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 Le diesel n’a pas à rougir ; les constructeurs, si !

john rourke unsplash

C’est sous le titre Le diesel n’a plus à rougir que l’association de consommateurs Test Achats vient de publier un article dans sa revue éponyme. Alors que le diesel-bashing n’a pas faibli d’un iota depuis la tricherie des constructeurs, et alors que Bruxelles planifie le bannissement pur et simple du carburant mal aimé sur son territoire en 2030, il faut oser ! Saluons cette audace qui offre l’occasion de mettre en perspective divers éléments du débat et de dénoncer un nouveau scandale plus pernicieux que le dieselgate. Mais aussi de faire des suggestions aux consommateurs à deux mois du Salon de l’auto.

Test-Achats a publié, dans le dernier numéro de son magazine, un article et un Edito consacré aux résultats de tests « écologiques » (émissions de polluants) réalisés sur des véhicules diesel récents. Ils sont souvent positifs et certains sont même qualifiés de « remarquables ». L’information a été répercutée dans le quotidien Le Soir du 28/10/2019 et, reprise, dans l’édition du lendemain du même quotidien.

Les mots pour le dire

Je me suis posé de nombreuses questions sur les motivations de TA à publier un article sur les performances du diesel exclusivement et non sur celles de l’ensemble des 20 véhicules testés actuellement par Green NCPA, l’organisme indépendant qui a procédé aux tests. Et ce, d’autant plus que le rédacteur en chef, Frank Demets, dans son édito affirme que “les nouveaux diesel ne sont pas plus polluants que les véhicules à essence récents, ni même que leurs équivalents électriques“.
Mais j’ai laissé ces question de côté car ce qui a retenu plus particulièrement mon attention, c’est la manière dont les faits sont racontés et ce, dans le contexte particulier dans lequel cet article est publié.

De ce contexte, je retiendrai trois items :

  • Quatre ans de diesel-bashing assez intense suite au dieselgate qui s’est concrétisé par une chute importante du parc de véhicules diesel (78,9% en 2008, 31,1% en 2019) au profit des véhicules essence.
  • La décision toute récente des autorités bruxelloises, de bannir de la ville, dans la continuité de la mise en place d’une zone de basse émission, tous les véhicules diesel en 2030 (Paris prévoit la même mesure dès 2025) et à moteur à combustion interne en 2035.
  • L’ouverture du Salon de l’automobile bruxellois dans 2 gros mois.

Sur le traitement du sujet, je mettrai en évidence 4 particularités et ce, à partir d’extraits choisis dans les trois articles retenus (TA et Le Soir). (Tout ce qui est entre guillemets constitue des reprises texto)

  • La qualification du diesel AVANT le résultat des tests Green NCAP : « Le diesel se retrouve voué aux Gémonies», « Le diesel (…) cette bête noire brandie tel un épouvantail », « La chute infernale des ventes de voitures diesel », « le diesel a touché le fond », « le carburant à scandale », « le diesel était mort, il ne restait plus qu’à organiser ses funérailles ».
  • La qualification du diesel APRES le résultat des tests Green NCAP : « Le diesel n’a plus à rougir» ; « Le diesel n’est pas mort » ; « le diesel, tel un Phoenix, renait de ces cendres » ; « Une (…) diesel brille et se paie le luxe d’avoir une cote de 10/10 » ; « le diesel est désormais « dans les clous » ».
  • La qualité des tests réalisés par Green Cap selon TA : « Green NCAP, la Rolls des tests hyper complets et impitoyables».
  • L’appréciation par les auteurs des résultats mis en exergue : « Les résultats sont convaincants », « l’amélioration est flagrante » ou « frappante» ; . TA, (…) est « « bluffée » ou « épatée » par les progrès réalisés.

Les auteurs – ce sont encore leurs mots – ont décrit l’« itinéraire d’un drame automobile qui aurait pu être évité » au terme duquel se pose la question : « N’a-t-on pas un peu trop vite enterré le diesel ? »

Test Achats s’inquiète alors, avec nuances et sérieux, des « Incertitudes et paradoxes [que suscitent ces résultats] », lesquels « risquent de troubler un peu plus le consommateur, surtout s’il s’apprête à changer de véhicule ». Le Soir, lui, titre simplement : « Diesel ou essence, le casse-tête lors de l’achat d’une voiture » et précise : « Le salon de l’auto arrive. Nombreux y seront les automobilistes à se gratter l’occiput sur « la » question fondamentale : essence ou diesel ?»

