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Pour commencer, voici deux anecdotes significatives qui m’ont été rapportées par un haut fonctionnaire européen. En 2010, sous la pression d’Angela Merkel, la Troïka a été mise en place pour imposer les 'réformes' afin de résorber la dette de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal. Une délégation de dirigeants de 'haut niveau' s’est rendue un soir à Athènes. Le voyage, le gîte et le couvert de ces messieurs dames étaient assurés par le gouvernement grec de Papandréou.

Le soir de leur arrivée, cette brillante équipe n’a rien trouvé de mieux que de se remplir la panse dans un des luxueux restaurants situés le long de la plage, non loin d’Athènes. Pendant ce temps, d’immenses rassemblements populaires avaient lieu dans la capitale grecque. Les manifestants furent informés de cette sauterie. Aussitôt, des centaines de protestataires se rendirent au restaurant en question, l’envahirent. Les distingués délégués durent décamper vers la plage toute proche, poursuivis par la foule en furie. Ces dames en robe longue et ces messieurs en smoking avaient déjà les pieds dans l’eau lorsque la police vint les tirer de cette fâcheuse situation.

La seconde se passe dans les bureaux de la Commission. Une négociation impliquant une délégation du Parlement européen, des lobbies et des délégués de ladite Commission est très difficile et n’aboutit à aucun résultat. Le président de séance, un fonctionnaire de la Commission, furieux de cet échec, toise les membres du Parlement en criant: "Il faut en finir avec la démocratie!".

Ce serait risible si ces incidents n’étaient le signe d’une dégradation du processus démocratique en Union européenne. Ils révèlent une caste qui s’affuble du titre d’élite composée de technocrates, de banquiers, de politiciens aux ordres et qui cherchent à imposer aux peuples européens une vision des choses qu’ils pensent conforme à leurs seuls intérêts.

UE et démocratie ne font pas bon ménage

La déclaration la plus révélatrice sortit de la bouche de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Il a déclaré au « Figaro » du 29 janvier 2015 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. » C’est révélateur parce qu’en se basant sur les traités et notamment le fameux TSCG mieux connu sous le nom de « traité budgétaire », nul n’a le droit de s’élever contre une décision prise par le Conseil européen – c’est-à-dire l’Allemagne – qui serait conforme à ces fameux traités.

Il faut cependant remettre les montres à l’heure. Les eurosceptiques dont la plupart sont loin d’être des démocrates, n’arrêtent pas d’attaquer la Commission qui représente pour eux la quintessence de l’Europe ultralibérale et antinationale. S’il est vrai que la Commission est imprégnée de l’idéologie néolibérale, qu’elle considère le processus démocratique comme une entrave à la construction d’une Europe à leur image et les nations comme des entités obsolètes, ce n’est pas la Commission qui prend les grandes décisions. Elle est chargée de les appliquer et a la capacité de faire des propositions.

L’organe de décision est et reste le Conseil européen. Il est basé sur le principe de l’intergouvernementalité. Il est en effet composé des chefs d’Etats et de gouvernements et de leurs ministres pour les matières spécifiques. Autrement dit – et c’est là l’essentiel – les décisions résultent d’un rapport de force entre les vingt-huit gouvernements de l’Union. Et dans cette partie, deux pays émergent : l’Allemagne et la Grande Bretagne. Ce sont les deux puissances les plus importantes de l’Union. En dehors des questions relatives à l’Euro, elles sont donc les deux meneurs de la politique européenne, les autres pays étant priés de se plier aux diktats germano-britanniques, même si l’Angleterre de Cameron se trouve en porte à faux étant donné la montée de l’euroscepticisme.

En ce qui concerne l’Euro, on s’aperçoit bien qu’il y a deux décideurs : toujours l’Allemagne et aussi la Banque Centrale Européenne (BCE). Là aussi, les autres Etats membres n’ont qu’à s’incliner alors qu’il s’agit de leur économie. Or, l’Allemagne impose ses propres règles basées sur l’ordolibéralisme qui consiste à imposer une rigueur très forte à une économie forte (réduction des salaires, flexibilité, etc. ; politique budgétaire équilibrée, autrement dit austérité et politique monétaire sous la responsabilité d’une banque centrale, en l’occurrence la BCE).

