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Louis Van Geyt, ancien président du Parti communiste de Belgique, ancien conseiller communal de la Ville de Bruxelles et homme de conviction nous quittés le 14 avril.

Van Geyt fut le dernier témoin d’une époque à la fois dramatique et pleine d’espoir : de la Seconde guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Robert Falony et moi avons eu l’occasion de travailler avec lui pendant quelques années au club « Osons le socialisme ». Nous lui avions proposé de nous décrire son parcours exceptionnel : Louis Van Geyt a débuté sa vie militante comme étudiant à l’Université Libre de Bruxelles juste après la guerre parmi les étudiants socialistes et après adhéra au Parti communiste. Il fut tout au long de sa vie militante le témoin de tous les grands bouleversements politiques et sociaux en Belgique, en Europe et dans le monde pendant plus d’un demi-siècle. Il nous a accordé six heures d’entretien dont sont rapportés ici quelques éléments significatifs.

 

Louis Van Geyt fut avant tout un coordinateur entre différentes mouvances afin d'aboutir à des objectifs communs. Il fut aussi le dernier témoin d'une époque.

Nous l’avons dit : il fut le dernier témoin. Je pense que le meilleur hommage à lui rendre est de lui donner une ultime fois la parole en rapportant ce qu’il nous a confiés à Robert et à moi.

Entre temps, un autre ouvrage est paru reprenant des entretiens de Louis Van Geyt avec un autre militant, Jean Lemaître. Il s’intitule « Louis Van Geyt la Passion du Trait d’Union » Coédition Memogrammes et CARCOB, Arquennes, 2015. Cet ouvrage interview reprend avec esprit critique tous les aspects de la vie militante de l’ancien Président du Parti communiste de Belgique.

Louis Van Geyt est né le 24 septembre 1927 à Anvers d’une famille de moyenne bourgeoisie. Il fut l’aîné d’une fratrie de trois. Son père était magistrat et sa mère enseignante. Son père a d’abord exercé à Anvers et en 1936, on lui proposa de devenir professeur full time à l’ULB.

Une prise de conscience de classe

Très jeune, il prit conscience de la lutte des classes. Son père flamand, issu d’un milieu modeste, n’était pas admis dans le sérail d’une magistrature où seuls les rejetons des grandes familles et de la haute bourgeoisie pouvaient avoir accès. Cette forme d’exclusion sociale a sans doute influencé le jeune Van Geyt dans ses futurs engagements politiques.

Pendant la guerre, Louis Van Geyt fit ses études secondaires à la section A de l’Athénée de Bruxelles qui devint par après l’Athénée Robert Catteau. Ainsi, Louis Van Geyt commença à avoir une analyse critique des événements. Et dès août 1945, il lia le bombardement de Dresde à ceux d’Hiroshima et de Nagasaki. Dans une interview à « Ensemble » datant de 2014, il dit :

 

La bombe d'Hiroshima et celle de Nagazaki furent deux crimes contre l'humanité.

« Le second événement qui m’a terriblement marqué, c’est Hiroshima et Nagasaki. J’ai toujours considéré que si la Shoah fut le plus grand crime du Reich allemand, le plus grand crime de la Grande Démocratie américaine a été les bombes atomiques sur les deux villes japonaises. »

Louis Van Geyt commença à militer dès son entrée à l’Université. Il entra à l’ULB, à sa réouverture, le 30 novembre 1944, entamant des études de sciences économiques.

Van Geyt adhéra aux Etudiants socialistes et a commencé sa vie militante par ce qu’il fut tout au long de sa vie : un coordinateur. Ses qualités de dialogue, son flegme, sa lucidité dans le rapport de forces firent qu’il fut apprécié dans la classe politique en général et qu’il put ainsi faire réellement avancer les choses.

« Ils [les étudiants socialistes] étaient très à gauche et ils étaient aussi antistaliniens. Il y avait une influence trotskyste parmi eux. J’ai été militant pendant deux ans et j’ai tout de suite joué un rôle de coordinateur interne. Nous avons réussi à former un front de gauche au sein de l’Association Générale des étudiants, alors que au départ le mouvement étudiant était contrôlé par des garçons – il y avait peu de filles à l’époque – qui étaient méritants parce qu’ayant été dans la Résistance, mais qui avaient formé entre eux une espèce de para-loge qui manipulait les cercles étudiants de manière rien moins que démocratique. »

