images/headerlefonline.jpg
Delen van artikels

Les menaces proférées à l’égard de l’enseignante et militante laïque Nadia Geerts ont un mérite : le débat sur les relations entre la société belge occidentale et les musulmans est enfin lancé. (voir Uranopole : https://uranopole.over-blog.com/2021/01/nadia-geerts-aux-armes-citoyens.html)

image 0933244 20210311 ob 2edbbd nadia geerts01Nadia Geerts en entretien avec Bercoff l'animateur de la très droitière Sud Radio en France...

Deux points-de-vue s’opposaient : celui de l’intellectuel bruxellois Henri Goldman qui estime normal, voire nécessaire d’accepter les préceptes de la religion islamique, car ils font partie de la culture des populations musulmanes le plus souvent immigrées qui vivent en Europe et qui, au vu de leur nombre, ont un poids politique important dans la société européenne. L’autre vision exprimée radicalement par Nadia Geerts, considère au contraire que ces préceptes religieux représentent un danger mortel non seulement pour la société laïque occidentale, mais aussi pour les musulmans eux-mêmes, essentiellement les femmes à qui on impose un code vestimentaire comme les différentes sortes de foulards qui seraient discriminatoires et sexistes.

image 0933244 20210311 ob 8ccc36 henri goldmanHenri Goldman a beau chanter la chanson de Sarah, peu de gens l'écoutent... malheureusment.

En dépit des menaces à l’égard de Nadia Geerts qui ont ému pas mal de monde et des opposants à ses thèses, comme Henri Goldman, justement, les positions sont restées figées et se sont même radicalisées. Ce dernier a réagi à ces menaces par un post sur son blog « cosmopolite ». (https://leblogcosmopolite.mystrikingly.com/blog/nadia-g-madone-des-dominant) En les condamnant fermement, Goldman fustige l’attitude de l’enseignante Geerts :

« Encore faut-il ne pas abuser de la posture victimaire, surtout si on ne se prive jamais de la dénoncer chez les autres. En tête de son blog, Nadia Geerts se présente comme "une militante belge laïque, féministe et antiraciste qui pense volontiers à contre-courant". À contre-courant ? Ça ne me saute pas aux yeux. La polémiste a ses ronds de serviette dans quelques médias distingués. Depuis des années, elle est chez elle à la RTBF dont elle fut la saison dernière une invitée récurrente. Elle jouit de soutiens de poids, comme ceux et celles qui ont signé cette carte blanche. Pour parler de sa Belgique, elle dispose désormais d'une chronique régulière dans l'hebdomadaire français Marianne qui s'affiche dans tous les kiosques et écrit aussi dans Causeur, un mensuel qui oscille entre Éric Zemmour et Alain Finkielkraut (en manchette). Soit des publications qui ne sont pas spécialement connues pour "penser à contre-courant" de la pensée dominante. Quel contradicteur de Nadia Geerts peut disposer d'autant d'espaces pour s'exprimer ? »

Dans le même article, Henri Goldman insiste :

« Nadia Geerts, formatrice de futurs enseignants dans une Haute école bruxelloise, a toujours été intransigeante sur la "neutralité vestimentaire" de ses étudiantes. Elle n'en démordait pas : pas question qu'elles aient la tête couverte pendant leurs études puisqu'elles devront se découvrir quand elles exerceront leur profession. Autant qu'elles s'y habituent tout de suite. Pour cette raison, elle avait salué l'arrêt de la Cour constitutionnelle confirmant le droit des établissements de l'enseignement supérieur d'interdire le port du foulard par les étudiantes via des règlements d'ordre intérieur. Dans sa chronique de Marianne (17 juin 2020), elle estimait que cette décision prenait fait et cause pour une interprétation "républicaine" de l'égalité. Adjectif mal choisi : il lui a sans doute échappé que dans la République française, AUCUN établissement d'enseignement supérieur n'est autorisé à limiter la liberté de conscience d'étudiantes adultes, même de celles qui se destinent à l'enseignement. De même, il lui a aussi échappé qu'en Belgique, l'Université forme également des professeurs et que le port de "signes convictionnels" y est autorisé partout. »

Bref, c’est l’ambiance dans le pot en pot de gauche bruxellois ! Et voilà qu’un troisième larron s’introduit dans le pugilat !

Il s’agit de Manuel Abramowicz, directeur et fondateur de la revue RésistanceS qui est un des plus efficaces outils de lutte contre la résurgence de l’extrême-droite. Dans une carte blanche publiée par l’édition électronique de l’hebdomadaire « Le Vif » de ce 11 mars 2021, (https://www.levif.be/actualite/belgique/ni-geerts-ni-goldman-carte-blanche/article-opinion-1402377.html) Abramowicz renvoie les deux pugilistes dos à dos. Après les avoir décrit tous les deux, il exprime ses critiques tour à tour.

ob 574d16 manuel abramowiczManuel Abramowicz, directeur de la revue RésistanceS qui traque l'extrême-droite.

Nadia Geerts, une libre-exaministe ?