Si cette politique a pu renforcer l’économie allemande au prix – ne l’oublions pas – d’une terrible régression sociale, l’imposer aux pays périphériques et du Sud de l’Europe revient à leur mettre la tête sous l’eau. Et nul n’est autorisé à contester cela. Pourtant, c’est ce qu’il se passe.

Un peu d’histoire

Il faut relire l’histoire. L’euro est né du calamiteux Traité de Maastricht. La monnaie unique est issue de la volonté de François Mitterrand qui, en 1992, était en fin de parcours, avait déjà trahi ses engagements auprès du peuple français et de la gauche en général et s’est en outre trompé sur la réunification allemande. Le chancelier Kohl disposait dès lors tous les atouts et a pu imposer l’ordolibéralisme à l’allemande qui est fondamentalement contraire à l’idée d’une fédération européenne qui est sensée être la doctrine de base de l’Union européenne. En effet, en interdisant l’aide à un Etat membre en difficulté, il rendait ainsi caduque la solidarité qui est la base même de l’idée fédérale.

Tout part de là ! Et la scandaleuse hypocrisie des propagandistes de l’Union européenne qui n’arrêtent pas de se réclamer du fédéralisme – nous songeons entre autres à l’ineffable Jean Quatremer – œuvrant à imposer la pensée unique européiste, est une abomination. Ils nous mentent, car nous ne vivons pas dans un système fédéral qui implique par définition un système démocratique. En effet, un régime totalitaire ne peut exister que dans une structure centralisée. Nous vivons dans un système qui allie à la fois une dictature supranationale et une compétition aussi stérile que dangereuse entre Etats où le plus fort l’emporte au détriment des autres.

Le fédéralisme a été trahi.

Il faut, pour bien comprendre, revenir à l’idée de base constitutive de l’actuelle Union européenne. À la fin de la Deuxième guerre mondiale, sous l’impulsion, entre autres du militant communiste italien Altiero Spinelli qui avait connu les geôles de Mussolini de 1927 à 1943, fut fondé le Mouvement fédéraliste européen. Ce mouvement connut un grand succès auprès des intellectuels démocrates et de gauche d’Europe occidentale parmi lesquels on compte entre autres Albert Camus et George Orwell. L’objectif de ce mouvement était de construire une fédération européenne dépassant l’Etat nation jugé responsable – à juste titre – des abominables boucheries qui par deux fois ont ensanglanté et détruit le continent. Cependant, cette fédération ne pouvait se construire que sur des bases démocratiques. Autrement dit, une structure démocratique supranationale succéderait progressivement aux Etats nations par l’ouverture des frontières et la mise en commun des ressources.

Cependant, la Communauté européenne – ancêtre de l’actuelle Union – s’est élaborée pendant la guerre froide. Dès lors, elle s’inscrivit dans le cadre de l’Alliance atlantique, au lieu d’avoir une autonomie politique à l’égard des Etats-Unis. Ensuite, sous l’impulsion de ses protagonistes dont l’homme d’affaires Jean Monnet, elle s’inscrivit dans une optique résolument libérale en opposition aux systèmes d’économie mixte qui avaient été mis en place dans les différents Etats après la guerre par les mouvements issus de la Résistance. Sans doute, est-ce également pour cela que les membres des institutions européennes ont toujours exprimé leur hostilité à l’égard de tout ce qui rappelle ou évoque l’Etat.

Aussi, dès le départ, les institutions européennes œuvrèrent au développement du capitalisme et dans l’optique géopolitique atlantiste. Elles ont ainsi contribué à entretenir la guerre froide et même si elles adoptèrent une structure de type fédéral par le sommet, elles ne facilitèrent en rien l’élaboration d’une fédération européenne qui, elle, aurait représenté les peuples. En effet, une structure fédérale ne peut se construire qu’au départ de la base.

