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I La guerre c’est la paix.

Vous rappelez-vous ? Il y a un an, dans son émission sur BFM TV, le journaliste Jean-Jacques Bourdin s’indignait du système de reconnaissance faciale pratiqué en Chine, où chaque citoyenne et citoyen chinois est filmé par des caméras spéciales installées un peu partout et qui usent de la technologie de la reconnaissance faciale. Ainsi, chacune et chacun est identifié, mais aussi coté sur tous ses faits et gestes. Par exemple, une personne qui traverse à un feu rouge ou en dehors des passages cloutés est automatiquement sanctionnée par une amende et par un retrait de points qui s’il devient trop important peut provoquer l’interdiction de voyager ou de postuler à telle ou telle fonction. De plus, le portrait et le nom de la personne fautive sont exposés sur des grands panneaux électroniques au vu et au su de tout le monde.

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Des millions de caméras de surveillance sont dispersées dans les espaces urbains chinois et permettent de reconnaître chaque individu !

Bourdin, regardant cela lors de la présentation d’un reportage sur le sujet effectué par un de ses collègues, s’écria : « Là, Big Brother est dépassé ! »

Eh non, Monsieur Bourdin, Big Brother n’est pas dépassé ! Bien au contraire, il est bien présent et en parfaite forme. « 1984 » est devenu réalité en Chine. En Chine seulement ? Bien sûr que non ! Les firmes chinoises qui ont conçu et fabriqué ce genre de caméras en pratiquant ce qu’on appelle aujourd’hui l’Intelligence Artificielle (IA) ont exporté leurs produits en Europe et dans d’autres pays et ont même effectué des transferts de technologie. Ainsi, sans qu’on le dise, la reconnaissance faciale s’installe un peu partout. Et ces technologies s’épanouissent avant tout dans un environnement totalitaire.

Mais cet environnement totalitaire est la résultante d’un état de guerre permanent comme le décrit l’historien américain Graham Allison.

Le piège de Thucydide

Le « Monde » du 10 juillet 2019 rapporte une interview de l’historien et spécialiste américain de la géopolitique, Graham Allison, ancien collaborateur du président Jimmy Carter, ancien secrétaire adjoint à la défense de Bill Clinton et conseiller spécial du secrétaire à la défense sous Ronald Reagan. Il est en plus professeur honoraire à l’université de Harvard. Il ne s’agit pas d’un néoconservateur se basant sur le prétendu « choc des civilisations », mais d’un analyste des rapports de forces entre grandes puissances. Allison a publié en 2017 un ouvrage édité en français en 2019 chez Odile Jacob intitulé Vers la guerre. L’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide ? Sa thèse : La guerre entre les Etats-Unis et la Chine serait inévitable, avertit le professeur Graham Allison, sauf si Américains et Chinois contournent le piège de Thucydide.

ob d7d872 graham allisonGraham Allison : l'intelligence artificielle se développe mieux dans un régime totalitaire.

Qu’est-ce que le piège de Thucydide ? L’historien grec Thucydide auteur de Le guerre du Péloponnèse qui opposa Sparte à Athènes de 431 à 404 avant notre ère est la résultante d’un piège : la puissance montante – à l’époque, l’Athènes de Périclès, forte de sa victoire contre les Perses lors des guerres médiques (490-479 av. J.-C.) – suscite une vive inquiétude de la part de sa rivale, Sparte, cité stratocratique grecque par excellence [une stratocratie est une forme de gouvernement militaire dans lequel l'État et l'armée sont traditionnellement et constitutionnellement la même entité, et où les postes gouvernementaux sont toujours occupés par des officiers], qui n’a pas d’autre alternative que d’intervenir militairement pour conserver sa place de leader du monde hellénique. Près de 2 500 ans après la défaite d’Athènes, Graham Allison plaque cette grille de lecture sur les relations ambivalentes entre Pékin, la puissance émergente, et Washington, la puissance établie dans un monde à nouveau divisé en deux sphères, comme à l’ère de la Guerre froide entre les Etats-Unis et l’URSS.

« Lorsqu’une puissance émergente menace de détrôner la puissance dominante, comme ce fut le cas d’Athènes et de Sparte dans l’Antiquité ou de l’Allemagne et du Royaume-Uni au début du XXe siècle, tous les signaux d’alarme s’allument.

