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7 avril 2022

Les élections françaises ou la crise de la démocratie formelle

Nous entendons par démocratie formelle, le système électif au suffrage universel des pouvoirs constitués, c’est-à-dire les parlements dans la plupart des pays dits démocratiques et dans certains d’entre eux du chef de l’Etat.

Les élections françaises rassemblent les deux en commençant par celle du chef de l’Etat. Au terme d’une campagne qui a été « percutée » par la guerre d’Ukraine comme l’écrit Serge Halimi dans le « Monde diplomatique » de ce mois, on observe qu’Emmanuel Macron, le président sortant candidat à un deuxième mandat, sera, selon les sondages, pour l’élection au second tour, sans doute opposé soit à la candidate d’extrême-droite Marine Le Pen ou – c’est moins probable – au candidat de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon.

Selon les sondages ? Depuis le début de cette campagne électorale qui s’avère d’un niveau lamentable, ce sont les instituts de sondage qui mènent la danse ! Dès le départ, les résultats de leurs enquêtes indiquaient la même tendance à quelques points près : Macron largement en tête au premier tour suivi assez loin de Le Pen et puis de Mélenchon. Le second candidat d’extrême-droite, l’essayiste Éric Zemmour a fait illusion quelques temps et puis est rentré dans le rang du « marais » composé de la candidate de la droite républicaine, Valérie Pécresse, de celle du PS, la maire de Paris Anne Hidalgo, de l’écologiste Yannick Jadot et puis du communiste Roussel, ensuite clôturent la liste : le folklorique Jean Lassalle qui ne dit pas toujours des âneries, le prétendu gaulliste d’extrême-droite Nicolas Dupont-Aignan, les deux trotskystes Nathalie Artaud et Philippe Poutou.

Qu’observe-t-on ? Si l’on en croit les sondages les candidates des partis républicains, la PS Anne Hidalgo et la LR Valérie Pécresse n’ont plus aucune chance. Les deux partis qui ont alterné au pouvoir en France depuis 1981 sont laminés aujourd’hui. Macron a d’ailleurs tout fait pour qu’il en soit ainsi. D’ailleurs, bien des mandataires PS et LR se rallient en dernière minute au président sortant espérant encore exister. Même le souverainiste Jean-Pierre Chevènement, 83 ans il est vrai, a rejoint le camp macroniste !

 

La fin du centre ?

C’est un premier signe important. Les partis « traditionnels » qui ont gouverné sans relâche depuis des décennies sont en pleine déliquescence tant en France qu’en Belgique. Les Républicains, héritiers du parti gaulliste, sont laminés. Il est vrai que leurs deux derniers présidents – et anciens présidents de la République – feu Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy, ont été sévèrement condamnés par la Justice française pour malversations diverses. Cependant, outre cela, ils ne présentent aucun poids politique, car ce parti navigue à vue. Tantôt, il joue la carte néolibérale, tantôt celle de l’extrême-droite. Et cela continue : le programmes de la candidate de Républicains, Valérie Pécresse, pêche dans le cloaque de l’extrême-droite tout en prônant des mesures ultralibérales et antisociales.

Au centre gauche, le PS déjà sous François Mitterrand et par après avec Lionel Jospin et François Hollande ont mené une politique libérale et d’alignement systématique sur l’atlantisme et l’européisme, autrement dit ce qu’on appelle le centre ou le « ni droite ni gauche ». Il faut cependant noter que bon nombre d’entre eux, sans tout à fait rompre, n’ont pas suivi cette ligne. Ce fut le cas de Jean-Pierre Chevènement, de Claude Cheysson et sous Jospin, de Hubert Védrine. Sur le plan social, il y eut une personnalité comme Charasse qui n’acceptait pas le « tournant libéral ». Cependant, cette évolution du PS français vers une social-démocratie à l’allemande n’est pas la seule. Le PS belge francophone et son alter ego flamand ont connu un dilemme semblable. Ce double langage a désorienté l’électorat traditionnel des socialistes, aussi se sont-ils considérablement affaiblis. Et cela au profit du parti de gauche radicale le PTB qui dépasse le PS dans les derniers sondages.  Le parti chrétien a voulu se positionner au centre droit tout en n’affichant plus son engagement philosophique. Aussi, l’électorat catholique s’est-il lui aussi senti désorienté. Une bonne partie des chrétiens et de l’extrême-gauche ont constitué les troupes du parti Ecolo.

La radicalisation du paysage politique

La droite républicaine en France est laminée. La lamentable campagne de Valérie Pécresse en est une preuve. À quelques exceptions près, les grosses têtes de LR se détournent de « leur » candidate ! En Belgique francophone, depuis la présidence de l’ineffable Georges-Louis Bouchez dit GLOUB, les libéraux du MR entament un virage vers la droite dure. Avez-vous remarqué, par exemple, que les tweets de GLOUB consistent en des attaques vis-à-vis de ses partenaires classés à gauche au gouvernement – le PS et Ecolo – et le PTB. Il ne s’attaque jamais à l’extrême-droite flamande ou francophone…

Il est donc évident que pour ces deux pays, ce qu’on appelle le centre est en voie de disparition. Cela signifie une radicalisation de la représentation politique. La gauche se radicalise et la droite s’oriente de plus en plus vers l’extrême.

