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L’OCDE a présenté ce mardi 9 octobre son projet de réforme de la fiscalité des multinationales. Malgré quelques propositions intéressantes, la réforme proposée ne suffira pas pour mettre fin au scandale de l’évasion fiscale massive des multinationales.

Partout dans le monde, les sociétés multinationales paient de moins en moins d’impôts sur leurs bénéfices. Selon le FMI, l’optimisation fiscale agressive des multinationales coûte environ 650 milliards de dollars US par an en recettes fiscales non perçues.

Cette situation alarmante est due notamment à un encadrement juridique international de la fiscalité des multinationales complètement obsolète. Selon le principe de la fiscalité « par entité séparée », les multinationales ne sont pas imposées en fonction des profits produits par l’ensemble du groupe, mais bien en fonction des bénéfices déclarés par chaque filiale dans chaque pays d’implantation.

Or les bénéfices ainsi déclarés au niveau national sont systématiquement faussés, car les filiales du même groupe multiplient les opérations entre elles (achats/ventes de biens et services, prêts, royalties pour utilisation de propriété intellectuelle notamment) à des prix artificiels, afin de réduire les bénéfices déclarés par certaines filiales et augmenter ceux d’autres filiales, typiquement installées dans des paradis fiscaux. Au final, à l’échelle mondiale, les profits des grandes entreprises multinationales augmentent alors que leurs contributions fiscales sont réduites à peau de chagrin.

UN PAS VERS LA TAXATION UNITAIRE

Initialement destinée uniquement à traiter du problème de la sous-contribution fiscale manifeste des géants du web (les fameux GAFAM pour Google Apple Facebook Amazon et Microsoft ), la négociation internationale menée par le « cadre inclusif » de l’OCDE (réunissant une centaine de pays en plus des 36 Etats membres de l’OCDE) a heureusement élargi le champ des discussions à l’ensemble des multinationales. C’est un premier acquis positif, considérant que l’optimisation fiscale agressive est pratiquée par les multinationales actives dans tous les secteurs de l’économie.

Deuxième progrès majeur dans les discussions : pour la première fois, l’OCDE accepte de se départir du principe de la fiscalité par entité séparée des multinationales, au bénéfice de l’application d’une fiscalité unitaire. Plutôt que taxer les multinationales uniquement sur base de bénéfices déclarés par chaque filiale, il est enfin envisagé de partir du bénéfice consolidé global de l’ensemble du groupe, qu’il s’agit ensuite de répartir en tant que base taxable entre les différents pays. C’est une ouverture majeure en faveur du principe de taxation unitaire, qui n’est à ce stade pas encore acquis.

DE SÉRIEUX RISQUES EN PERSPECTIVE

L’OCDE avance cependant trop timidement dans cette voie de la taxation unitaire. Dans son projet de réforme présenté aujourd’hui, elle propose que le nouveau régime s’applique uniquement à des prétendus « profits résiduels », les profits « de routine » demeurant au contraire sous le régime de la fiscalité par entité séparée. Cette distinction ne repose pourtant sur aucun argument économique tangible. Pire, elle constitue une nouvelle source de complexité permettant à l’avenir le développement de nouvelles méthodes d’ingénierie fiscale et la perte de recettes fiscales.

Concrètement, les propositions de l’OCDE permettent de résoudre un problème spécifique, à savoir la farce tragique de l’activité économique (considérable et profitable mais immunisée fiscalement) déployée dans plusieurs pays par certaines grandes entreprises du web qui y sont dépourvues de ce qui est considérée fiscalement comme « un établissement stable ». Faire des affaires dans un pays en faisant semblant de ne pas y exister, en quelque sorte.

LE SECTEUR EXTRACTIF EXEMPTÉ DE RÉFORME

C’est certainement une bonne nouvelle, mais ce n’est qu’une des nombreuses astuces déployées par les multinationales et leurs conseillers fiscaux, et elle concerne particulièrement les économies avancées. Les pays en développement, qui ont particulièrement besoin des recettes fiscales issues de la taxation des grands investisseurs internationaux, sont les perdants de cette réforme. Le secteur extractif, souvent très important dans l’économie de ces pays, est le seul secteur explicitement exclu des propositions de l’OCDE. En d’autres termes, les multinationales du secteur sont autorisées, voire incitées, à poursuivre leurs stratégies d’évitement fiscal.

UN PROCESSUS À SUIVRE DANS LES MOIS À VENIR

Par ailleurs, autre désavantage pour les pays en développement, la clé de répartition proposée du bénéfice global consolidé dans le cadre du nouveau système de fiscalité unitaire est basée sur le volume des ventes et plus généralement sur la demande. De la sorte, les pays de consommation, majoritairement les pays riches, seraient avantagés, alors que seraient désavantagés les pays producteurs, majoritairement les pays émergents et les pays en développement.

Enfin, l’OCDE demande que la sécurité juridique soit garantie par des mécanismes efficaces et contraignants de résolution des différends. C’est un objectif louable, auquel nous pouvons souscrire, mais nous demandons également que ces mécanismes soient transparents et équitables, ce qui n’est pas la première qualité des tribunaux d’arbitrage secrets promus par l’OCDE.
Si la base de travail est bonne, la vigilance des organisations de la société civile des pays en développement comme des pays développés est cruciale pour assurer que la réforme ne laisse pas de grands trous noirs dans la galaxie de la justice fiscale. Une consultation publique sur le projet de réforme est ouverte jusqu’au 12 novembre. L’occasion pour les sympathisants de la campagne pour la Justice fiscale de mettre leur pierre à l’édifice.

Source: https://www.cncd.be/OCDE-Un-premier-pas-trop-timide