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L’ambiance est sinistre au Parlement européen. Dans certains groupes politiques, elle frôle la panique au regard des prévisions de résultats des élections européennes. En outre, le nouveau président, le social-démocrate allemand Martin Schulz et candidat à la présidence de la Commission européenne, ne décolère pas.

En effet, après la molle réaction du Conseil européen suite aux révélations de Snowden sur l’espionnage par la NSA des responsables politiques européens et en particulier de la chancelière allemande, il avait proposé de bloquer les négociations sur l’accord de libre échange transatlantique tant que les Américains n’avaient pas donné de sérieuses garanties quant à la fin de ces pratiques. Bien sûr, ce fut une fin de non recevoir du Conseil européen qui préfère le cirage de bottes!

Autre chose. Si en France, il est quasi acquis que le Front national 'bleu Marine' dépassera le Parti socialiste aux prochaines élections européennes, il y a fort à craindre que l’extrême-droite européenne dans son ensemble obtienne plus de sièges que le groupe socialiste et démocrate. Ce serait une sinistre première lors d’élections démocratiques! Ce serait un séisme à l’échelle d’un continent!

Une menace mortelle pour l’Europe
Voilà donc deux éléments qui constituent une menace mortelle pour l’Europe : l’alignement sur la mondialisation néo-libérale et la montée sans précédent dans l’histoire du populisme fascisant.

L’idée européenne est définitivement flétrie depuis la crise grecque. Un ami m’a dit récemment: « Merkel a réussi ce qu’Hitler n’a pu réaliser: écraser le peuple grec ! ». Exagéré ? Bien sûr, il n’y a pas eu de déportations, de massacres, de destructions. Mais cette brutale mise sous tutelle de tout un peuple est sans précédent dans un système apparemment démocratique et réellement tyrannique. Ce pouvoir aussi occulte que totalitaire appelé la 'troïka' n’a de parrain que la finance internationale.

Anecdote symptomatique: le principal syndicat de la police grecque connue pour être particulièrement répressive, a publié cette lettre adressée à la 'troïka': « Comme vous poursuivez cette politique destructrice, nous vous prévenons que vous ne pouvez nous contraindre à nous battre contre nos frères. Nous refusons de nous élever face à nos parents, nos frères, nos enfants ou tout citoyen manifestant ou exigeant un changement de politique. Nous vous prévenons que, en tant que représentants légaux des policiers grecs, nous allons émettre des mandats d’arrêts pour une série d’infractions légales (…) telles que chantage, tentatives de subrepticement abolir ou ronger la démocratie et la souveraineté nationale. » Ce n’est bien sûr que symbolique – seul un juge peut émettre un mandat d’arrêt – mais c’est un signal fort! Si les forces de l’ordre se rallient au peuple en lutte, cela deviendra très difficile pour le pouvoir supranational.

Cela montre que la construction d’une Europe politique et sociale basée sur un système de démocratie parlementaire n’est plus qu’une chimère. Il n’y aura pas d’autorité politique supranationale. L’Union européenne fonctionne à la fois dans l’intergouvernementalité, c’est-à-dire sous la tutelle du pays le plus fort, l’Allemagne qui est elle-même alignée sur les Etats-Unis et à la fois dans une supranationalité technocratique où la Commission européenne joue le rôle de gendarme, cette Commission dont les trois acteurs principaux sont un ancien Premier ministre portugais sans doute récompensé pour son alignement inconditionnel sur Bush junior, une 'manager' batave noyée sous les conflits d’intérêts et un ancien ministre belge des affaires étrangères accusé de fraude fiscale et prêt à ouvrir en grand la porte aux multinationales. Et, bien sûr, n’oublions pas la Grande Bretagne conservatrice tentant d’imposer au continent son modèle culturel et néolibéral.

La montée en puissance de l’extrême-droite
Le phénomène nouveau est la montée en puissance de ce qu’on peut appeler l’extrême-droite dans l’ensemble de l’Union européenne (), mais aussi de ses idées.

D’un côté, il y a un pays comme la Hongrie, dont le pouvoir tenu par le Fidecz de Viktor Orban, parti reconnu par le PPE, a modifié la constitution pour asseoir un pouvoir fort proche du totalitarisme. En outre, un gouvernement de centre-gauche, comme le gouvernement français, dont le ministre de l’Intérieur tient un discours de stigmatisation des Roms et prend des mesures d’expulsions inacceptables. Plusieurs autres gouvernements de l’Union européenne adoptent des mesures de plus en plus dures en matière de Justice et de maintien de l’ordre. Tout cela dénote une tendance très dangereuse.

De l’autre, il y a le succès de plus en plus grand des formations 'classiques' de l’extrême-droite qui tentent de canaliser les frustrations en proposant des solutions simplistes essentiellement axées sur le rejet et la stigmatisation de l’Autre. Cette expansion commence à prendre des proportions assez importantes pour bouleverser l’échiquier politique européen.

Ainsi, en Autriche, aux élections du 29 septembre dernier, alors que les sociaux-démocrates ont atteint leur plus mauvais score depuis la fin de la guerre (27%), l’extrême-droite obtient 22%.

