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Le 6 novembre 2014, entre 110.000 et 130.000 personnes ont rejoint Bruxelles pour exprimer leur refus des mesures austéritaires contenues dans l’accord du nouveau gouvernement fédéral ratifié le 10 octobre dernier par le parti libéral francophone (MR) et par trois partis néerlandophones: les sociaux-chrétiens (CD&V), les libéraux du VLD et les nationalistes flamands de la NVA. Dans les médias traditionnels, deux éléments ont été principalement mis en exergue: l’ampleur de la manifestation et les affrontements violents entre des manifestants et la police. Par contre, une question reste largement en suspens: cette manifestation préfigure-t-elle une rupture et par là, la naissance d’un mouvement social large et durable en Belgique?

Du vert et du rouge en abondance, un soupçon de bleu, comme à l’habitude, les trois syndicats belges [1] représentaient le gros des troupes ce jeudi 6 novembre 2014. Les apparences peuvent être trompeuses. Cette manifestation a dépassé la seule mobilisation syndicale. Le 21 février 2013, le front commun syndical avait déjà organisé, sur le même parcours, une manifestation contre la politique d’austérité du gouvernement précédent [2]. Celle-ci n’avait pas rassemblé plus de 40.000 personnes et reposait principalement sur les effectifs syndicaux.

Un élément ne trompe pas. A l’habitude, une heure avant que le cortège ne fasse mouvement, chaque organisation se compte. Les syndicalistes s’organisent par blocs selon les entreprises, les secteurs d’activité ou les orientations syndicales. Le 6 novembre dernier, des manifestants déambulaient déjà dans les rues de Bruxelles avant que les syndicats ne se soient organisés. Pour une bonne part des participants, cette action relevait d’une première participation ou d’un retour dans le champ de l’action sociale. Outre son ampleur, la composition de la manifestation du 6 novembre interpelle donc lorsqu’on interroge la possibilité ou non de voir émerger un mouvement social large contre l’austérité en Belgique.

Bruxelles, brûle-t-elle ?

Dans la presse généraliste, cette question n’a pas été posée. La violence des dockers a par contre, photos chocs à l’appui, été largement commentée. La presse, qu’elle soit écrite ou audiovisuelle, est largement revenue sur les affrontements entre policiers et manifestants. De manière réductrice, l’abus d’alcool ou les liens présumés entre certains travailleurs portuaires et des groupuscules d’extrême droite ont été mis en avant. Seule la Libre Belgique, un quotidien francophone, a dans sa livraison du 8 novembre rappelé le contexte de cet accès de violence [3]. Sur les 2.000 dockers présents à Bruxelles le 6 novembre, seule une minorité (200 travailleurs) a pris part aux affrontements avec la police. Afin d’améliorer leurs conditions de travail, les dockers ont obtenu depuis 1972 [4], à force de luttes sociales, un statut qui les protège de la mise en concurrence. Dans chaque port belge, l’accès à la profession est protégé. Pour embaucher, les entreprises doivent obligatoirement passer par un "pool" de travailleurs géré par une institution publique. Ce statut original "hors marché du travail" permet au docker de conserver son niveau de salaire et ses conditions de travail quel que soit son employeur. Ce statut est attaqué depuis plusieurs années par la Commission européenne pour infraction à la libre concurrence et au libre établissement des entreprises multinationales dans les ports européens.

Cette menace se précise aujourd’hui. L’Europe a lancé une procédure d’infraction contre la Belgique et le gouvernement fédéral prévoit dans son accord une révision du statut des dockers [5]. Cette contextualisation permet de mieux comprendre les affrontements qui ont émaillé la manifestation bruxelloise.

Haro sur la coalition "Monaco"

Les travailleurs des ports d’Anvers ou de Gand ne sont pas les seuls que les politiques d’austérité mises en œuvre par le gouvernement fédéral vont toucher. Pour comprendre l’ampleur de la manifestation, il faut aussi la replacer dans un contexte social qui voit, depuis plusieurs semaines, de multiples conflits sectoriels éclater dans la police, les prisons, chez les chômeurs ou encore les étudiants en médecine. Le nouveau gouvernement belge, rebaptisé "coalition Monaco" ou "Kamikaze" par les acteurs sociaux, veut réaliser une économie de 11 milliards d’euros sur la législature, principalement en réduisant les dépenses de l’État.

Trois mesures cristallisent principalement la colère des organisations syndicales [6]. Il y a tout d’abord la volonté du gouvernement de procéder à un saut d’index en 2015 [7] alors que le gouvernement précédent a déjà pris la décision de geler les salaires (hors indexation automatique) en 2013 et en 2014. Si, comme un peu partout en Europe, le report de l’âge légal de la retraite, qui passera progressivement de 65 ans à 67 ans d’ici 2030, fait partie de la boîte à outils néolibérale censée lutter contre le vieillissement de la population, c’est surtout la réforme des possibilités de départ anticipé ou d’aménagement de la carrière qui suscitent l’indignation dans les rangs syndicaux. Plusieurs mesures ont également pour ambition de renforcer la "flexibilité" du travailleur belge. Enfin, aucune nouvelle recette provenant d’une contribution du capital n’est actuellement prévue dans l’accord, à l’exception d’un projet de taxe assez floue sur des structures patrimoniales détenues par les Belges dans des paradis fiscaux…Les révélations sur les "arrangements fiscaux" entre l’État luxembourgeois [8] et de grandes entreprises belges, révélées par la presse le matin de la manifestation, montrent à quel point ce type de mesure relève surtout de l’effet d’annonce.

