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Les partis dits démocratiques ont échoué dans une opération d’apparence généreuse et progressiste: l’intégration politique des populations d’origine immigrée. Les récentes affaires Emir Kir (PS) et Mahinur Özdemir (CDH – centre démocrate humaniste, tendance démocrate chrétienne) en sont une démonstration éclatante. Ces deux mandataires bruxellois d’origine turque ont été mis en avant par leurs partis respectifs pour des raisons purement électorales. Ensuite, on est surpris qu’ils prennent sur un dossier sensible, comme le génocide arménien, une position politique conforme à celle de leur communauté.  

Génocide arménien : on a failli attendre et puis… on verra.

De quoi s’agit-il ? On vient de commémorer le centenaire du génocide arménien de 1915. Le président socialiste du Parlement bruxellois, Charles Picqué, n’a pas réussi à faire observer une minute de silence par son assemblée suite à des manœuvres au sein du groupe socialiste et de certains CDH. Au Parlement fédéral, la minute de silence a bien été observée, mais en l’absence très remarquée d’Emir Kir, député PS et bourgmestre (maire) de la commune bruxelloise de St-Josse ten Noode.

Ces ambigüités sur une question aussi sensible ont provoqué de fortes réactions dans une large partie de l’opinion publique. Le PS bruxellois a déjà été critiqué suite à des incidents « communautaires » sérieux comme une caricature antisémite pour annoncer une conférence sur la Palestine, la présence sur la liste électorale bruxelloise de candidats soupçonnés d’appartenir au groupe terroriste turc « Les loups gris », le refus de participer officiellement à la manifestation du 11 janvier dernier en hommage aux victimes de « Charlie Hebdo », etc. L’attitude d’Emir Kir est la goutte qui a fait déborder le vase chez les Socialistes bruxellois. On est donc dans la confusion la plus totale !

Pour le moment, tout le monde parle de faire voter au Parlement une résolution dénonçant clairement le génocide arménien. On a failli attendre et puis… on verra. Sans doute, les politiques veulent calmer le jeu et on reprendra les affaires comme avant.

Cet incident montre combien les problèmes suscités par les relations entre communautés d’origine différente sont difficiles et aussi que la laïcité qui est le régime constitutionnel de la Belgique n’a réussi à mettre tout le monde d’accord.

C’est de la hiérarchie entre les groupes humains que naît le racisme.

Une autre affaire symptomatique est la récente révocation par la Ville de Bruxelles d’un professeur d’histoire qui aurait tenu des propos islamophobes et « à caractère raciste » sur Facebook. Le professeur en question, il s’appelle Gustavo Amorin, diplômé de la Sorbonne de l’UCL et de l’ULB, a eu une conversation sur ce réseau social par échange de messages avec une de ses élèves d’origine asiatique qui l’informait qu’elle allait se convertir à l’Islam et ne comprenait pas la manière dont il parlait de l’Islam en classe. En effet, M. Amorin ne cachait pas son hostilité au fait religieux en général. Cependant, dans une école fréquentée par de nombreux élèves musulmans, religion est assimilée à Islam.

M. Amorin a répondu à son élève : « Le côté sacré qu’elles [les religions] sont censées posséder n’est qu’une fabrication artificielle imposée par la force au cours des siècles. (…) Tu as la chance d’avoir été élevée en partie dans la culture confucéenne (bouddhiste pour faire simple), c’est-à-dire une culture très supérieure en termes de discipline, travail, investissement personnel, éducation, etc. Et quand je dis « supérieure », ce n’est pas seulement par rapport aux Arabes, mais également aux Occidentaux. Si tu veux être une bonne croyante, pourquoi pas une bonne catholique, ou protestante, ou juive, ou même athée ? Tu peux même croire en Dieu de manière plus subtile comme font les Bouddhistes. Pourquoi choisir la religion qui se caractérise par le plus haut taux d’analphabétisme et qui possède le plus grand nombre de pays sous-développés et arriérés… ?» La gamine s’est d’abord sentie insultée, puis elle a rectifié et s’est excusée. Le professeur lui a répondu que lui-même avait manqué de diplomatie.

Ce dialogue surréaliste date de février 2012. Il a été dénoncé par la mère de l’élève en décembre 2013. La directrice du lycée a considéré que les propos tenus par M. Amorin étaient « islamophobes et à caractère raciste » et qu’ensuite, il a outrepassé sa fonction en tenant une conversation privée avec une de ses élèves. En effet, il perd son autorité d’enseignant en discutant d’égal à égal avec une jeune fille de sa classe.