Aux Pays-Bas, Geert Wilders, le leader du parti de la liberté, tente de regrouper toutes les factions fascisantes en vue des prochaines élections européennes.

En France, pour ce même scrutin, le Front national serait, d’après les sondages, le premier parti français en décrochant 24%, l’UMP en aurait 22 et le PS tomberait à 19 %.

En Norvège, malgré le carnage provoqué par Breivik, le parti du progrès serait la première formation avec 23% aux prochaines élections législatives.

En Bulgarie, un parti nommé Ataka s’attaque à la minorité turque, est rentré au Parlement avec 9% et ne cesse de grimper dans les sondages.

En Hongrie, le parti fasciste Jobbik est crédité de 16% en dépit de la politique droitière et antidémocratique de Viktor Orban.

En Belgique, la NV-A pourrait monter à 40% et donc fortement augmenter son poids politique déjà très important. Le Vlaams Belang néo-nazi stagne autour de 10%. Par contre, en Wallonie, jusqu’à présent et depuis la déliquescence du Front national belge, l’extrême-droite est insignifiante.

En Italie, la 'Ligue du Nord' représente un danger politique sérieux. Mais la carte politique de la Péninsule pourrait être profondément bouleversée avec l’élimination de Berlusconi.

Arrêtons ici ce 'passage en revue' pour constater ceci. D’abord, en dépit des graves excès de langage, voire des crimes commis comme ce fut le cas en Norvège et en Grèce, l’extrême-droite progresse. On verra ce que donnera la répression d’Aube dorée dans le pays des Hellènes. Ensuite, si partout l’extrême-droite désigne l’immigré comme bouc émissaire de la crise, il existe selon les pays, des formations au niveau national et des partis nationalistes régionaux comme en Flandre, en Catalogne, comme la Ligue du Nord italienne, etc qui cherchent à détruire l’Etat-nation et à morceler l’Europe en de multiples sous-nationalités, tout en adhérant au programme néolibéral à la mode aujourd’hui. Bref, l’extrême-droite a plusieurs multiples visages et « s’adapte » au terrain où elle se développe.

Ce qu’en disent Robert Falony et Robert Paxton
Voici l’analyse qu’en fait Robert Falony dans sa 'Lettre socialiste' mensuelle diffusée par le blog 'Osons le socialisme' ( http://osons.le.socialisme.over-blog.com/#) « L’extrême droite monte en puissance dans tous les pays européens ou presque. Son eau mère est ce vaste courant populiste de droite qui s’alimente à trois sources. La première est l’incompréhension face à la « crise », attribuée soit à « l’Europe », soit au monde politique en général - et non au libéralisme économique dont les thèses encrassent les cerveaux. Le sentiment que « cela allait mieux avant » joue ainsi en faveur des replis de type nationaliste, avec leur cortège d’illusions. La seconde source, teintée de xénophobie ou d’islamophobie, s’explique par la présence massive des communautés issues de l’émigration, « Nous ne sommes plus chez nous ». Quand la gauche fait preuve d’angélisme sur le sujet, ou verse dans le communautarisme, elle n’aide vraiment pas à contenir ce courant. Enfin, troisième source, la vaine recherche de l’homme providentiel, du sauveur, le culte de la personnalité entretenu par les médias. »

Un analyste du phénomène extrémiste de droite, quelque peu méconnu, est l’historien américain Robert Paxton. Edwy Plenel, le directeur de 'Mediapart' (http://blogs.mediapart.fr/blog/edwy-plenel/050112/leurope-la-hongrie-et-le-fascisme-daujourdhui-lalarme-de-paxton) donne une synthèse de son analyse: « Paxton publia cette étude, titrée The Anatomy of Fascism pour sa version anglaise, dans le contexte particulier de l'après-11 Septembre et de la présidence de George W. Bush, marquée par une crispation essentialiste, missionnaire et guerrière, de la nation américaine. Tout le propos du livre est de répondre à cette question aussi complexe à éclairer qu'elle est simple à formuler: 'Qu'est-ce que le fascisme?'. Et, après y avoir répondu en revisitant les deux fascismes qui s'imposèrent, l'italien et l'allemand, de se demander quelles formes prendrait un fascisme d'aujourd'hui. Posées en 2004, ces questions ont encore plus de force sept ans après, quand la crise financière ébranle les certitudes et les situations apparemment les plus solides et les mieux établies. » Paxton pense qu'il faut repérer et catégoriser le fascisme sur la base de son action concrète plutôt que de son apparence conjoncturelle, historiquement datée. « Il n'y a pas d'habit particulier pour ce moine-là », écrit-il après avoir démontré que les fascismes ont toujours été «plus hétéroclites que les autres "ismes"». Tout simplement parce que leur socle commun – le refus du droit naturel, du droit d'avoir des droits, de l'égalité des individus, de celle des "races", ethnies ou origines, et donc de celle des peuples et des nations – les mène toujours à une essentialisation d'une identité nationale fantasmée et exacerbée. «La communauté vient avant l'humanité dans le système de valeurs fasciste, explique Paxton, et le respect des droits individuels ou des procédures légales y laisse la place à l'asservissement à la destinée du Volk (version allemande) ou de la razza (variante italienne). Il s'ensuit que les mouvements fascistes nationaux ont pleinement exprimé leurs particularismes culturels.»