Et maintenant?

La manifestation du 6 novembre signale le début d’un plan d’action syndical qui verra des grèves tournantes prendre place dans les provinces belges le 24 novembre, le 1er et le 8 décembre. Il se ponctuera par une grève nationale le 15 décembre 2014. Cela sera-t-il suffisant pour réussir là où les mouvements sociaux du Sud de l’Europe ont, jusqu’à présent, échoué ? Un mouvement social belge pourrait-il bloquer les programmes d’austérité dictés par les institutions européennes et mis en œuvre par les gouvernements nationaux ?

Le nombre de manifestants rassemblés à Bruxelles le 6 novembre, mais aussi leur diversité, fait apparaître une indignation forte dans la population belge contre les mesures d’austérité du nouveau gouvernement. Il y a certainement là un "mouvement social belge potentiel". Une question reste néanmoins posée. Comment les organisations syndicales, acteur central de ce mouvement, vont-elles parvenir à le faire vivre ?

Deux éléments doivent ici être mis en perspective. Tout d’abord, l’absence d’une revendication réellement offensive de la part des syndicats. Comme l’a indiqué la secrétaire nationale de la CSC sur les ondes de la RTBF Radio avant la manifestation, l’action du 6 novembre n’est en aucun cas une "manifestation politique" [9]. L’ambition des syndicats est de rouvrir un espace de concertation sociale avec le gouvernement, pas nécessairement de faire tomber celui-ci. L’ampleur de la manifestation a, sans aucun doute, permis d’améliorer leurs rapports de forces. Le gouvernement fédéral communique d’ailleurs depuis lors sur sa volonté de renouer le dialogue avec les syndicats. A court terme, cette négociation ne pourra cependant porter que sur les marges des mesures gouvernementales. Dès lors, l’essoufflement, voire la déception d’une large part des manifestants présents à Bruxelles est un risque avec lequel vont devoir composer les syndicats belges. De plus, les résultats aux dernières élections n’ont pas porté les mêmes majorités aux différents niveaux de pouvoir en Belgique. Au Nord, le succès du mouvement social dépendra de sa capacité à déstabiliser le parti social-chrétien (CD&V), la composante la moins néolibérale d’un gouvernement flamand qu’il compose avec les nationalistes de la NVA et les libéraux. Du côté francophone, une majorité composée du parti socialiste et des Chrétiens-humanistes s’est rapidement dégagée. Or, les deux grandes organisations syndicales (FGTB et CSC) gardent des liens "privilégiés" avec les deux partis. Malgré une orientation plus sociale-démocrate, le gouvernement wallon prendra inévitablement des mesures douloureuses sur le plan social. La contestation sera-t-elle aussi forte à ce niveau ? De la réponse à cette dernière question dépendra sans doute la légitimité des syndicats comme catalyseur d’un mouvement social fort qui, aujourd’hui, peut sembler les déborder.

Bruno Baraind - 19 novembre 2014 (greasea.be)

Cette analyse est parue sur le site français Basta à l’adresse:http://www.bastamag.net/Belgique-vers-un-large-mouvement, le 14/11/2014.

La traduction néérlandaise de cet article est parue sur le site de De Wereld Morgen: http://www.dewereldmorgen.be/artikel/2014/11/18/besparingen-pensioen-loon-belgische-sociale-beweging-klaagt-kamikazeregering-aan

Notes:

[1] Il s’agit du syndicat socialiste (FGTB), du syndicat chrétien (CSC) et du syndicat libéral (CGSLB).

[2] Le gouvernement fédéral précédent était composé des partis socialistes, libéraux et sociaux chrétiens.

[3] La Libre Belgique du 8 et 9 novembre 2014.

[4] La loi Major sur le statut des dockers date de 1972. Elle est toujours en application aujourd’hui.

[5] La Libre Belgique du 8 et 9 novembre 2014.

[6] D’autres mesures comme la privatisation de certaines entreprises publiques, l’activation et la surveillance des chômeurs, la réforme des tribunaux du travail sont également au centre des débats en Belgique.

[7] En Belgique, un mécanisme automatique permet de faire évoluer les salaires en fonction de l’évolution du prix d’un échantillon de biens et de services.

[8] Une enquête internationale "Lux Leaks" a mis au jour plus de 340 arrangements fiscaux entre l’État luxembourgeois et des entreprises multinationales.

[9] Interview de Marie-Hélène Ska, secrétaire nationale de la CSC sur les ondes de La Première, le 6 novembre 2014.