Cette lecture assez réductrice de l’étude de TA faite par l’hebdomadaire correspond très probablement à celle que feront de nombreux consommateurs qui risquent d’être rebutés par la longueur de l’article – mais l’analyse fine est à ce prix – auquel, par ailleurs, n’ont accès que les membres de l’association de consommateurs.

Chronique d’une réhabilitation

Le recours au récit à l’avantage de permettre une lecture plus agréable de faits parfois indigestes, permet aussi d’accrocher le lecteur. Mais le point de vue adopté n’est jamais neutre. En choisissant un angle, on en abandonne une série d’autres. Et le récit révèle ainsi une sorte de positionnement, offre à l’interprétation ce qu’il dit mais aussi ce qu’il occulte ; le récit connote.

Un des éléments qui intrigue est l’omniprésence d’un acteur, le diesel, et la quasi absence d’un autre, les constructeurs automobile. Le terme « constructeur » (ou « fabriquant ») n’apparait par exemple que 4 fois dans le texte de TA qui compte 7 pages / 2800 mots / 17.000 signes. Le terme diesel recouvre indistinctement le carburant, le moteur et le véhicule.

En axant le récit sur le diesel, qui après avoir été voué aux Gémonies, renait de ses cendres, tel un Phénix, en personnifiant le diesel, TA induit, certes inconsciemment ou involontairement, une lecture particulière des faits, intégralement reprise par Le Soir d’ailleurs. C’est un récit de réhabilitation.

Pourtant, si l’on y réfléchit, le diesel n’est pas, en soi, le problème. Le dieselgate, ce n’est pas l’histoire de la déchéance d’un carburant, c’est l’histoire d’une tricherie industrielle organisée par des constructeurs dont une des conséquences320 morts supplémentaires par an en Belgique depuis 4 ans – est fortement minimisée . Et dans cette histoire, de déchéance des coupables, on n’en a point vu.

Et le fait qu’il y a aujourd’hui des véhicules diesel qui réussissent les tests résultent de la décision des mêmes constructeurs d’enfin faire le nécessaire, poussés il est vrai dans le dos, pour implémenter des technologies de dépollution dont certaines existent depuis longtemps et ce, et c’est essentiel, parce-que ça les arrange, parce qu’ils en ont économiquement besoin.

Vous aurez compris, ma crainte est que cette réhabilitation du diesel s’étende à celle des constructeurs. Ce qu’à la lecture des articles on pourrait être tenté de faire.

Maintenant que le diesel s’avèrerait (le conditionnel est de mise) à nouveau fréquentable, pourquoi en effet ne pas, « passer l’éponge » sur les pratiques frauduleuses des constructeurs ? Parce qu’aucun d’entre eux n’a fait amende honorable sur ce dossier, qu’aucun d’entre eux n’a présenté la moindre excuse pour les nombreuses morts consécutives à cette tricherie. Si les actions intentées en justice concernent des volets de dédommagements financiers (et TA mène d’ailleurs sur ce terrain une action de qualité), rien n’a été fait pour indemniser les vies perdues.

Il faut veiller à ne pas tourner la page du dieselgate, car rien ne permet de dire que le secteur a tiré les leçons du scandale et qu’il n’y en aura pas d’autres. Rien. Bien au contraire.

La transition sauce constructeurs

Autre question qui me taraude : à quelle nécessité cette réhabilitation du diesel répond-elle dans un contexte où ce qui doit se préparer c’est la sortie rapide des énergies fossiles et donc l’interdiction de plus en plus étendue de circulation pour des véhicules dotés de moteur à combustion interne ? Les enjeux climatiques et de santé publique l’exigent. L’urgence est déclarée.

Est-ce une bonne idée d’offrir la possibilité aux constructeurs de déclarer, la bouche en cœur, qu’une phase de transition dans laquelle le diesel aura sa place est nécessaire avant d’arriver à l’électrique léger et à une refonte en profondeur de la mobilité1? Ce, alors que l’industrie automobile n’a pas voulu anticiper les changements et va se retrouver confrontée au coût des innovations. Les marges bénéficiaires sont réduites sur les petits véhicules et importantes sur les hauts de gamme. Elle menace donc de supprimer les premiers en accusant l’Europe d’être responsable de cette décision. Et dans la foulée, de ne produire qu’une majorité d’électriques hauts de gamme puissants, rapides, lourds (très) et dangereux comme c’est le cas pour l’instant. « Les seuls à blâmer quant au coût élevé des voitures électriques sont les constructeurs eux-mêmes ; la principale raison de ce surcoût est un manque précoce d’investissements dans les chaînes d’approvisionnement et des paris sur le maintien du diesel. Mais leur prix baissera rapidement », affirme Julia Poliscanova, responsable des véhicules propres et de l’e-mobilité chez T&E.
En route vers un SUVgate