Ce qui est intéressant, c’est que la plupart des guerres qui ont résulté de cette rivalité, au cours des quelque cinq cents dernières années, n’ont pas été déclenchées par la puissance émergente, mais par un incident extérieur, qui n’avait parfois presque aucun lien, comme l’assassinat de l’archiduc Ferdinand à Sarajevo en 1914, qui, à l’époque, n’a même pas fait la « une » des journaux anglais.

Si Thucydide nous regardait aujourd’hui, il dirait que tout se passe comme prévu. On est en train de se préparer le parfait piège de Thucydide : la Chine est la puissance émergente par excellence et si vous cherchiez quelqu’un pour le rôle du leader de la puissance dominante dans le film, vous ne trouveriez pas mieux que Donald Trump. »

Observons qu’une fois de plus, l’Europe est absente de ce jeu d’autant plus que son territoire ne serait pas le théâtre de cette éventuelle guerre.

En plus Graham Allison démolit l’idée fort répandue que l’innovation technologique ne peut se développer que dans une société où il y a la liberté de pensée.

« … si l’on prend l’exemple de l’IA. Pour nous, c’est un domaine où seuls les gens libres dans une société libre peuvent faire progresser l’innovation.

Est-ce toujours la règle ? J’ai essayé d’être très empirique et de regarder ce qui se passe : incontestablement, dans plusieurs domaines d’application de l’IA, la Chine ne se contente pas de rivaliser avec les Etats-Unis, elle les dépasse. » Il prend comme exemple les paiements par carte de crédit :

« Si vous voulez payer avec une carte de crédit dans un café Starbucks à Pékin ou à Shanghai, c’est comme si vous vouliez payer à Paris avec une poignée de centimes, ça énerve les gens parce que ça prend du temps : eux, ils sortent juste leur téléphone pour le flasher. Et maintenant, dans de nombreux endroits, vous ne sortez même pas votre téléphone, vous avez juste à montrer votre visage ! Dans la technologie financière, ce sont parfois les Américains qui s’inspirent des Chinois. »

Et pourquoi ? C’est ici que nous retrouvons Big Brother.

« Le carburant de l’IA, ce sont les données personnelles. En Chine, on collecte toutes les données et les gens qui travaillent sur l’IA ont accès à des millions de données de plus que ce que les chercheurs peuvent avoir aux Etats-Unis. C’est difficile de résister… »

La collecte des données personnelles devient le problème numéro 1 et il est très difficile de le résoudre. Et c’est en cela que nous devons nous poser la question de l’identité de Big Brother. Cette collecte qui est quasi impossible à contrôler est le fait d’entreprises transnationales qui contrôlent la « toile » comme les fameuses GAFAM qui ont ôté aux Etats leur monopole en ce domaine. Les récents incidents concernant les menaces sur la protection de la vie privée émanant de Facebook, sont symptomatiques : le géant des réseaux sociaux a d’abord fait profil bas et puis aujourd’hui, il redevient arrogant sachant bien qu’aucun Etat ou association d’Etats ne pourra le neutraliser. Et chaque utilisateur du réseau de M. Zuckerberg sait très bien que la censure y est pratiquée avec la complicité de certains Etats dont la France.

ob a9b1e1 mark zuckerbergMark Zuckerberg, le patron fondateur de Facebook n'hésite pas à défier la puissance publique en matière de censure sur son réseau.

Toutes ces données prises à des sources multiples concernent tous les aspects de la vie matérielle, spirituelle, intellectuelle de la plupart des individus sur Terre. Quelle que soit notre condition, nous diffusons des données personnelles qui sont collectées par le « Big Data » qui sont utilisées par les applications IA.

Qu’est-ce que l’IA ? La définition n’est pas simple. L’intelligence humaine est elle-même difficile à définir. Chaque école de psychologie en a une. A fortiori, se lancer dans une explication claire de l’intelligence artificielle est dès lors aventureux. Nous nous contenterons d’analyser ce que l’IA fait et du rôle qu’elle peut jouer.