Pendant ce temps, c’était en 1948, la guerre froide avait atteint son paroxysme et les étudiants de l’Université se sentirent particulièrement concernés. Ils avaient tous connu la guerre et l’occupation, certains d’entre eux prirent activement part à la Résistance et la perspective d’un nouveau conflit ouvert, non seulement inquiétait la communauté universitaire comme toute la population, mais si en 1940, les deux camps étaient bien définis : la démocratie contre le fascisme, en 1948, la division de l’Europe en deux blocs antagonistes n’entraînait pas une adhésion aussi unanime. L’URSS qui avait consenti le principal effort de guerre, qui avait sacrifié 20 millions des siens, ne pouvait être tout à coup considérée du jour au lendemain, comme l’ennemi à contenir, sinon à combattre, surtout parmi les cercles étudiants de gauche.

Van Geyt explique :

« A l’AG de l’ULB, nous avons eu une majorité pour refuser de hurler avec Spaak, avec l’argument : les gens qui se sont opposés là bas à l’élimination des communistes, se battaient notamment pour des choses comme le présalaire et d’autres choses ainsi. Donc, il est logique qu’on soit plutôt solidaires d’eux, plutôt que des autres. Et c’était comme étudiants socialistes qu’on a pris cette initiative. »

Louis Van Geyt, à partir de ce moment, s’éloigna des Etudiants socialistes. Mais son rapprochement vers le Parti communiste ne se fit pas sans certaines appréhensions, notamment suite à l’affaire Lyssenko – ce soi-disant biologiste qui était appuyé par Staline – qui défrayait la chronique scientifique et universitaire à l’époque.

Ses études s’achevèrent en 1949.

« Moi, j’étais disponible. Après mes études, je voulais surtout en finir avec l’Univ’. J’ai cherché du boulot. C’était facile pour un licencié en économie, mais j’ai été certainement dans quatre ou cinq parastataux de l’époque. Chaque fois, je fus bien reçu et puis, huit ou dix jours après, c’était non. On s’était informé et j’étais « trop rouge ». Et à un certain moment, par je ne sais quel détour, je suis rentré par la petite porte à la Banque nationale comme stagiaire, où je suis resté un an. Et puis, j’ai claqué la porte, parce que le PCB -KPB m’a demandé de rentrer à son service de documentation. C’était au début de 1951. »

Le combat contre la division

Louis Van Geyt entama ainsi son long parcours au Parti communiste belge

En effet, l’affaire royale divisa le Parti communiste qui, en plus, était isolé, comme on l’a vu, depuis son départ du gouvernement où il s’est aligné sans nuances sur les mots d’ordre du Kominform, c’est-à-dire de Moscou. Cette volte face provoqua à une division, certes larvée mais réelle, au sein du PCB. Dans l’affaire royale, le slogan « Vive la République ! » lancé par la direction du Parti fut d’ailleurs un élément de cette division.

Cependant, une tragédie allait paradoxalement permettre au Parti communiste de retrouver son unité et une partie de son prestige : l’assassinat le 18 août 1950 de Julien Lahaut, Président du Parti communiste de Belgique, au seuil de sa maison à Seraing.

 

Monument dressé à la mémoire de Julien Lahaut à Saraing assassiné par un sbire de l'extrême-droite liée au "stay behind" le 18 août 1950.

Ce fut au 11e Congrès du PCB qui se tint à Vilvorde en 1954 que la ligne du Parti s’assouplit, notamment sous l’impulsion de René Beelen avec qui Van Geyt travailla de nombreuses années.

Par après, Louis Van Geyt, jeune cadre du PCB, fut envoyé dans le Borinage à la rencontre des mineurs. Voilà donc un jeune homme bruxellois d’origine anversoise, à peine sorti des études qui va apporter la bonne parole du Parti à des syndicalistes mineurs aguerris. Van Geyt redouta un accueil hostile ou à tout le moins condescendant. Il n’en fut rien. Il fut très bien reçu parce qu’il avait une grande capacité d’écoute et comprit très vite les priorités du monde des mineurs et de leur organisation syndicale. Au lieu de transmettre des mots d’ordre venant du « sommet », il écoutait et tentait de faire une synthèse entre les exigences des mineurs et celles du Parti dans un constant débat. C’est ainsi qu’il put se faire apprécier de la base.

Mais, à sa mémoire, passons à un autre domaine : son rôle dans les relations internationales au sein du mouvement communiste, mais aussi dans le cadre de contacts avec des organisations de la gauche non communiste et même avec le gouvernement, dans le mouvement de la Paix et dans le rapprochement Est-Ouest.

A bas les hégémonies !

