Un accord politique a été conclu ce 1er juillet sur la taxation des multinationales dans le « cadre inclusif » de l’OCDE. Cet accord permet deux avancées majeures en matière de fiscalité internationale : l’application de la taxation unitaire des multinationales et l’instauration d’un taux d’impôt minimum mondial sur les profits des multinationales. Toutefois, la taxation unitaire ne concerne qu’une petite partie des profits d’une centaine de multinationales, le taux minimum proposé est trop faible pour mettre fin à la course au moins-disant fiscal et la répartition des gains est défavorable aux pays en développement.
Depuis le mois d’avril, la justice fiscale internationale est revenue sur les devants de la scène médiatique, et pour cause : les annonces de Joe Biden sur un taux minimum d’imposition des bénéfices des multinationales ont relancé les négociations au sein de l’OCDE visant à mettre fin aux multiples méthodes d’érosion de la base imposable via les transferts de profits (BEPS selon l’acronyme en anglais, Base erosion and profit shifting). Selon l’OCDE, « 131 pays et juridictions ont adhéré à un nouveau plan à deux piliers visant à réformer les règles de la fiscalité internationale et à faire en sorte que les entreprises multinationales paient une part équitable d’impôts partout où elles opèrent », adoptant ainsi les principes d’une imposition minimale et de la taxation unitaire d’une partie des profits des principales multinationales.
DEUX PILIERS DE LA NÉGOCIATION
L’objectif du projet BEPS 2.0 est d’harmoniser les règles fiscales internationales pour endiguer l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, et ainsi mettre fin à la course au moins-disant fiscal.
Cet accord privilégie les pays développés (ou les pays de consommation) au détriment de la majorité des pays en développement (ou pays de production)
Ce projet repose sur deux piliers. Le « pilier 1 » concerne la taxation unitaire d’une partie des profits de certaines multinationales tandis que le « pilier 2 » concerne l’imposition minimale des profits à l’étranger. Le pilier 1 vise « à garantir qu’à l’heure où le numérique progresse sans cesse, la répartition des droits d’imposition des bénéfices commerciaux ne soit plus uniquement dictée par le critère de présence physique ». L’accord définit une nouvelle clé de répartition d’une fraction des bénéfices d’un nombre limité de multinationales au détriment des paradis fiscaux et au profit des pays où se situent les maisons-mères et les ventes de ces sociétés. En d’autres mots, cet accord privilégie les pays développés (ou les pays de consommation) au détriment de la majorité des pays en développement (ou pays de production). Si la proposition de l’OCDE cherchait initialement à inclure les multinationales dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros, à l’issue de la négociation, il ne concerne plus que les 100 plus grandes et plus rentables d’entre elles.
LA TAXATION UNITAIRE ENFIN RECONNUE, MAIS CE N’EST PAS SUFFISANT !
L’avancée majeure, quant à ce premier pilier, est la reconnaissance du concept de taxation unitaire, c’est-à-dire une nouvelle répartition des droits à taxer entre États qui permettrait de savoir dans quels pays les bénéfices des entreprises devraient être soumis à l’impôt (en fonction de l’activité économique réelle). Cependant, ce pilier ne porte que sur 20 à 30% des profits résiduels des firmes de plus de 20 milliards de chiffre d’affaires mondial (un seuil qui pourrait descendre à 10 milliards à terme, une bonne nouvelle) et dont la rentabilité est supérieure à 10%. C’est-à-dire que le Cadre inclusif de l’OCDE reconnaît qu’une petite partie des profits (de certaines multinationales) devrait être taxée dans les pays où l’activité économique a lieu.
La base de ce premier pilier est donc très faible, surtout si l’ambition de l’OCDE était de « garantir que les grandes entreprises multinationales paient des impôts là où elles opèrent et réalisent des bénéfices, tout en ajoutant la certitude et la stabilité dont le système fiscal international a tant besoin ». Il y a néanmoins un espoir malheureusement trop lointain : une révision se fera en 2030, sept ans après son entrée en vigueur.
Enfin, la négociation a également porté sur deux secteurs en particulier qui, comme pressenti, ont finalement été exclus de ce premier pilier. D’une part, le secteur financier, ce qui n’est pas une bonne chose mais qui est une concession à la City de Londres. D’autre part, le secteur extractif est lui aussi exclu, ce qui serait une bonne nouvelle pour les pays en développement (puisque ces pays sont ceux de production, en situation de désavantage dans cet accord) s’ils parviennent à imposer les bénéfices sur le lieu d’extraction. Rappelons qu’au sein de l’Union européenne, ces deux secteurs sont déjà soumis à la publication d’un rapportage comptable pays par pays.