Or, si on revient en France, Macron a trouvé la formule. Il prône une politique « ni droite ni gauche » pourtant très dure sur le plan social comme le projet de porter l’âge de la retraite de 62 ans à 65 ans, comme l’obligation pour les « bénéficiaires » du RSA de prester 15h à 20h de travail hebdomadaire, etc. Comme l’écrit le politologue belge Vincent de Coorebyter dans sa chronique du « Soir » du 6 avril : « De longue date, Emmanuel Macron a jugé qu’il n’avait rien à craindre sur sa gauche. Le Parti socialiste est devenu inaudible, l’écologie n’est pas un bon thème pour une présidentielle, l’image de Jean-Luc Mélenchon est abîmée par certains de ses excès et les autres candidats de gauche incarnent des courants marginaux. »

De plus, contrairement à 2017, les Verts et les Communistes présentent chacun leur candidat, ce qui fragmente encore plus la gauche française. Si elle veut être présente au second tour, elle devrait se rassembler autour de Mélenchon qui est le seul à avoir une chance de poursuivre la « course » jusqu’à la fin. Cependant, selon les sondages il a environ 5 points de moins que Le Pen. Même s’il grimpe encore, ce sera très difficile d’y arriver en trois jours.

Comme l’écrit Serge Halimi dans le « Monde diplomatique » de ce mois : « la gauche est trop faible pour s’imposer, d’autant que depuis cinq ans les partis qui la composaient vaille que vaille ont conforté des analyses de plus en plus éloignées sur des questions aussi capitales que l’âge du départ à la retraite, la planification économique, la place du nucléaire dans le mix énergétique, les institutions de la Ve République, le fédéralisme européen, l’alliance avec les États-Unis, la guerre en Ukraine… De telles fractures ne sont pas susceptibles de se résorber, même si, le 10 avril prochain, M. Jean-Luc Mélenchon accédait au second tour du scrutin présidentiel, une performance à laquelle aucun autre candidat de cette (ex-)famille politique ne peut prétendre. En tout état de cause, la poursuite de la guerre en Ukraine favorise M. Macron en mobilisant l’attention des Français sur les efforts diplomatiques de leur président plutôt que sur le bilan désolant de son quinquennat. »

Vers une République autoritaire ?

Faisons un peu de politique-fiction. Le scenario le plus probable est à nouveau un duel Macron – Le Pen au second tour. Dans ce cas, il y a deux possibilités.

Au cas où Marine Le Pen gagne la présidentielle le 23 avril prochain, des troubles se déclencheront en France. Une partie significative des Français ne tolérera pas que l’extrême-droite même « édulcorée et dédiabolisée » occupe le Palais de l’Elysée. Cela donnera l’occasion à la nouvelle présidente de se livrer à une répression particulièrement sévère pour asseoir son autorité.  

Ensuite, il y aura les législatives. C’est le grand point faible du mouvement lepéniste. Il n’est implanté dans aucun département, ni aucune région même s’il dirige quelques villes moyennes comme Béziers ou Hénin Beaumont. Encore que Ménard, le maire de Béziers, a pris ses distances à l’égard de Le Pen et de Zemmour. Il sera donc très difficile à la nouvelle présidente de disposer d’une majorité. Elle devra dès lors museler le Parlement et gouverner par décret. C’est la porte ouverte à la dictature et, dans le pire des cas, à la guerre civile.

Si Emanuel Macron l’emporte, mais sans doute de quelques points seulement, les élections législatives lui donneront une majorité avec une « République en marche » hétéroclite composée d’anciens mandataires LREM et de ceux émanant du PS ou de LR qui se sont ralliés en dernière minute lors des élections présidentielles. Et il n’y aura pas d’opposition digne de ce nom. Le PS et LR seront quasi inexistants, les Verts déjà divisés éclateront sans doute et l’extrême-droite, comme on l’a vu, est incapable de former un groupe parlementaire digne de ce nom.

Dans ce cas, Macron gouvernera sans opposition.

Aussi, gouverner par décret ou sans opposition, cela s’appelle une République autoritaire. Et dans la situation internationale actuelle, cela ne fera que jeter de l’huile sur le feu.

Tout va très bien, Madame la Marquise…

Enfin, ce n’est que de la prospective. Nous serons fixés le 23 avril au soir et, nul ne le sait, le scenario pourrait être tout autre que ce que les sondages prévoient depuis des mois. C’est déjà arrivé !

Alors, comme disent nos amis Britanniques : wait and see.

Pierre Verhas

Source: https://uranopole.over-blog.com/2022/04/les-elections-francaises-ou-la-crise-de-la-democratie-formelle.html