Pierre Galand qui fut président du CNAPD et qui anima pendant des années le Mouvement de la Paix notamment dans les années 1980 lors de la campagne contre l’installation des missiles dit de croisière en Europe, dit de Louis Van Geyt :

 

Pierre Galand appréciait le rôle de coordinateur de Louis Van Geyt.

« Van Geyt a eu l’intelligence d’observer ce qui se passait et de réunir des gens épars. Il était attentif à dire : cela il faut le faire et comment puis-je y contribuer ? C’était aussi une manière d’exister. Il était président d’un parti qui essayait d’exister alors qu’il ne faisait que perdre les élections. (…) Et il se demandait : comment être reconnu ou accepté sachant qu’il n’y avait quasiment plus personne qui détenait des positions de pouvoir même au niveau régional ou local ?

Il leur restait une influence au sein du Mouvement de la Paix composé essentiellement de chrétiens et de socialistes, parce qu’ils avaient la capacité d’être des médians entre le monde l’Est et le monde de l’Ouest.

Il a fait cela avec talent et en même temps c’était important parce que, à un moment donné en Belgique, il y a eu une convergence assez extraordinaire entre les personnes qui considéraient que les tensions entre l’Est et l’Ouest étaient nuisibles et surtout dangereuses pour le mouvement ouvrier et pour la gauche. Dès lors, ils essayaient de trouver à tout prix une solution à ce qui pouvait être un dialogue. Et le Parti communiste avec Louis Van Geyt a joué un rôle intéressant parce qu’ils ont essayé de s’afficher non pas comme l’avant-garde de l’eurocommunisme, mais comme une organisation pouvant servir d’intermédiaire. »

Et, en cela, Louis Van Geyt avait beaucoup d’expérience. Lors de la crise des euromissiles qui a commencé en 1979, il nous a donné l’analyse suivante :

« Dans l’immédiate après-guerre, il y a eu des choses comme d’une part Camiel Huysmans qui a d’ailleurs été Premier ministre d’un gouvernement de gauche dit de « la mouette » qui n’avait qu’une seule voix de majorité dans une des deux Chambres. Et il y a eu la reine Elisabeth. Tout cela c’était des forces de l’establishment qui, à des degrés divers, étaient là pour freiner la course aux armements et pour faire jouer à la Belgique un rôle plutôt modérateur.

 

La reine Elisaeth de Belgique ne manqua pas de s'engager ouvertement en faveur du Mouvement de la Paix. Ce qui déplaisait grandement à l'establishment.

Alors, nous avons, dans une certaine mesure, profité de cela pour stimuler le courant pacifique en Belgique.

Il y a eu toute une série d’épisodes. Par exemple, il y eu un moment où l’OTAN a exigé que les quatre petites puissances du Nord-Ouest de l’Europe – la Norvège, le Danemark, les Pays-Bas et la Belgique, modernisent leurs forces aériennes. Les trois premiers ont opté tout de suite pour le F16 américain. Et Vanden Boeynants [dirigeant de la droite catholique francophone belge de l’époque] qui était ministre de la Défense à ce moment là, était tout sauf désintéressé a, pendant tout un temps, soutenu l’avion français de l’avionneur Dassault. Finalement, il y a eu un compromis : la Belgique s’est ralliée au F16 et Dassault a eu une « compensation » significative.

Entre temps, il y a eu un mouvement très important de jeunes et surtout de jeunes Flamands contre cette « modernisation ».

Une grande manifestation a eu lieu sous le mot d’ordre : « A bas les hégémonies ! », ce qui était le signe d’une influence maoïste, parce que les hégémonies, c’était Washington et Moscou. Mais, suite à cela, il y a eu dans le Parti [le Parti communiste] deux attitudes différentes. Plusieurs dirigeants ont dit : « Ce sont des maoïstes ! On ne peut pas participer à cela ! » Et moi, j’ai pris la tête de l’autre tendance. J’ai dit : « On y va. On soutient ça ! » Et j’ai participé à cette manifestation aux côtés d’André Cools qui était d’ailleurs, à ce moment-là, le chef de l’opposition socialiste.