« The diesel emissions scandal has faded but another is on its way » explique John Gapper dans un article de la Rolls des quotidiens économiques, le Financial Times. Il tance l’Europe qui s’est couchée devant les constructeurs de voitures lourdes, puissantes, rapides et chères, donc polluantes et dangereuses en adaptant les normes à leur avantage. Et les constructeurs organisent la vente massive de véhicules inappropriés fonctionnant aujourd’hui avec des moteurs thermiques et ils affirmeront bientôt qu’ils n’ont d’autres choix que de faire des SUV électriques. Après le dieselgate, voici le SUVgate.

Il est essentiel de ne pas se faire le relais de la toute-puissance des constructeurs qui orientent le marché selon leurs intérêts financiers stricts, bien au-delà de toutes considérations pour les questions de santé publique et de protection du climat.

Raison ou déraison, à vous de choisir…

L’irrationnel est au cœur des pratiques de mobilité et bien plus encore au cœur de l’automobilité. Pourquoi y a-t-il eu en son temps un tel engouement pour le diesel en Belgique ? Pourquoi d’ailleurs est-il si longtemps resté sous-taxé ? Pourquoi ce carburant a-t-il ensuite été à ce point ostracisé ? Pourquoi les véhicules sont-ils toujours plus lourds, larges, puissants et rapides ? Pourquoi des véhicules que rien ne destine à circuler en ville, les SUV, s’y retrouvent de plus en plus ? Pourquoi les véhicules qui sont les plus dangereux pour les usagers actifs (piétons, vélos…) ont-ils le vent en poupe ? Pourquoi alors que l’urgence climatique est décrétée de toute part, les émissions du secteur ne baissent plus ? Pourquoi, alors qu’ils savent qu’ils vont y perdre un temps précieux, tant de gens se retrouvent-ils chaque jour dans les mêmes embouteillages ? Pourquoi… La liste est sans fin.

N’est-ce pas étrange que cet irrationnel convient parfaitement à la rationalité purement économique des multinationales de l’automobile ?

Aussi, allons-y d’un conseil tellement rationnel qu’il risque d’être perçu comme irrationnel par beaucoup :

cette année, au salon, surtout n’achetez rien !

Laissez les constructeurs se dépatouiller avec le retard qu’ils ont organisé pour reporter leur entrée dans la mobilité du 21è siècle.

Ne tombez surtout pas dans le piège qu’ils vous tendent sciemment d’acheter un véhicule « en attendant » et qui n’est qu’un moyen pour eux d’assurer leurs marges bénéficiaires en vidant les stocks de véhicules interdits à terme. Demandez-vous si, en attendant, l’actuel ne fera pas encore l’affaire.

Ne succombez pas à la tentation d’acheter un SUV, à moins qu’être victime de manipulation vous plaise. C’est à juste titre que la critique de ce type de véhicule est chaque jour plus présente et plus motivée. Les constructeurs les ont créés et vous les vantent et vendent parce que leur survie à terme en dépend, point

Attendez aussi de voir clair au niveau des régimes fiscaux qui devraient s’adapter aux nouvelles lignes directrices en matière de lutte contre les changements climatiques et en matière d’amélioration de la santé publique. Celles-ci devraient privilégier les véhicules raisonnables. Et s’il s’avère que l’achat est nécessaire, tournez-vous vers ce type de véhicule. Sans oublier le marché de l’occasion : la voiture le plus écologique est celle qui n’est pas construite.

N’oubliez pas que si la dimension « industrie » ne vous intéresse pas lorsque l’on parle d’automobile, l’industrie automobile, elle, n’a d’yeux que pour vous.

Et surtout, laissez-vous tenter par de nouvelles expériences de mobilité. Souvent leur découverte s’avère être un soulagement face aux impasses de la voiture que l’on acceptait, faute de mieux : le coût, la sédentarité, le temps de parcours en ville, la perte de temps à ne faire que conduire quand on pourrait lire, les enfants « banquettes arrières », souvent ronchons, la culpabilité d’user excessivement de cet engin polluant et climaticide alors que l’on souhaite s’inscrire dans la transition,…


Du pep’s dans votre vie ?
Changez de mobilité, pas de voiture !

Tous les représentants de l’industrie automobile interrogés par Le Soir évoquent la nécessité de cette phase de transition.

Source: https://www.iew.be/le-diesel-na-pas-a-rougir/