LES COOPÉRATIVES SANDINISTES ET ZAPATISTES : DEUX IDÉES DU SOCIALISME
Entre le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de la révolution nicaraguayenne et l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) de la rébellion chiapanèque, les ressemblances le disputent aux dissemblances. Au cœur de ces deux expériences d’obédience socialiste, les formes coopératives occupent une place déterminante, en matière de production agricole notamment. Sur quels idéaux et méthodes convergent ou divergent-elles ? Les contextes distincts suffisent-ils à expliquer leur bilan respectif ?
En quoi la révolution sandiniste et la rébellion zapatiste sont-elles comparables ? L’une et l’autre procèdent d’une insurrection historique contre l’ordre établi, menée par un mouvement populaire en butte à un régime de domination ankylosé. Le 19 juillet 1979 à Managua pour la première, le 1er janvier 1994 à San Cristobal de Las Casas pour la seconde. Quinze ans à peine et environ 1000 kilomètres séparent les deux « momentums ». Les dénominations mêmes des acteurs moteurs de ce double bouleversement politique – le « Front sandiniste de libération nationale » (FSLN) au Nicaragua et l’« Armée zapatiste de libération nationale » (EZLN) dans le Chiapas mexicain – accusent plus qu’une filiation structurale. Et tant le FSLN que l’EZLN dans leurs premiers écrits programmatiques annoncent le « socialisme » comme l’horizon à atteindre.
Entre les deux pourtant, de multiples différences – sociologiques, culturelles, politiques, organisationnelles… – qui en viennent presque à opposer les deux expériences. L’une serait plutôt étatiste, « verticaliste » et tendrait à prôner le changement « par le haut », là où l’autre, plus autonomiste et « horizontale », pencherait pour une transformation « par le bas ». Aux différents registres de l’émancipation – républicain, nationaliste, socialiste, chrétien, tiers-mondiste… – convoqués par les sandinistes et repris par les zapatistes, ces derniers y ajoutent le féminisme – bien plus résolument que leurs prédécesseurs –, l’écologisme, le communalisme, le différentialisme… « Égaux et différents » revendiquent les encagoulés du Chiapas. Et plus récemment, « égaux·ales et différent·es ».
Chez les sandinistes – entre 1979 et 1990, durant leur décennie au pouvoir – comme chez les zapatistes – de la fin des années 1990 à aujourd’hui –, la forme organisationnelle « coopérative » va occuper une place déterminante dans l’administration de la vie quotidienne, en matière de production économique notamment. Sur quels principes et modalités d’action les pratiques sandinistes et zapatistes en la matière peuvent-elles se rejoindre ? Sur quels idéaux et méthodes se distinguent-elles ? Les contextes dissemblables et les adversités diverses auxquels les deux expériences ont eu affaire suffisent-ils à expliquer leur destin et bilan respectifs ?
C’est à ces questions que cet article tente de répondre, en s’appuyant largement et presque exclusivement sur les apports et analyses actuelles de neuf personnalités clés – cinq « sandinistes », quatre « zapatistes » –, à la fois actrices et observatrices de premier plan de l’une des deux expériences. Toutes, universitaires engagées, ont côtoyé de près, voire participé à l’histoire des coopératives sandinistes ou zapatistes, en mettant directement ou indirectement leur science à leur service.
Nous avons demandé à chacune d’elles de nous éclairer, premièrement, sur l’importance quantitative et qualitative des modes d’organisation « coopérative » développés dans le cadre de la révolution sandiniste ou de la rébellion zapatiste. Deuxièmement, sur l’idée et les principes du « socialisme » auxquels renvoient ces pratiques coopératives. Application orthodoxe de méthodes éprouvées ailleurs ou déclinaison originale de formes d’action évolutives ? Troisièmement, sur les adversités, tant externes qu’internes, qui auront été les plus préjudiciables à ces dynamiques. Et enfin, sur le bilan global que l’on peut dresser des coopératives des révolutionnaires nicaraguayens et des rebelles chiapanèques, tant en matière de viabilité économique et d’appropriation socioculturelle que de participation politique et d’impact environnemental.
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