Bien sûr, ce mouvement n’a pas empêché l’achat des F16, mais il a suscité vraiment la naissance de tout un mouvement, de toute une opinion, par exemple, très forte à la KUL [Katholieke Universiteit Leuven – l’Université flamande catholique de Louvain] et aussi très forte au sein du MOC [Mouvement Ouvrier Chrétien – l’aile gauche de la mouvance chrétienne] flamand, parce que d’ailleurs des gens comme De Gendt et Lindemans [deux dirigeants de la gauche chrétienne ] ont coopéré – j’ai eu beaucoup de contacts avec eux – avec Jean Terfve [ancien ministre communiste, sénateur et spécialisé en relations internationales] dans le mouvement qui avait été créé par Moscou mais qui avait pris pas mal d’autonomie, le Comité pour la Sécurité européenne qui a conduit aux accords d’Helsinki.

Et tout cela eut un poids très important en Belgique, y compris dans l’establishment à l’opposé de personnages zélés dans la course aux armements. Et le principal acteur dans cette affaire fut évidemment Pierre Harmel. »

 

Pierre Harmel et Willy Brandt : deux artisans majeurs du rapprochement Est-Ouest

Un homme d’ouverture : Pierre Harmel

Pierre Harmel (1911-2009) fut un homme politique catholique de centre droit. Il fut Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de 1966 à 1972. On lui doit ce qu’on a appelé la « doctrine Harmel » qui consistait à un rapprochement entre les « petites puissances » de l’Est et de l’Ouest tout en maintenant un arsenal moderne. Cette politique est à mettre en parallèle avec celle du chancelier Willy Brandt en République fédérale d’Allemagne.

On doit en cela reconnaître que Pierre Harmel eut une vision d’avenir dans une Europe divisée où le risque d’une guerre nucléaire était sérieux. Incontestablement, Pierre Harmel fut le plus grand ministre des Affaires étrangères belge de l’après-guerre.

Louis Van Geyt ajoute – et c’est là qu’on s’aperçoit de l’important rôle d’intermédiaire et de coordinateur qu’il joua dans sa vie politique.

« J’ai été en contact constant avec Harmel. Il se servait de moi comme intermédiaire entre lui et l’Est. Il était en contact direct avec Adam Rapacki, un ancien social-démocrate, qui a été ministre des Affaires étrangères de Pologne, mais celui-ci a été mis à pied sur l’ordre de Brejnev [Rapacki a été aussi écarté lors des campagnes antisémites qui sévissaient en Pologne et en URSS pendant cette période. Rapacki est l’auteur d’un plan qui porte son nom et qu’il a présenté à l’Assemblée générale des Nations Unies qui consistait à dénucléariser les deux Allemagnes, la Pologne et la Tchécoslovaquie, plan rejeté par les Occidentaux]  Avec Harmel, Rapacki a tenté d’obtenir que les petites et moyennes puissances des deux Alliances puissent jouer un rôle de désescalade. Mais, ça, Brejnev n’en voulait absolument pas ! Il fallait marcher le petit doigt sur la couture du pantalon ! Et donc, Rapacki s’est fait dégommer. »

Cela n’a pas découragé Harmel. Selon Louis Van Geyt : « Harmel a continué et il a proposé sa fameuse doctrine de Reykjavik [mieux connue sous le nom de plan Harmel] qui a joué un grand rôle parce qu’il a fait admettre par le Conseil des ministres de l’OTAN qu’il fallait à la fois s’armer suffisamment pour ne pas être pris de cours en cas d’attaque Soviétique, très peu probable, mais… et, d’autre part, mener une politique de paix, ce qui a notamment contribué à ce que tout le mouvement anti F16 depuis le départ, maintienne son mot d’ordre initial : A bas les hégémonies ! »

L’inlassable intermédiaire

De son côté, Pierre Galand évoque le rôle d’intermédiaire de Louis Van Geyt et aussi du Parti communiste de Belgique.

« Comment l’ont-ils [les communistes belges] fait ? Ils l’ont fait à travers la sécurité et la coopération européennes. Il avait été créé un comité pour la coopération européenne dans lequel la CSC et la CGSP qui étaient dirigées par des gens comme Lindemans pour la CSC qui étaient très sensibles à la question de la Paix, plus que le mouvement ouvrier en général. La CGSP était présidée par un communiste liégeois, Gilbert Mousset, ancien cheminot et ancien résistant. Je le compare à Salvador Allende.

Donc, Mousset, Lindemans et une frange de l’Eglise catholique dont le chanoine Goor, vont accepter de fonder un comité pour la sécurité et la coopération européennes dans lequel ils vont m’inviter.

