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 Les élections législatives portugaises du 30 janvier 2022

LE PARTI SOCIALISTE (avec 41,6%) DECROCHE LA MAJORITÉ ABSOLUE A l'ASSEMBLEE DE LA REPUBLIQUE !

Que faut-il en penser ? Le Portugal constitue-t-il une exception démocratique en Europe ? Ce pays, grand comme trois fois la Belgique et possédant la même population, peut-il inspirer les mouvements de gauche, chez nous, qui cherchent de nouvelles voies ? Quel est le bilan du socialiste Antonio Costa, premier ministre qui dirige le Portugal depuis 2015 ?  Globalement positif ? Peut (beaucoup) mieux faire ?

Eléments de réflexion et de débat avec Jean Lemaître :

Ancien reporter social et européen, ex professeur de journalisme à l'Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales (IHECS) à Bruxelles. Aujourd'hui écrivain (*), il a consacré plusieurs de ses livres au Portugal, dont il est fin connaisseur et parle couramment la langue.

D'abord, les faits

  1. Malgré le Covid, le taux d'ABSTENTION (42%) a baissé par rapport aux dernières élections législatives de 2019. Un indice citoyen positif!
  1. Les instituts portugais de SONDAGE se sont complètement trompés (ou ont trompé?). Ils prédisaient, dans les dernières semaines, le Parti socialiste et le Parti de droite PSD, ex aequo, voire même avec un léger avantage pour le PSD. Au final, le PS -dirigé par Antonio Costa (incarnant plutôt la gauche de ce parti), premier ministre socialiste depuis 2015 - obtient 41,68% des votes et 117 sièges (soit deux de plus que la majorité dans l'assemblée législative, qui compte au total 230 sièges). La différence entre les deux partis dominants, au final, est écrasante: le PSD n'obtenant que 27% (soit 14% de moins que le PS) et seulement 71 députés.
  1. LE TRIOMPHE DU PS, UNE EXCEPTION VERTUEUSE au niveau également européen ? Mis à part quelques pays à l'extrême nord de l'Europe ou en Espagne, le score exceptionnel recueilli par le PS portugais, qui, même avec ses limites, incarne une sociale-démocratie davantage réformiste et moins sociale-libérale qu'ailleurs, pourrait servir d'exemple politique à l'échelle du continent. Avec son scrutin totalement proportionnel (comme en Belgique), le Portugal est un modèle de démocratie aboutie.
  1. La GAUCHE (dite) RADICALE est en net recul. Elle est constituée de deux partis: Le BLOCO de Esquerda (gauche) et la CDU (coalition entre le Parti communiste et les Verts). Par rapport à 2019: le Bloco passe de 9, 52% et de 19 députés à 4,46% à 5 députés; et la CDU passe elle de 6,33% et 12 députés à 4,39% et 6 députés. Une rude chute des deux côtés. Plusieurs explications: d'abord ce scrutin d'hier était très BIPOLARISE. Soit le PSD gagnait. Soit le PS. Soit le pays passait à droite, soit se maintenait à gauche. Nombre d'électeurs (de la gauche radicale) ont préféré voté utile pour barrer la route à la droite. Autre raison probable: ces élections de janvier 2022 avaient été provoquées par le refus de la CDU et du BLOCO de voter le projet de budget 2022 présenté par Costa, jugé par ces deux partis non sans raison "trop peu social". Alors que depuis 2015 et 2019, CDU et BLOCO fournissaient le plus souvent l'appoint au PS (qui ne disposait pas alors la majorité absolue), ce "non" au budget fut-il une erreur? Le PS lui-même a-t-il alors péché par manque d'écoute de ses alliés à gauche? Le Parti communiste portugais dispose encore d'une force militante, surtout au sud du pays, très importante. Mais ce parti vieillit, peine à mobiliser de plus jeunes. Dans son intérêt et celui du peuple portugais, il gagnerait à se réformer, à se rajeunir, à mieux communiquer!
  1. Dans les votes exprimés hier, il y a aussi des facteurs de GRANDE INQUIETUDE. CHEGA, parti clairement raciste et d'extrême droite, a fait un bon spectaculaire, devenant le troisième parti en force au Portugal, et en passant de 1,29% et un député, aux législatives de 2019, à 7,15% des voix hier et une horde de 12 députés. Jusqu'ici, le Portugal était le seul pays européen à ne pas compter d'extrême droite au Parlement. On pourrait relativiser cette poussée inquiétante en signalant que, aux récentes élections présidentielles au Portugal, CHEGA avait drainé 11% des votes.

Ensuite, le commentaire

Trois décennies après la chute du Mur de Berlin et du « camp du socialisme » (prétendu) « réalisé », c'est au tour de la social-démocratie à battre de l'aile, voire de s'effondrer comme modèle, un peu partout en Europe. En Belgique, en fonction des spécificités des trois régions, le PTB/PVD monte en puissance , de même qu'Ecolo/Groen. A Bruxelles, selon les derniers sondages, le PTB fait jeu égal avec le PS, autour des 15%.  Le pire est sans conteste ce qui se déroule en France où, à la veille des élections présidentielles, au pays de la Commune de Paris, de 1936, de 1968, la gauche dans toutes ses tendances ne pèse plus que 25% de l'électorat (la candidate officielle du PS étant pointée à... 2%).  Avec en corollaire, dans l'Hexagone, une extrême droite qui flirte avec les 35%  tout en contaminant  la droite dite « classique ». Le vent mauvais du fascisme se répand  sur le vieux continent, tandis que les idées progressistes, et en particulier le projet social-démocrate séduit de moins en moins. Sans doute les PS payent-ils le prix pour s'être majoritairement dissous dans le social- libéralisme, abandonnant du coup ce qui constituait auparavant sa force : la volonté de réformer socialement la société.  

