Porter le foulard au travail : Qu’en disent les premières concernées ?
La question du voile cristallise les débats depuis plusieurs années. Que cela soit dans un lieu public ou un lieu privé, la population ne semble pas toujours être claire entre ce qui peut être fait et ce qui constitue une discrimination.
Cependant, nous pouvons constater que les principales concernées face aux décisions tant politiques que judiciaires n’ont pas souvent l’occasion de s’exprimer.
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La thématique du port du voile sur le lieu de travail nous semble être une thématique qui nécessite toute notre attention. Nous savons que le port de signes religieux, notamment en ce qui concerne la religion musulmane, peut entraîner toute une série de discriminations, ainsi que des actes et discours de haine, principalement à l’encontre des femmes portant le foulard. Comment en tant qu’organisation d’éducation permanente pouvons-nous laisser la parole à ces femmes qui se retrouvent stigmatisées et face à de nombreux obstacles ?
En ce qui concerne la législation, je vous renvoie à deux analyses sur notre site qui traitent de ces questions[1]. Ici, il s’agit plutôt de relayer la parole de ces femmes qui subissent des discriminations structurelles mais également primaires ou individuelles, sur base de leurs convictions religieuses.
La création d’un groupe de travail
L’année passée, suite à plusieurs faits divers mais également agressions tant verbales que physiques, nous avons décidé, en tant qu’association d’éducation permanente, de travailler avec des femmes musulmanes pour qu’elles puissent s’organiser et travailler sur les questions d’Islamophobie.
L’islamophobie étant une de nos thématiques de travail, il nous semblait crucial de pouvoir laisser les femmes musulmanes s’exprimer et porter leurs revendications. En tant qu’association, nous avons donc décider d’ouvrir un groupe de travail dont la thématique principale serait « Le port du voile au travail ».
Les rencontres de ce groupe ont permis aux femmes présentes d’échanger sur les difficultés et les obstacles auxquels elles ont dû faire face soit lors des entretiens d’embauche, sur leur lieu de travail ou encore dans le milieu scolaire.
Cette analyse ne se veut pas être une analyse juridique de la situation mais plutôt une mise en alerte face aux discriminations que subissent certaines de nos concitoyennes sur base de leur religion. Il s’agit d’énoncer des faits et des difficultés auxquelles elles sont confrontées au quotidien et les impacts que ces difficultés peuvent avoir sur la vie professionnelle mais également privée. Ces faits proviennent directement des personnes concernées avec qui nous avons pu échanger.
Il est toujours nécessaire de rappeler qu’une partie de la population belge a plus de difficultés à trouver un emploi que d’autres. Les personnes musulmanes, arabes, noires, rroms, font partie des populations qui doivent faire face aux discriminations sur base soit des convictions religieuses, soit sur l’un des 5 critères dit raciaux, si l’on s’en réfère aux lois antidiscrimination. La première constatation est que comme beaucoup de belges, nous ne sommes pas toujours au courant des lois et de ce qu’un employeur peut nous interdire ou non.
Néanmoins, le groupe de travail autour de cette thématique du port du voile met en avant les difficultés inhérentes à obtenir un emploi lorsque l’on est musulmane et voilée[2] : la question de la photo ou non sur le CV, l’étape de l’entretien d’embauche, les exigences post-engagement ou encore le choix de l’université ou de l’école supérieur pour les étudiantes.
Nous allons revoir chacune de ces étapes et les discrimination subies par les femmes portant le foulard.
L’étape du CV
La première question repose souvent sur le fait de mettre ou non sa photo sur le CV que l’on envoie à une entreprise. Si la majorité des personnes belges ne se pose pas la question, les femmes portant le foulard sont déjà prises de doutes. En effet, lors du groupe de travail, plusieurs avis divergeaient mais la conclusion était la même. Que l’on décide de mettre ou pas sa photo, si l’employeur refuse d’engager une femme parce qu’elle porte le foulard, il finira par le faire soit à l’étape du CV, soit à l’étape de l’entretien. La question du temps était invoquée. Le fait de mettre sa photo sur son CV peut faire gagner du temps à la personne cherchant un emploi. Car si l’employeur ne souhaite pas engager de femme avec un foulard, le CV sera directement mis de côté sans passer par l’étape de l’entretien d’embauche qui mobilise du temps et de l’énergie pour la candidate.
Le problème peut également être lié au nom de famille. Certains employeurs s’arrêtent directement face à un nom qui ne sonne pas belgo-belge ou belgo-français. Certains CV de personnes musulmanes sont donc directement mis de côté sans que l’employeur puisse évaluer le profil et les compétences des personnes.
L’entretien d’embauche
Ce qui ressort principalement des échanges dans notre groupe de travail est la volonté des employeurs d’engager la candidate mais que le voile pose problème. Ainsi, la future travailleuse aurait toutes les compétences requises mais pour toute une série de raisons invoquées par l’employeur, son voile est en contradiction avec l’esprit de l’entreprise. Souvent, ces raisons sont de l’ordre de projections (« les clients ne se sentiront pas à l’aise ») ou de l’ordre de l’hygiène ou de la sécurité au travail. Cependant, plusieurs entreprises ont déjà démontré que certains de ces arguments étaient assez faibles et que le voile peut convenir à la majorité des situations.