Il était donc question de dépasser les nations composant la Communauté européenne par une instance supranationale de décision. Mais cette instance a toujours été loin d’être démocratique. En effet, si l’Union européenne a été structurée sur la base de trois pouvoirs séparés : la Commission dépendant comme on l’a vu du Conseil, le Parlement européen et la Cour de Justice européenne, ils ont loin d’avoir le même poids.

Un Parlement sans réels pouvoirs

Ainsi, le Parlement européen n’a pratiquement pas de capacité législative. Il a une capacité de contrôle qui s’est certes accrue depuis le Traité de Lisbonne, mais qui est loin d’être coercitive. On l’a vu par deux fois : le Parlement a renversé en 1999 la Commission du Luxembourgeois Jacques Santer pour une question de corruption. Cette Commission a poursuivi ses travaux jusqu’à son terme comme si de rien n’était. Récemment, lors de la présentation des commissaires proposés par Jacques Juncker devant le Parlement européen, le commissaire hongrois était contesté parce qu’il était loin de présenter des garanties démocratiques. On l’a simplement changé de compétence en lui attribuant la culture ! De même, le commissaire espagnol était lui aussi critiqué pour ses liens avec l’industrie pétrolière. On n’en a pas tenu compte ! Seule, la commissaire slovène a été recalée pour incompétence… En effet, un accord s’est établi entre les deux groupes les plus importants du Parlement européen : les conservateurs du PPE et les sociaux-démocrates et on est passé à l’ordre du jour !

La Cour de Justice, elle, est sans instance d’appel alors qu’elle prend souvent des arrêts ayant d’importantes conséquences politiques. On l’accuse souvent et à juste titre d’instaurer une sorte de « gouvernement des juges ».

Il y a une véritable tromperie. L’Europe supranationale n’est pas destinée à se substituer aux Etats nations pour instaurer la paix et la prospérité des peuples, mais pour museler les Etats qui entravent la marche vers un capitalisme sans contrôle ni frontières. Ne comprend-on pas que l’invective systématique contre l’Etat ou contre la nation qui est, jusqu’à présent, le seul espace où existe la démocratie, c’est-à-dire un contrôle plus ou moins efficace du peuple sur le pouvoir et l’existence de réels contrepouvoirs, a pour objet réel de museler la démocratie ?

Une dictature supranationale

Si on peut souhaiter que sur un continent qui durant son histoire a été déchiré par des guerres de plus en plus meurtrières et destructrices, les décisions politiques se prennent sur un plan supranational, ce ne doit pas être aux prix du renoncement aux libertés et aux pouvoirs des peuples. En outre, cela déclenchera – et on s’en aperçoit – des conflits entre l’instance supranationale qui impose ses diktats et les Etats ou les peuples qui les subissent. Le cas de la Grèce est exemplaire en l’occurrence : ce pays se heurte depuis l’arrivée de Syriza à une dictature supranationale.

Une dictature supranationale ? La zone euro, tout comme le marché unique instauré en 1992 à l’initiative de Jacques Delors, puis concrétisés par le traité de Maastricht, ont été élaborés à l'échelle de l'Europe, en lien avec trois institutions « indépendantes », auxquelles on a jusqu’ici confié la protection du soi-disant intérêt général européen : la Banque centrale européenne, la Commission et la Cour de justice de l'UE. Ces institutions s'estiment dépositaires d'un projet européen qui ne peut être lesté par les conjonctures politiques nationales. Leur mandat est supranational et ne dispose d’aucune légitimité électorale. Aussi, l'arrivée au pouvoir de Syriza en Grèce provoque un conflit entre la légitimité du projet européen incarné par les « indépendantes » et les mandats électoraux nationaux.