D’emblée à l’égard de Nadia Geerts, l’accusation est dure :

« Tout de go, et sans aucun détour, je dis que nous avons à faire à une militante fanatique de laïcité. Nadia n'est pas une personne "neutre", même si elle se présente comme telle et sous les traits d'une experte dans ce domaine. Fidèle au Libre examen ? Elle l'est, mais sous son auto présentation. (…) Nadia Geerts n'accepte jamais la controverse et les avis contraires aux siens ! Son attitude, lorsqu'elle est mise en défaut, reste imperméable à toute discussion, voire remise en question. Sur Facebook, cette grande agora de la libre parole, si vous n'êtes pas d'accord avec ses opinions, ses affirmations et/ou ses généralisations à œillères, vous êtes purement et simplement éjecté. Théodore Verhaegen (1796-1862), le fondateur de l'ULB et du Libre examen, s'il pouvait assister à ses débats, se retournerait certainement, avec tout le respect que nous lui devons, dans sa tombe. »

Et son réquisitoire l’est tout autant :

« Nadia Geerts ne lutte que pour une unique cause : la constitution d'un État laïc. Avec un seul ennemi à celui-ci : l'islamisme politique (et tous ses pseudopodes religieux, culturels et associatifs). Cela devient de l'ordre de l'obsession. Elle y consacre sans doute un temps fou. Pour mener cette véritable "croisade", elle rédige des livres, dirige une collection chez un éditeur belge laïc, orienterait même politiquement ses cours pourtant axés sur les principes de la neutralité, et signe désormais des chroniques régulières dans deux journaux français souverainistes : dans l'hebdomadaire Marianne et dans le mensuel Causeur. » Et Abramowicz fait la même analyse que Goldman sur ces deux organes de presse français.

Et vient l’estocade finale :

« … j'observe que plusieurs de ses sorties médiatiques sont récupérées aussi par l'extrême droite : Mouvement Nation, les anciens du Parti populaire actifs maintenant dans l'Alliance pour la Wallonie, etc. Elle n'en est évidemment pas responsable sur le plan intellectuel. Elle pourrait, cependant, les mettre en demeure de stopper leur racket de ses dires ou, tout le moins, manifester sa désapprobation. Si l'extrême droite récupère Nadia Geerts dans son combat contre l'"islamisation de notre société", cela signifie que son positionnement sur le voile, l'Islam et consorts reçoit un écho positif dans cet univers idéologique extrémiste. Il n'y a pas de fumée sans feu. Sans résistance à sa récupération, Nadia Geerts devient du coup l' "idiote utile" de l'extrême droite qui utilise, depuis le 11-Septembre et l'application de plus en plus efficace de la législation antiraciste, l'anti-Islam pour poursuivre ses croisades racistes contre les "étrangers" nord-africains. »

Henri Goldman, « le « moine soldat » de l’intégration pratique musulmane »

Et Henri Goldman n’est guère épargné non plus.

« Je ne partage pas du tout l'approche d'Henri Goldman à propos des signes religieux, de l'engagement militant et du respect - par tropisme - de ladite "religion des pauvres" (sic). Tout de go, et sans aucun détour, je dis que nous avons affaire à un engagé fanatique de cette dernière. Cela fait plus de vingt ans maintenant qu'Henri Goldman défend indéfectiblement les accommodements religieux pour les musulmans, mais sans doute aussi pour les disciples des religions juive, chrétiennes (catholique, protestante, arménienne, orthodoxes grecque et russe), bouddhiste... La "praxis goldmaniste" va jusqu'à l'extrême. Contre la stratégie colonialiste du "diviser pour régner", Goldman est certainement dans un mixte entre le "complexe de l'homme blanc" et la logique des "ennemis de mes ennemis sont mes amis". Prenant, comme une autoflagellation, la culpabilité infusée par l'éducation judéo-chrétienne, Henri Goldman s'est transformé, au fil des années, en "moine-soldat" de l'intégration de la pratique musulmane - quasiment sans limites - dans l'espace public. Sur son approche sociétale, il intervient par écrit dans sa revue, sur son blog, lors de conférences-débats, d'ateliers (comme jadis aux Rencontres écologiques d’été) ... Ceux et celles qui partagent ses interventions sont relativement nombreux (dans un des courants internes de l'UPJB, dans la tendance décoloniale du MRAX, chez des élus bruxellois Écolos, chez des universitaires dont les bureaux sont bien placés au-dessus de l'ascenseur social ...). Trotskiste post-soixante-huitard, puis militant du parti vert, Henri Goldman est assez proche, avec quelques nuances, de la stratégie d'alliance anti-impérialiste élaborée, outre-Manche, dans les années 1990 par le Socialist workers party (SWP, Parti socialiste des travailleurs). »

Enfin, Manuel Abramowicz accuse Henri Goldman d’être le « compagnon de route de l’islamisme politique ». Il y va même fort en dénonçant ses contradictions :

