatique vont devenir catastrophiques si l’on ne prend pas de mesures radicales, que…
Si vraiment elle trouve cela joli sur un bureau de première Ministre, madame Wilmès peut évidemment garder sa maquette de F-35. Chacun ses gouts après tout. Mais il n’est plus question de voir arriver ces joujoux grandeur nature chez nous. Chacune et chacun devrait partager cette évidence. Pourtant, plusieurs interventions médiatiques récentes rappellent que le contrat pour les 34 avions F-35 doit être maintenu parce qu’il est « important pour l’économie belge ». Or, d’après une enquête parue au début de ce mois dans le magazine Jane’s, les compensations pour la Belgique s’élèvent pour le moment à 21 millions d’euros. Oui, 21 millions d’euros ! Des clopinettes.
Et même si le [prochain] gouvernement nous promettait de futurs monts et merveilles économiques, les compensations resteront bien moindres que si cet argent, notre argent, était investi directement dans des politiques publiques réellement utiles. Particulièrement quand nous nous apprêtons à affronter « la pire crise économique depuis 1929 ». Avec 4 milliards d’euros récupérés, on peut alléger la charge de la population. En renonçant à 7 de ces avions, on peut combler le déficit de la sécurité sociale. Et si l’on veut rêver, renoncer à un seul de ces 34 avions de combat permettrait de dégager de l’argent pour construire 1 hôpital, ou 47 écoles primaires, ou 1314 logements sociaux. Cela permettrait d’installer 75 éoliennes, de subventionner 3750 emplois, ou encore de prendre en charge 11.600 demandeurs d’asile pendant un an.
Nous tentons actuellement d’avoir des réponses quant à la somme que le gouvernement s’est malheureusement empressé de donner au constructeur des F-35 pour bétonner le contrat (d’après nos calculs, nous nous approchons des 200 millions d’euros déjà déboursés). Une faute qu’on peut ajouter à l’erreur politique. Nous essayons également de connaître les clauses de ce contrat pour voir dans quelle mesure il est possible d’être remboursés. Probablement – et même si le plus important de la somme serait de tout façon épargné par une rupture de contrat – que des motifs légaux liés à l’état de nécessité, au changement fondamental de circonstances et à un cas de force majeure pourraient être invoqués pour dépasser les obstacles.
Du coup, comment le gouvernement a pu décider une telle dépense ?
Pour que la Belgique reste « un partenaire fiable de l’OTAN et continue d’assumer ses responsabilités ». Purement et simplement. Elle est là, la justification politique de cette dépense somptuaire. Une justification grotesque quand on voit les responsabilités internationales que notre gouvernement fuit constamment. Une justification absurde quand on voit ce que la Belgique et l’OTAN font de ces avions. Ainsi, être un partenaire fiable de l’OTAN est donc plus important que renflouer la sécurité sociale ou la justice, plus important que lutter contre la pauvreté ou contre le réchauffement climatique.
Or, qu’a fait la Belgique, ce partenaire fiable de l’OTAN, avec ses avions F-16 ? Elle s’entraîne à transporter et larguer les bombes nucléaires, elle nargue la Russie à nos frontières afin d’attiser les animosités, elle a bombardé l’Afghanistan, la Libye, la Syrie ou l’Irak. Tous des pays qui sont désormais à genoux, gangrénés par la violence et la guerre.
Il suffit de prendre un peu de hauteur pour constater l’inutilité d’user d’avions de combat pour travailler à un monde plus stable. Et on constate aujourd’hui, en plus, que notre sécurité ne se trouve pas là. Travailler à la sécurité, c’est travailler à des conditions d’existence dignes pour chacune et chacun. Renoncer aux dépenses militaires permettrait d’entamer un peu plus le chemin pour y parvenir.
#pasdavionsdechasse - 17.4.2020