Les propos de M. Amorin sont-ils « racistes et islamophobes » ? Quand il évoque la supériorité de la culture confucéenne par rapport à celle des Arabes et à celle des Occidentaux, il établit une hiérarchie. On croirait relire le « Choc des civilisations » de Samuel Huntington. Et c’est de la hiérarchie entre les groupes humains que naît le racisme. Et, si on estime que la religion est affaire privée, il n’avait pas à lui conseiller dans son choix. Il aurait dû lui écrire, par exemple : « Ecoute ta conscience. Elle est ton seul juge. »

L’Islam serait donc la religion plus intolérante, plus violente, aux principes réducteurs et simplistes, donc destinée à des illettrés, que les autres religions et cultures. Sur quelle base peut-on affirmer cela ?

En réalité, l’Islam est loin d’être monolithique. On le voit quotidiennement dans les guerres meurtrières qui déchirent le monde musulman pour lesquelles les Occidentaux portent une lourde responsabilité et dont nous subissons les retombées par le terrorisme. Mais en dehors de cet aspect atroce qui engendre la peur, peur qui explique notre attitude de rejet, il y a plusieurs interprétations de l’Islam qui vont du très libéral et tolérant soufisme aux wahhabites, aujourd’hui les plus forts parce que dotés de la manne des pétrodollars. Les musulmans sont présentés par notre historiographie comme des conquérants. S’il y a eu en effet un Islam conquérant – comme il y a eu aussi les croisades et la colonisation – cette culture ne se réduit pas à son aspect guerrier.

Ici aussi, on établit une hiérarchie. On affirme que la religion musulmane est donc pire que les autres religions. C’est cela l’islamophobie.

Le droit au blasphème n’est pas un devoir.

La laïcité est-elle une réponse ? Malheureusement non, car elle n’est plus adaptée à notre époque. Elle n’est plus ce havre où les anticléricaux et les libres penseurs proclamaient leur adhésion – j’allais écrire leur « foi » – aux principes de liberté, d’égalité et de fraternité, en opposition à l’obscurantisme de l’Eglise essentiellement catholique maintenant ses ouailles dans les chaînes du dogme. Aujourd’hui, avec l’immigration et la mondialisation, le mélange des populations et des cultures, le champ de bataille philosophique n’oppose plus deux camps bien définis. Il n’y a plus LA libre pensée contre LA religion. Il n’y a pas non plus LA libre pensée contre LES religions. Il y a une laïcité qui avec entre autres la montée de l’Islam, n’arrive plus à représenter une réelle alternative.

La laïcité, aujourd’hui, répond à l’Islam par le rejet, voire une hostilité ouverte. On l’a vu en France, notamment avec Caroline Fourest qui veut monopoliser « l’esprit du 11 janvier » (le grand rassemblement à Paris après les attentats contre Charlie Hebdo) en proclamant le droit – presqu’obligatoire… au blasphème. De son côté, Emmanuel Todd voit dans le 11 janvier, une résurgence du pétainisme. Tout cela est excessif et ne fait qu’attiser les tensions.

Dans une récente interview à l’hebdomadaire « Marianne », Régis Debray expose : « Le droit au blasphème n’en fait pas un devoir, notre prière de chaque jour. Et il faut, dans les rapports entre cultures, comme entre voisins de palier, un minimum de civilité. Toutes les agrégations humaines n’ont pas la même horloge, ne vivent pas au même siècle et si, nous nous pouvons pratiquer le second degré avec les images depuis le quattrocento à peu près, beaucoup de cultures confondent encore présence et représentation. »

C’est ainsi que la laïcité doit répondre et non par des bravades et des insultes. C’est non seulement contraire à sa nature, mais c’est aussi une grave erreur stratégique. La laïcité montre qu’elle a peur et elle ne fait guère en sorte d’éloigner les musulmans du dogme en remontant leur horloge – pour reprendre l’image de Régis Debray – pour qu’ils puissent faire avancer leurs aiguilles. Les isoler – comme, par exemple, avec l’interdiction du voile – revient à les mettre entre les mains des « imams de garage » qui inculquent aux jeunes le radicalisme islamique tant redouté par les autorités.

La civilité entre voisins de palier

Communautarisme ou laïcité ? Que choisir ? L’un et l’autre mènent à l’impasse dans l’état actuel des choses. Eh bien, Régis Debray a avancé une proposition intéressante : la civilité.

Sortons de nos polémiques et choisissons la courtoisie. Cela marchera peut-être. Qui sait ?

Pierre Verhas - (publié antérieurement sur uranopole.over-blog.com le) 9 juin 2015