Ils vont travailler à préparer les accords d’Helsinki avec les Soviétiques. Ils rencontrèrent chez les Soviétiques, un interlocuteur extraordinaire : Vadim Zagladine. Ensemble, ils vont créer les « baskets », c’est-à-dire les « paniers » dans lesquels on peut discuter. Par exemple, que peut-on faire pour les droits des travailleurs dans toute l’Europe ? Que peut-on faire pour les Droits de l’Homme ? Les droits culturels ? Il y aura ainsi sept à huit domaines qui seront la base des accords d’Helsinki.

 

Vadim Zagladine, un des artisans majeurs de l'ouverture en URSS

Et c’est là-dessus que Gorbatchev va essayer de s’appuyer. Il ne réussira pas. Il voulait mener à bien un projet comme celui de de Gaulle : l’Europe de l’Atlantique à l’Oural qu’il nommait la « maison commune ». Louis Van Geyt et moi étions d’accord : c’est cela qu’il nous faut ! »

Pierre Galand en tire les conclusions :

« On avait une perspective. On avait une vision de l’Europe, cette vision de l’Europe de l’après Deuxième guerre mondiale qui était la grande Europe dont de Gaulle avait parlé, dont Zagladine avait parlé, dont Andropov va parler avant même l’arrivée de Gorbatchev. Et il va y avoir des tas de propositions pour avancer dans ce sens-là, mais il se fait que l’on va rentrer très vite dans un projet de guerre froide renouvelé, réactivé dès 1979.

Et cela va tout gâcher, parce que c’est exact que les Américains veulent la confrontation. Ils veulent établir le pouvoir absolu et engagent le bras de fer avec les Soviétiques.

Van Geyt a essayé de faire en sorte – il n’avait plus les moyens d’être leader – d’amener les communistes un peu plus excités à être les contributeurs et à être des alliés positifs.

Van Geyt a amené le PCB à rester le plus longtemps possible un des partenaires à gauche dans ce qui était la société civile. »

La fin des illusions

De son côté, Louis Van Geyt ne se faisait plus d’illusions. Il explique :

« En 1989, avant la chute de Gorbatchev, je suis à Moscou et je constate que les choses vont mal, qu’il y a une inflation désordonnée, etc. Et je demande à rencontrer un des économistes arméniens dans l’entourage de Gorbatchev. Un type comme les autres presque tous venus de Novossibirsk qui était un centre intellectuel pro-Khrouchtchev qui a fait toutes sortes d’études sur toutes sortes de questions. Et je demande à le rencontrer. Le type avait perdu son influence, mais je persiste. Et je lui dis : Camarade, pourquoi est-ce que vous ne pensez pas à des mesures comme celles qui ont été prises par Gutt en Belgique ? Et je lui explique ce que c’est. Il me répond : Gutt, je ne connais pas. Mais je connais très bien Ehrardt qui a fait la même chose en Allemagne, tout de suite après la constitution de la République fédérale. Je suis un disciple d’Ehrardt, j’ai suivi des cours chez lui et je trouve qu’Ehrardt a fait cela très bien.

Mais pour notre pays, cela ne convient pas !

Pas d’autres explications. En réalité, les mafias étaient déjà en train de prendre le pouvoir dans les républiques et dans les régions et voulaient continuer leur politique d’inflation, de marché noir et de vendre des entreprises au privé, c’est-à-dire souvent à eux-mêmes. Pour une bouchée de pain, on vendait des entreprises publiques. Le truc était vermoulu.

Gorbatchev est arrivé beaucoup trop tard. Et d’ailleurs, il a fait des gaffes. La première gaffe qu’il a faite c’est d’interdire frontalement l’alcool en Union Soviétique ! Autant il était juste de commencer une politique, mais progressivement. »

On sait ce qu’il est advenu par après. La chute du Mur a sans doute apporté la liberté dans les pays d’Europe centrale et en Russie, mais au prix d’un appauvrissement des populations et de la prise de pouvoir d’oligarchies en Russie dont les méthodes peuvent être assimilées à celles des mafias. Un Poutine, lui-même membre d’une de ces oligarchies, arrive peu ou prou à contrôler tout cela mais avec des méthodes rappelant les années noires du stalinisme.

Louis Van Geyt fut un homme de dialogue, plutôt de débat. Le grand projet d’une Europe indépendante, de la « Maison commune » a été tué dans l’œuf. Il en fut un des maîtres d’œuvre en Belgique. Avec la modestie qui le caractérisait, il disait : « Je faisais partie d’une minorité qui avait le rôle de coordinateur. »

Ainsi agissait-t-il pour la paix et dans l’intérêt de la classe ouvrière.

Il a essayé.

À la nouvelle génération d’essayer aussi.

Pierre Verhas- 21 avril 2016