Ces deux analyses – Robert Falony et Robert Paxton – rejoignent mon propos : il ya un « fascisme » de pouvoir qui restreint, sous le prétexte de terrorisme, ou encore de crise, les libertés fondamentales, c’est-à-dire la faculté du peuple à participer à la décision et il y a un « fascisme » hétéroclite, politique, qui se veut être une menace permanente au processus démocratique et remettre en question les fondements de notre société par le rejet de l’universalisme. Cela n’est pas nouveau, bien sûr. Mais deux éléments sont incontestables : la progression constante de ces formations et la « banalisation » des idées distillées par ce courant politique, banalisation qui se marie avec le projet ultralibéral voulu par les lobbies des multinationales et par la pensée dominante au sein des institutions européennes. Prenons comme exemple la NV-A en Belgique flamande.

Le programme de la NV-A s’inscrit dans cette logique.
Le programme présenté récemment par le parti nationaliste flamand, NV-A (Nieuwe Vlaamse Alliantie – nouvelle alliance flamande) qui, ne l’oublions pas, est la plus importante formation politique de Belgique, s’inscrit bien dans la logique d’une société néolibérale. Donc, il y a une alliance objective entre l’extrême-droite et les tenants du néolibéralisme. Extrême-droite ? Oui, lorsqu’on voit le fondateur et patron de la NV-A, Bart De Wever, au côté de Jean-Marie Le Pen, même s’il y a plusieurs années. Oui, lorsqu’on apprend que le n°2 de cette formation, Jan Jambon, fréquente le St-Martens’fonds, l’association des anciens SS flamands qui ont fourni le plus important contingent de combattants SS étrangers.

Et cette alliance se concrétise lorsque De Wever déclare : « Ce programme n’est rien d’autre que ce qu’un gouvernement de gauche a fait en Allemagne Qui n’est rien d’autre que ce que font les pays voisins Qui n’est rien d’autre que ce que l’Union européenne nous demande de faire. » Et qu’est-ce que ce programme, sinon la diminution des prestations sociales, la privatisation des services publics et le gel drastique des finances publiques ? En clair, le programme de l’école de Chicago de feu Milton Friedman qui a commencé à être appliqué au Chili de Pinochet, il y a quarante ans, qui fut imposé – le plus souvent par la force – dans de nombreux pays et que prépare depuis des années la Commission européenne.

Cette alliance implique nécessairement la fin du contrat social, autrement dit la fin du processus démocratique aussi bien au niveau politique qu’au niveau social. D’ailleurs, le programme de la NV-A suggère d’en finir avec la concertation sociale au niveau national et de ne l’accepter qu’au niveau des entreprises ou des secteurs d’activités économiques. En clair, c’est la fin de l’Etat social. C’est exactement ce que souhaitait Margaret Thatcher il y a trente-cinq ans. Cependant, elle déclarait à l’époque que ce processus serait lent à cause des contraintes du régime démocratique. Aujourd’hui, on ne s’embarrasse plus de ces contingences !

Ce programme a rencontré des échos favorables dans une large partie de l’opinion flamande et auprès de politiciens démocrates-chrétiens flamands. Le silence des dirigeants libéraux dans la partie francophone du pays est aussi révélateur.

Les pions du marché
Que conclure de tout cela ? Cette alliance réelle entre les grands intérêts multinationaux, des pouvoirs autoritaires et des formations politiques extrémistes sape les fondements de nos sociétés démocratiques basées sur des valeurs reconnues comme universelles et inaliénables et sur le contrat social destiné à instaurer l’équité.

Cela a été, dès le départ, la volonté de l’école de Chicago qui, depuis un demi-siècle, a tenté d’imposer une société organisée pour le seul intérêt de ce pouvoir bien plus puissant que les Etats.

Mais les événements actuels qui s’enchevêtrent permettent de tirer une autre conclusion : « Soyons honnêtes, ce n'est pas une surprise d'apprendre que la NSA espionne la France. Elle n'est d'ailleurs pas la seule agence américaine à agir ainsi. En revanche, la vraie découverte dans cette affaire, c'est l'ampleur et la systématicité de ces écoutes. Ces pratiques sont totalement démesurées et inadmissibles. Elles flétrissent considérablement l'image de cette grande nation démocratique et interrogent sur sa conception du monde et des libertés fondamentales. » déclare Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des lois à l’Assemblée nationale française ajoute : « Au final, cette nouvelle péripétie révèle que les Etats-Unis n'ont pas d'alliés, ils n'ont que des cibles ou des vassaux. »

Ajoutons que les multinationales n’ont pas d’alliés non plus. Leur unique objectif est d’introduire un pouvoir absolu contrôlant, évaluant et réprimant s’il y a lieu les hommes et les femmes, les citoyens qui ne sont plus que les pions du marché.

Pierre Verhas - 1 novembre 2013