La BCE marque son autonomie politique. Elle arrache son autonomie à l'encontre des Grecs en fermant les lignes de crédit à leurs banques, comme elle l'a enlevée quelques jours avant aux Allemands en rachetant des titres de la dette des Etats.

Depuis le début de la crise de la zone euro, la BCE s'est vue accorder de nouveaux pouvoirs. Son leadership s'est renforcé, à travers la mise en place de l'union bancaire, ou encore sa participation à la troïka qui ne s’occupe pas que de la Grèce. Elle a progressivement assumé un rôle politique qui n'était pas le sien au moment de sa création. En imposant aux Etats des « réformes » (privatisation, déréglementation, démantèlement de l’Etat social) en échange de son soutien, ses pouvoirs sont devenus considérables. Tout cela se heurte à la nouvelle donne électorale en Grèce.

La Commission est dans son rôle traditionnel de gardienne des traités, et d'un projet européen indépendant des conjonctures nationales. Mais ce que Juncker ne dit pas, c'est qu'il est évident que les traités sont susceptibles d'interprétation. Les traités européens sont quelque chose de vivant, ils sont une création permanente. L'évolution du rôle de la BCE pendant la crise a montré les marges de manœuvre considérables qu'offrent les traités. Toute l'histoire de l'Union européenne prouve la grande malléabilité des traités. Les traités sont même devenus le terrain de la lutte politique en Europe. Il faut en permanence se demander quelles sont les marges d'interprétation.

Accepter d’effacer une partie de la dette les condamnerait à avouer ce qu’ils ont réellement fait depuis six ans : toute leur gestion de la crise grecque, de la crise de l’euro a consisté à socialiser les pertes du système bancaire, à reporter sur les populations les risques inconsidérés pris par les banques. Ce serait reconnaître aussi que leur politique d’austérité est un échec patent. Ce serait enfin devoir accorder à d’autres pays européens, en commençant par l’Italie, l’Espagne, l’Irlande, le Portugal, une remise de peine et une renégociation de leurs dettes. Autant dire que tout changement leur semble impossible. Même si cela peut conduire à l’explosion de la Grèce.

Et c’était prévu. Si on lit ce qu’écrit Martine Orange dans Mediapart du 5 février dernier, on est édifié.

« Nul doute que l’ancien premier ministre grec, Antonis Samaras, en provoquant des élections législatives précipitées dès fin janvier, avait aussi ce calendrier en tête. Il savait que la Grèce était dans une impasse, dans l’incapacité d’honorer ces échéances. Les responsables européens, le président de la commission européenne Jean-Claude Juncker et Angela Merkel en tête, le savaient parfaitement aussi. En acceptant des élections législatives qui ne pouvaient que placer Syriza au pouvoir, leur calcul n’était-il pas d’imposer au nouveau pouvoir de gauche la froide réalité de la situation financière de la Grèce et de l’obliger à plier et endosser à son tour l’austérité ?

Dès son arrivée au pouvoir, Alexis Tsipras, a annoncé qu’il renonçait à la ligne de crédit de 7 milliards d’euros versée par la Troïka. L’accepter aurait été d’emblée se soumettre à toutes les conditions imposées par la Troïka. C’est-à-dire faire l’inverse de ce qu’il a promis à ses électeurs. Le gouvernement grec a expliqué qu’il pouvait s’en passer car les comptes étaient à l’équilibre. Dans les faits, la situation est beaucoup moins tranquille que le soutient Syriza. Les comptes sont repassés dans le rouge à la fin de l’année. Les rentrées fiscales se sont asséchées depuis l’annonce des élections législatives. Le gouvernement d’Antonis Samaras a utilisé tous les expédients. Il a quitté le pouvoir en laissant derrière lui un désert : toutes les lignes et les facilités financières qui ont été consenties à la Grèce dans le cadre du plan de sauvetage ont déjà été épuisées. »

Cependant, quoiqu’il arrive, c’est la première fois que se produit un rapport de force entre les institutions européennes et les dirigeants d’un Etat-membre remettant en cause les canons ultralibéraux qui ont jusqu’à présent prévalu dans l’Union européenne.