Prenons un exemple archi connu : un dealer cultive à son domicile du cannabis. Il sera très vite détecté par une facture d’électricité anormalement élevée pour le type de domicile qu’il habite. Cela n’a rien à voir avec l’IA, mais c’est le principe du Big Data. Une déduction est faite sur la base d’une donnée (la consommation d’électricité du dealer) par rapport à un ensemble d’autres données (la consommation moyenne d’électricité dans les domiciles de la même catégorie que celui du dealer). De plus, cette donnée peut être exploitée à d’autres fins, comme faire un recensement des dealers dans une région donnée. Sur le même principe, vous payez électroniquement une facture pour l’achat d’un objet quelconque. Non seulement, il est possible de déterminer ainsi vos goûts ou vos besoins ainsi que l’état de vos finances, même si la banque par laquelle vous faites cette transaction vous garantit la confidentialité. On pourra ainsi alimenter d’autres banques de données, comme le taux de vente de l’objet en question par le commerce ou le fabricant. Et c’est un processus similaire dans tous les domaines pour chacun d’entre nous, comme la santé, les déplacements, les activités, les loisirs, les intérêts culturels, les opinions politiques, etc. En rassemblant et en triant toutes ces données, il sera dès lors possible de tout savoir sur chaque individu peuplant cette Terre et en le rendant ainsi « transparent ». Autre exemple, votre médecin vous prescrit tel type de médicament. Eh bien, via le « Big Data », une compagnie d’assurance pourra déduire sur la base de votre consommation de médicaments de quel type de pathologie vous souffrez et ainsi vous refuser toute couverture le cas échéant.

Le collecteur et l’utilisateur du « Big Data » n’est rien d’autre que le marché qui dispose petit à petit d’un pouvoir absolu. Néanmoins, aujourd’hui, en dépit des garanties juridiques de plus en plus inefficaces, le marché a encore besoin de l’appui des Etats pour parachever sa domination totale.


En fonction du bon vouloir du Prince et du Banquier


Cette complicité est très inquiétante. Certains Etats – du moins ce qu’il en reste – ne défendent plus l’intérêt général mais se mettent au service du marché. C’est le cas de la France « macronienne » qui ne fait que succéder à celle de Sarkozy et de Hollande qui ont tous deux ouvert les portes à la loi du marché. La répression des gilets jaunes dont la violence a attiré l’attention des Nations Unies, les sanctions de plus en plus sévères à l’égard des opposants au président Macron et, dernièrement, la loi Avia sont autant de signes d’une dérive totalitaire voulue par le marché. Nous l’avons évoqué dans notre livraison précédente. Cette loi, sous prétexte de combattre les insultes sur Internet et les réseaux sociaux, porte atteinte à la liberté de la presse qui a été définie en France par une très ancienne loi datant de 1881. Il y aura donc un contrôle à la fois public et privé d’Internet et de la presse écrite, sans oublier que les journaux s’installent de plus en plus sur la toile, d’autant plus que la définition de haine n’est pas claire. Ce qui est la porte ouverte à toutes les censures en fonction du bon vouloir du Prince et du Banquier.

ob 98048a macron jacques attalJacques Attali avec Emmanuel Macron lors de la Commission Attali. L'alliance du Prince et du Banquier.

La guerre c’est la paix

« La guerre c’est la paix », la fameuse formule d’Orwell dans « 1984 ». l’IA et la censure sur la toile sont devenues de redoutables armes de guerre. C’est ce que nous démontre Graham Allison. Dans le piège de Thucydide où nous sommes en train de tomber, Big Brother se nourrit de la guerre. Orwell l’avait compris en montrant que les empires à peine imaginaires qu’il a décrits, sont en guerre permanente.

En la circonstance, Xi Jing Ping est un dirigeant redoutable et l’on s’apercevra que Trump sous ses aspects de clown sinistre l’est presque autant. Les deux Princes servent le Banquier en se livrant à une guerre commerciale permanente qui peut se transformer en conflit ouvert du moins par intermédiaires, comme cela se fait depuis des décennies.


Pierre Verhas

Prochain article : Qui est Big Brother ? II La liberté c’est l’esclavage. Plus spécialement consacré à Julian Assange.

Source: http://uranopole.over-blog.com/2019/07/qui-est-big-brother-i.html