Le succès (41% des voix, une majorité absolue au Parlement, dans un scrutin à la pleine proportionnelle) d'Antonio Costa et de son parti socialiste mérite qu'on s'y attarde. L'extrême- droite portugaise, même en dangereuse expansion, est contenue en dessous des dix pourcents. Et la gauche - dans toutes ses facettes additionnées – reste nettement majoritaire en Lusitanie.

Plusieurs facteurs l'expliquent, à commencer par le rappel de la Révolution démocratique des oeillets, du 25 avril 1974. Cette date marquant la chute de la dictature demeure une solide référence dans la vie politique. Lorsque, en 2013, sous un gouvernement (alors PSD, la droite) le pays a souffert le martyr avec la casse du social et des services publics imposée par la Troïka, cela a provoqué un tsunami de protestation. L'idée s'est imposée que, atteindre frontalement aux droits sociaux, c'était s'attaquer aux droits humains fondamentaux, à la démocratie même. Franchir cette « ligne rouge », ramenant au passé le plus sombre, jamais le peuple portugais, après le 25 avril, ne pourrait l'admettre. Au printemps de cette année 2013, plus de 1,8 millions de Portugais ont dès lors manifesté dans les principales villes de ce pays de 10 millions d'habitants, exigeant la fin des mesures d'austérité de la Troïka .

Dans cette foulée, aux élections législatives de 2015, le PS a pu former une coalition, jetant la droite  dans l'opposition et amorçant un retournement politique majeur. Comme le PS n'avait pas la majorité absolue, il fit alors une alliance surnommée la « geringonça » (que l'on pourrait traduire, en belge, par... « le brol ») avec le Parti communiste portugais et l'autre parti de gauche radicale, le Bloc de gauche, sur base d'un accord écrit minimal. Pendant les quatre premières années, cette alliance (inédite alors au Portugal) a plutôt bien fonctionné avec des résultats palpables  : augmentation des petits salaires et petites pensions, investissement dans les services publics, relance de l'économie par  une politique keynésienne, à l'opposé du diktat néo-libéral relayé par la Commission européenne.

En 2019 (on vote aux législatives tous les quatre ans au Portugal), nouveau scrutin ! Le PS progresse sans détenir cependant la majorité absolue. Le PCP et le Bloc de gauche ne sont pas chauds (une erreur?) pour reconduire la « geringonça ». Il est vrai que le Parti socialiste n'a pas réalisé toutes ses promesses : les salaires des travailleurs restent anormalement bas, les quartiers populaires de Lisbonne sont ravagés par la spéculation immobilière, le Service national de santé (gratuit) est sous – financé, tandis que la médecine privée (pas de remboursement par la sécurité sociale) demeure inaccessible pour les moins nantis. Les campagnes –  dans les plaines et au bord du littoral – de la vaste région de l'Alentejo ont été livrées aux multinationales pratiquant  l'agriculture industrielle et intensive, polluant les sols, asséchant les nappes phréatiques, et payant très peu d'impôts au Portugal. A cette fin, ces multinationales font venir, principalement d'Asie, des dizaines de milliers d'esclaves des temps « modernes », payés au lance-pierre. Curieusement, dans cette campagne électorale de 2022, ces problèmes essentiels pour la planète et les conditions de vie des locaux et des travailleurs a été très peu abordés dans les débats.

Au plan positif, plusieurs atouts doivent être relevés dans la victoire exceptionnelle, dimanche dernier, des socialistes portugais. Il y a d'abord la propre personnalité d'Antonio Costa, habile négociateur, homme de dialogue et de convictions, doté d'une grande intelligence. Un autre facteur a dû jouer. Dans lutte contre la pandémie de la Covid, depuis deux ans, le gouvernement portugais s'est montré exemplaire - au plan européen - en matière de vaccination de masse et décentralisée. Et cela aussi  compte : le gouvernement s'est adressé à ses citoyens les « yeux dans les yeux », faisant appel à leur conscience et à leur sens des responsabilités. Il a ainsi évité toute « infantilisation » et « autoritarisme »  caractéristiques de nos gouvernants belges, transformant chez nous la décision politique en un lamentable « brol », si différent du charme de la « géringonça » portugaise...    

Jean Lemaître

(*) Entre autres livres, « C'est un joli nom camarade » (éditions ADEN), « Le Parti communiste de Belgique - 1945-1985 » Libres entretiens avec Louis Van Geyt  (publié chez LE LIVRE EN PAPIER », « Grândola Vila Morena, le roman d'une chanson » (éditions OTIUM), « La Commune des Lumières, une utopie libertaire » (Portugal 1918), etc, etc...

Plus d'infos : https://jeanlemaitre.com