Un fascisme nouveau

Mais cette situation est révélatrice d’un phénomène particulièrement inquiétant. Il a été dénoncé par le professeur de la VUB (l’Université flamande de Bruxelles, pendant de l’ULB) Louis De Sutter, dans « Libération » du 11 février 2015 : « Il est temps d’ouvrir les yeux : les autorités qui se trouvent à la tête de l’Europe incarnent un fascisme nouveau. Ce fascisme, ce n’est plus celui, manifeste et assumé, qui a fait du XXe siècle l’un des grands siècles de la laideur politique ; il s’agit plutôt d’un fascisme mou et retors, dissimulant ses intentions mauvaises derrière un langage qui se voudrait de raison. »

M. De Sutter voit trois raisons qu’il qualifie de « délirantes » dans la politique européenne. La première : « Chaque nouveau geste posé par les autorités de l’Europe (ainsi, en dernier lieu, celui du directeur de la Banque centrale, Mario Draghi) affiche davantage le mépris des principes sur lesquels elle se prétend fondée par ailleurs. En proclamant que les traités européens sont soustraits à tout vote démocratique, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, ne l’avait pas caché : la démocratie, en Europe, n’est qu’un mot vide. »

Rappelons-nous que les règles européennes sont définies par des traités qui sont négociés entre Etats et sans la participation des peuples. Ainsi, même si, comme on l’a vu plus haut, les traités sont malléables, ils restent en vigueur et donc malaisément modifiables ou abrogeables.

La seconde est d’ordre économique : « Ce que les autorités européennes sont en train de réaliser, c’est tout simplement la ruine d’un continent entier. Ou, plutôt : la ruine de la population d’un continent entier - à l’heure où la richesse globale de l’Europe, en tant qu’entité économique, ne cesse de croître. Les autorités économiques européennes, en tentant de tuer dans l’œuf le programme grec, pourtant d’une impeccable rationalité économique, de Yánis Varoufákis, le disent là aussi sans ambages. Ce qui les intéresse, c’est la perpétuation d’un statu quo financier permettant au capitalisme, dans son caractère le plus désincarné et le plus maniaque, de continuer à produire une richesse abstraite. Il n’est pas important que la richesse en Europe profite aux personnes ; en revanche, il est d’une importance croissante qu’elle puisse continuer à circuler - et toujours davantage. »

En outre, cette politique est suicidaire. Les économistes les plus réputés et les plus écoutés comme Stiglitz, Krugman, Galbraith junior, Jorion et d’autres ne cessent de le proclamer haut et fort. Mais les institutions européennes restent sourdes, comme elles sont aveugles devant la dégradation dramatique de l’économie européenne avec les terribles conséquences sociales et humaines qui en résultent.

Le délire de la pensée unique européenne

Enfin, on ne peut que se poser la question du délire de la pensée unique européenne.

« Troisièmement, la raison européenne est délirante du point de vue de la raison elle-même. Derrière les différents appels au «raisonnable», que le nouveau gouvernement grec devrait adopter, se dissimule en réalité la soumission à la folie la plus complète. Car la raison à laquelle se réfèrent les politiciens européens (par exemple, pour justifier les mesures d’austérité débiles qu’ils imposent à leur population) repose sur un ensemble d’axiomes pouvant tout aussi bien définir la folie. Ces axiomes sont, tout d’abord, le refus du principe de réalité - le fait que la raison des autorités européennes tourne dans le vide, sans contact aucun avec ce qui peut se produire dans le monde concret. C’est, ensuite, le refus du principe de consistance - le fait que les arguments utilisés pour fonder leurs décisions sont toujours des arguments qui ne tiennent pas debout, et sont précisément avancées pour cela (voir, à nouveau, l’exemple de l’austérité, présentée comme rationnelle du point de vue économique alors que tout le monde sait que ce n’est pas le cas). C’est, enfin, le refus du principe de contradiction - le fait que l’on puisse remonter aux fondements mêmes des décisions qui sont prises, et les discuter, possibilité suscitant aussitôt des réactions hystériques de la part des autorités. »