Après l’engagement
Les échanges du groupe nous ont montré que une fois engagées, certaines femmes musulmanes sont priées par leur employeur d’enlever leur voile. L’employeur peut les mettre dans une situation difficile car pour certaines elle se retrouvent prises entre la nécessité de travailler et leurs convictions religieuses. Certaines déposent un signalement auprès d’UNIA, avec comme motif une discrimination sur base des convictions religieuses. D’autres décident d’arrêter leur contrat. D’autres encore enlèvent leur voile en arrivant au travail et le remettent en quittant le bâtiment.
Les employeurs ne connaissant pas la religion musulmane, certains n’ont aucune idée de ce que peut représenter le port du foulard. Demander à une femme musulmane d’enlever son foulard est une violence. Pour certaines, elles arrivent à vivre sans que cela n’ait d’impact sur leur santé mais pour d’autres, il s’agit d’une violence qui peut provoquer du stress, des angoisses, et la création d’un environnement de travail « insecure ».
Nous relevons également que certains employeurs qui engagent une (ou des) femme musulmane attendent parfois en retour une sorte de gratitude, des remerciements. Cela nous amène à nous interroger quant au fait que ce type d’action pourrait également traduire une forme de paternalisme mais également que le racisme présent au sein de notre société est connu de certains employeurs et que ceux-ci peuvent en jouer.
Aussi, nous remarquons que pour certaines, une fois engagées, elles se retrouvent à des postes en backoffice, des postes où elles ne sont plus en contact avec le public de l’entreprise ou de l’association. Ce qui n’était pas toujours dit explicitement dans le contrat de travail.
Les études
Au-delà de la recherche d’emploi et du domaine du travail en général, les études sont aussi semées d’obstacles pour les femmes musulmanes. Si certaines écoles et universités acceptent le port de signes religieux, ce n’est pas le cas de toutes. Certaines écoles inscrivent ainsi dans leur règlement d’ordre intérieur que le port de couvre-chef est contraire aux règles. De manière indirecte, les femmes musulmanes sont donc touchées.
Les discussions du groupe de travail ont mis en avant la réflexion faite par certaines participantes avant le choix de leur université, de leur haute école ou tout simplement de leurs études. Car si une école accepte le port de signes religieux, les lieux de stage ne sont parfois pas aussi inclusifs. Certaines participantes exprimaient donc leurs difficultés à pouvoir continuer leurs études et valider leurs crédits car aucun lieu de stage ne souhaitait les accepter avec leur voile.
Certaines femmes choisissent donc des filières car leur identité religieuse y est admise et non pas car il s’agit de leur vocation ou d’un réel choix.
Le communautarisme, la conséquence de l’exclusion
Que faire donc face à cette difficulté d’accès à l’emploi ou aux études ? Les participantes mettaient en avant le fait que chercher un emploi où la religion est acceptée est parfois plus simple. Elles se tournent donc parfois vers des associations ou des institutions majoritairement composées de personnes musulmanes ou d’associations où la question de port du signes religieux n’est pas un problème.
Elles se retrouvent ainsi parfois face à l’idée de la création et de l’amplification d’un communautarisme musulman. Avancer l’argument du communautarisme semble dès lors un non-sens lorsque l’on écoute l’histoire de ces femmes et les difficultés face auxquelles certaines ont dû faire face pour obtenir un emploi et le conserver.
Aussi, le fait de travailler dans un secteur où elles sont acceptées, n’est donc pas toujours un repli sur soi volontaire mais plutôt une conséquence face aux difficultés d’accès à une profession.
Il semble également important de rappeler aux femmes musulmanes quels sont leur droits en matière de port de signes religieux. En effet, la législation antidiscrimination peut être une ressource pour celles qui se retrouvent confrontées à une forme de discrimination sur leur lieu de travail. La transmission d’informations et les possibilités d’échanges entre ces femmes sont donc nécessaires. Cela permet de faire circuler les informations sur le monde du travail mais également sur l’avancement (ou non) de la jurisprudence sur les situations de port de signes religieux au travail.
Et la suite ?
La suite de notre groupe va mettre en place un projet tournant autour de l’emploi et des discriminations envers les femmes musulmanes. Nous pensons qu’il est important de soutenir les initiatives des personnes concernées et de les aider comme nous le pouvons pour faire avancer leur projet.
En tant qu’association d’éducation permanente, mais également en tant que citoyen ou monde politique, il est primordial d’écouter la parole des personnes concernées par le racisme et les discriminations. Ce n’est qu’en réalisant ce que nos concitoyen-ne-s vivent que nous pourrons travailler ensemble pour œuvrer pour une société plus juste et plus égalitaire.
[1] « La politique de neutralité en entreprise : Le choc des libertés. Que doivent savoir les employeurs ? » Aïcha Mohamed Ali http://www.bepax.org/publications/analyses/la-politique-de-neutralite-en-entreprise-le-choc-des-libertes-que-doivent-savoir-les-employeurs,0000980.html
[2] Quand nous parlons du « voile » ou du « foulard » nous parlons du « hijab », voile couvrant la tête et laissant le visage apparent.