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Depuis plus de vingt ans, nous dénonçons un sous-financement dans les soins de santé et l’ensemble des services publics. Cette pandémie n’a fait que mettre en lumière ce que nous, travailleuses et travailleurs de la santé, n’avons cessé de répéter. Cette situation chronique de manque de personnel, de dégradation de la qualité des soins, d’accélération des cadences, de gestion purement économique de nos institutions de soins, de lourdeur administrative des tâches informatisées n’ont fait qu’aggraver nos conditions de travail et la qualité du service rendu. Mais surtout, elle a créé, chez beaucoup trop d’entre nous, un sentiment profond de perte de sens dans notre travail.

Bien que nous ne fussions pas prêts (décideurs politiques, gestionnaires d’institutions et travailleurs de terrain) à faire face à cette crise, nous avons, en quinze jours de temps, réorganisé toutes nos institutions grâce à la volonté et l’expérience des travailleurs.

Aujourd’hui, après deux mois de travail intense en première ligne, nous sommes en colère. En colère car le gouvernement n’a pas fait face aux nécessités vitales du personnel des institutions de soins (pénurie d’équipements de protection, de tests de dépistages et insuffisance de mesures générales fortes de prévention sanitaire). En colère car la seule solution que le gouvernement nous propose pour la suite de la crise, c’est celle d’un système de réquisition du personnel soignant sous certificat médical imposé par la Ministre de la Santé Maggie De Block. En colère parce qu’elle se permet de brader la profession d’infirmière en permettant que d’autres travailleurs d’institutions de soins puissent effectuer des actes infirmiers. En colère car ce ne sont pas des « merci pour votre sacrifice » que nous voulons du gouvernement, mais des moyens financiers, du matériel de protection de qualité et en suffisance ainsi que des effectifs supplémentaires pour que nous ne devions, précisément, pas nous sacrifier.

Pour nous, la priorité du gouvernement aurait être plutôt de réquisitionner immédiatement l’ensemble du matériel existant ainsi que les entreprises capables d’en produire. Ensuite, et afin de pouvoir suivre les recommandations de l’OMS sur le testing massif des prestataires des soins de santé et de la population, il aurait fallu élargir directement à l’ensemble des laboratoires agréés la compétence d’effectuer ces tests. Cela aurait été la seule manière d’atteindre une capacité de testing suffisante pour aider à diminuer radicalement l’ampleur de la crise. C’est une erreur grave dans le chef de notre gouvernement.

Concernant les manquements du gouvernement en matière de prévention, il est clair aujourd’hui que le choix a été fait de maintenir la pleine activité économique, alors que l’épidémie faisait déjà de nombreuses victimes en Europe. Nous constatons que ce choix a été réitéré avec les mesures prévues pour le déconfinement, où l’économique prime à nouveau sur le reste.

Ce dernier choix constitue une des grandes inquiétudes pour le personnel en première ligne. Quand on sait que rien n’est prévu pour soutenir l’activité dans les soins de santé en cas de deuxième vague, voire de troisième vague. Les équipes en première ligne sont fatiguées et ne pourront pas supporter les conséquences d’un déconfinement précipité et mal réfléchi.

Certaines choses doivent également être clarifiées. A l’heure actuelle, le personnel hospitalier ou celui de certaines maisons de repos n’est toujours pas testé systématiquement et continue, malgré lui de transmettre le virus. Le matériel de protection (en quantité limitée et souvent de mauvaise qualité) ainsi que les médicaments, risquent à tout moment de faire défaut. N’oublions d’ailleurs jamais ce qu’il s’est passé dans les MR/MRS où les mesures ont été trop tardives, où le manque de matériel était encore plus important (et caché par les directions) et où le personnel a vécu et vit encore des situations dramatiques.

Nous craignons que ce gouvernement continue sa politique sans écouter les travailleurs du terrain et sans concertation avec les représentants de ces travailleurs. Derrière l’appel à soutenir les « héros » de cette crise, la politique défaillante et, au fond, très méprisante envers les premiers concernés, crée les conditions optimales pour avoir une nouvelle vague catastrophique de personnes atteintes de Covid-19.

Les services publics ont prouvé une fois de plus qu’ils sont essentiels au fonctionnement de notre société. Quand la société « se met à l’arrêt », nous continuons à travailler pour le bien-être de l’ensemble de la population. La sécurité sociale a ainsi permis d’éviter jusqu’à aujourd’hui une grande crise sociale comme celle que sont en train de vivre les travailleurs de certains autres pays. Ce sont ces deux piliers, services publics et sécurité sociale, que nous devons dès aujourd’hui renforcer. Comme tout le monde aura pu le remarquer, ce ne sont ni les fédérations patronales, ni les banques qui ont sauvé des vies, ou encore, garanti des revenus à la population pendant la pandémie.

Nous avons donc rapidement besoin d’un réinvestissement massif dans la sécurité sociale et les soins de santé, afin d’améliorer les conditions de travail et pouvoir soigner dans les meilleures conditions possibles. Nous avons besoin d’une révision des normes d’encadrement en personnel soignant, la réduction du temps de travail sans perte de salaire et une gestion humaine des équipes pour permettre au personnel des établissement de soins de santé de tenir le coup toute une vie durant et ainsi assurer que des soins de qualité redeviennent un droit pour tous, sans distinction de classe sociale ou d’âge.

A ceux qui diraient que, sous prétexte de crise économique, il n’y a pas d’argent pour réaliser cela, nous leur répondons qu’il faut aller chercher l’argent là où y est : dans les paradis fiscaux, en faisant payer les banques et les grandes entreprises. Même le FMI (qui ne peut sérieusement pas être suspecté d’être du côté des travailleurs) fait des recommandations de taxation des grandes fortunes et des entreprises pour relancer l’économie réelle et pour profiter de la crise afin d’opérer une reconversion dans l’économie verte. Pour une fois, nous sommes presque d’accord avec eux.

Pour la CGSP ALR, il est clair que si nous nous laissons faire et que nous ne nous mobilisons pas pour une autre société, demain sera pire qu’hier. D’ores et déjà, nous appelons à soutenir l’appel à la Grande Manifestation de la Santé initiée par La santé en lutte. C’est, tous ensemble, que nous pourrons construire un avenir meilleur !

Bruxelles,

Le 4 Mai 2020

Les permanents santé IRIS de la CGSP ALR

Rosteleur Carine, Lancharro Rodriguez Marc, Renier Roxanne, Godfroid Dominique, Brikci-Nigassa Karim, Lorge Véronique