« Par cécité intellectuelle. Notre Goldman national n'a ici aucune retenue pour militer, côte à côté, avec des associations islamistes légalistes. Cette connexion se confirme sur Facebook. Dans sa liste de ses "j'aime", il y a par exemple le Cercle des étudiants musulmans (CEM). Celui-ci se présente ainsi : "La mission du C.E.M s'articule autour de trois axes fondamentaux : une réussite scolaire, un cheminement spirituel et une éthique islamique". Des amis de l'écologiste de gauche sont, avant tout, des organisations exclusivement religieuses, aucunement des organisations engagées dans la contestation des injustices sociales provoquées par le système capitaliste. De plus, conservatrices et anticommunistes, beaucoup sont totalement à l'opposé des combats de Mai 68 qui ont façonné pourtant Henri Goldman, au sujet de la libération des mœurs, de l'homosexualité, contre la famille traditionnelle, l'institution du mariage, la diversité... »

Abramowicz l’accuse en outre d’être en cheville avec les Frères musulmans.

« Il doit donc bien savoir qu'il a déjà, au moins quelquefois, croisé durant sa longue marche politique des Frères musulmans, en partageant les missions de l'une de ses associations ayant pignon sur rue. Les témoignages de dissidents fréristes, qu'il doit connaitre, sont là pour lui signaler la vraie nature de son compagnonnage. Dès lors, soit nous avons affaire à un naïf agissant pour réparer - inconsciemment ? - les crimes de l'Occident chrétien (colonialisme, esclavagisme, néocolonialisme, racisme structurel, privilège blanc, appropriation culturelle...), soit Henri Goldman en est parfaitement conscient et a fait le choix de se mettre du côté des pratiquants de la "religion des pauvres" (sic). »

Deux faces d’une même pièce…

En conclusion, le directeur de RésistanceS renvoie dos à dos Nadia Geerts et Henri Goldman.

« Nadia Geerts et Henri Goldman, sur la scène médiatique "bruxello-bruxelloise", sont à l'opposé. Ils ne s'aiment pas. S'affrontent sur le net. » Et il conclut : « Dans la réalité, ils sont les deux faces de la même pièce. Celle du fondamentalisme, de l'intolérance, du sectarisme et de la pensée unique. Ces deux intellectuels militants font le jeu des antidémocrates et des racistes (il existe une laïcité blanche néocoloniale de nature xénophobe, comme il existe une mouvance politico-religieuse décoloniale et, au final, raciste). C'est la raison pour laquelle "je suis Charlie" (pas celui de Val-Fourest, mais celui de Cavanna-Charb) et que je ne suis ni Geerts ni Goldman. En marge de leurs cercles d'influence respectifs, il existe d'autres voix et voies. Sans voile. Sans dogmes. Avec des pensées plurielles dont l'objectif est un monde multicolore. Pour sortir de la noirceur binaire de nos Temps Modernes. »

L’attaque est dure ! Trop dure ! Accuser Geerts et Goldman de faire le jeu des « antidémocrates et des racistes » est aussi faux qu’excessif. Nadia et Henri sont deux militants progressistes convaincus, incapables d’exclure, la première voulant défendre envers et contre tout des principes qu’elle pense universels et immuables quelle que soit l’évolution des choses, le second étant attaché sans assez d’esprit critique et jusqu’à l’excès à la défense de la pensée et l’expression de l’Autre, l’Autre s’opposant aux fondements de notre société, l’Autre étant le musulman en l’occurrence. Leur pensée radicale donne-t-elle des armes aux ennemis de nos principes de liberté, d’égalité et de fraternité ? Je ne m’engagerai pas dans cette voie-là.

image 0933244 20210311 ob 6a8d0e img 0405Michel Warschawski le grand militant de la Paix et opposant à l'occupation de la Palestine

Il y a quelques années, à l’occasion d’un de mes déplacements en Israël - Palestine, j’ai rencontré à Jérusalem-Est un homme extraordinaire, un de ces hommes qui jalonnent l’histoire par leur courage, par leur lucidité et par leur profonde honnêteté intellectuelle, le militant israélien de la paix, Michel Warschawski. Je lui ai posé une question : me référant au livre du journaliste franco-israélien Charles Enderlin, Au nom du Temple (Seuil, Paris, 2013), où l’auteur démontre l’influence de plus en plus importante de la religion dans l’évolution politique et militaire d’Israël, Michel Warschawski a répondu qu’à son sens, ce n’est pas la religion qui détermine la décision politique, mais que celle-ci sert d’instrument au pouvoir pour accomplir sa politique.

À la réflexion, j’ai considéré cette réflexion comme profondément vraie. La religion est un instrument et non une fin en soi. En définitive, c’est toujours le bras séculier qui a le dernier mot. Et là, c’est ma principale critique aussi bien à l’égard de Nadia Geerts que d’Henri Goldman. Tous deux pensent et se battent pour des principes et ils en oublient la dimension géopolitique, c’est-à-dire la réalité du terrain.

Est-ce une raison pour les vouer aux gémonies ?

Pierre Verhas

Source: https://uranopole.over-blog.com/2021/03/laicite-versus-islamisme-le-debat-esquive-ou-biaise.html