Tout est dit et les exemples du refus du débat se multiplient. Ainsi, concernant le TTIP (le projet de traité de libre échange transatlantique), si, comme signalé plus haut, la Commission n’entre pas dans le processus de décision exécutive, elle peut – si elle en est déléguée par le Conseil – mener des négociations sur le plan international, surtout en matière de commerce. Ce fut le cas pour le traité GATT qui est à la base de la calamiteuse OMC (Organisation Mondiale du Commerce) et ce l’est aujourd’hui avec le TTIP. La délégation européenne est dirigée par le Commissaire au Commerce extérieur : l’ancien ministre libéral belge Karel De Gucht pour la commission Barroso II et Cecilia Malmström, ancienne ministre suédoise sous l’actuelle commission Juncker.

Une initiative citoyenne européenne, c’est-à-dire une pétition à l’échelle de l’Union européenne prévue par le Traité de Lisbonne, intitulée « Stop TTIP » a été refusée par la Commission européenne sous prétexte qu’elle ne demandait pas l’adoption d’une nouvelle règle. Cette argutie juridique dont la Commission est coutumière n’a évidemment pas plu aux initiateurs de cette pétition qui ont déposé un recours auprès de la Cour de Justice européenne.

Oser moins de démocratie.

Une pensée se développe en Europe, notamment en Allemagne. Un livre a beaucoup de succès dans les milieux dirigeants germaniques. Ce livre intitulé « Oser moins de démocratie » a été publié en août 2011 par la maison d’édition du Frankfurter Allgemeine Zeitung, l’un des quotidiens les plus influents d’Allemagne. L’auteur, Laszlo Trankovits est le chef du bureau et le correspondant de la Deutsche Presse Agentur (DPA) en Afrique du Sud. Il a précédemment travaillé pour la DPA à Washington, en tant que correspondant à la Maison Blanche ». Pour appuyer sa thèse, l’auteur évoque l’exemple de la Chine : « Les grand industriels allemands (...) sont souvent admiratifs lorsqu’ils évoquent les immenses progrès du développement chinois ». Et ces succès économiques soulèvent « des doutes sur la supériorité de la démocratie ».

Le titre de l'ouvrage s’appuie sur la formule utilisée par le premier chancelier allemand de social démocrate (SPD) Willy Brandt, Oser, plus de démocratie, lors de sa déclaration de politique générale en octobre 1969. Le chancelier avait à l'époque provoqué l'ire de l'opposition (CSU), qui réfutait le sous-entendu induit par la formule suggérée à l’époque par l'écrivain Günter Grass. Aujourd’hui, la publication de l’ouvrage de Laszlo Trankovits n’a pas suscité de grande controverse. Sans doute, parce que le contrat social n’est plus la priorité dans les grandes démocraties… Ou parce que l’on souhaite à terme en finir avec la démocratie comme le fonctionnaire européen cité plus haut.

L’espoir n’est jamais vain.

On saura à la fin du mois si Tsipras et Varoufakis auront ou non réussi. Cependant, quoiqu’il arrive, ils auront eu le mérite historique d’affronter pour la première fois la pensée unique européenne, de défier cette machine infernale qui a transformé le rêve d’union des peuples d’Europe en un cauchemar menant à un nouvel asservissement. Ils auront montré que l’espoir n’est jamais vain. C’est déjà beaucoup!

Veuillez m’excuser d’avoir un point commun avec Herman Van Rompuy, l’ancien président du Conseil européen : aimer et rédiger des Haïku, ces petits poèmes japonais. Voici un des miens:

Une goutte se noie dans l’océan.

L’ouragan se lève.

Pierre Verhas - (publié antérieurement sur uranopole.over-blog.com le) 15 février 2015