UN TAUX MINIMUM EFFECTIF D’IMPOSITION, INSUFFISANT LUI AUSSI
Le deuxième pilier est fondé sur l’imposition minimale des profits à l’étranger : l’accord mentionne un taux effectif d’au moins 15% appliqué pays par pays. L’accord prévoit aussi qu’il pourra être relevé à l’avenir. C’est ce pilier qui a retenu l’attention suite aux annonces de Joe Biden en avril puis du G7 début juin. Ceci s’explique par le fait qu’il permettrait de générer la plus grande partie des recettes fiscales récupérées par les Etats. Selon les estimations du Tax Justice Network (TJN), ce taux permettrait de mobiliser 275 milliards de dollars selon la clé de répartition proposée par l’OCDE et le G7, dont 60% pour les seuls pays du G7 (du fait que les pays abritant les sièges sociaux sont avantagés).
Un tel taux minimum permettrait de mettre fin aux politiques des paradis fiscaux qui offrent des taux très faibles ou nuls
Un tel taux minimum permettrait de mettre fin aux politiques des paradis fiscaux qui offrent des taux très faibles ou nuls. Cependant, un taux de 15% ne permettrait pas de mettre fin à la course au moins-disant fiscal, puisque le taux moyen mondial s’élève à plus de 24%. Pour être suffisamment efficace, la réforme devrait appliquer un taux minimum plus élevé et se rapprocher du taux moyen mondial, tel que le taux de 21% initialement proposé par l’Administration Biden. De surcroît, selon le TJN, l’application d’un taux minimum mondial de 21% pourrait redistribuer aux États 540 milliards USD de recettes par an (selon la clé de répartition retenue par l’OCDE). Toutefois, ces estimations montrent également l’inégalité entres les pays riches et en développement : 75% seraient récupérés par les pays de l’OCDE (404,6 milliards USD) et 23% pour les pays en développement (126 milliards USD).
ÉLARGIR L’ASSIETTE FISCALE ET PRENDRE EN COMPTE LES PAYS EN DÉVELOPPEMENT
Malgré les avancées majeures qu’il permet en matière de fiscalité internationale, cet accord conclu à l’OCDE est insuffisant et ne bénéficie pas suffisamment aux pays en développement. Or tout n’est pas bouclé : les négociations vont continuer pour aboutir sur tous les aspects techniques d’ici le mois d’octobre. Des propositions existent qui prennent en compte ce même taux minimum de 21% tout en cherchant une répartition plus juste, y compris pour les pays en développement. En effet, un groupe de chercheurs propose un taux effectif minimum d’imposition pour les multinationales (METR selon l’acronyme anglais, Minimum Effective Tax Rate for Multinationals). Tout le monde aurait à y gagner. Cette proposition permettrait de redistribuer aux États un montant plus élevé (le TJN l’estime à 643 milliards USD). Elle serait plus favorable aux pays en développement puisque ceux-ci bénéficieraient de 31% des recettes redistribuées (ou 198,1 milliards USD), contre 69% pour les pays de l’OCDE (ou 444,8 milliards USD).
Certes, il vaut mieux un accord insuffisant que pas d’accord. Mais la solution proposée est loin d’être la véritable réforme mondiale permettant de mettre définitivement fin à la course au moins-disant fiscal.
IL EST ENCORE POSSIBLE DE METTRE LA JUSTICE FISCALE AU CŒUR DE LA RÉFORME
Comme le souligne l’OCDE, les multinationales doivent payer leurs impôts là où leurs activités ont effectivement lieu. Ce principe de justice fiscale doit être pris en compte par les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales des pays du G20 qui se réuniront à Venise les 9 et 10 juillet prochains pour avaliser cet accord. Les derniers détails du projet BEPS 2.0 devront ensuite être finalisés d’ici le mois d’octobre. Beaucoup reste donc à faire, comme se mettre d’accord sur la question des exceptions : celle-ci n’est pas encore claire et il sera important de limiter les dérogations au maximum afin de ne pas réduire démesurément l’assiette fiscale (aspect tout aussi important que le taux).
Ces négociations s’inscrivent dans un contexte de crise inédit, qui offre l’occasion de mettre en place des transformations structurelles pour un monde juste et durable. Ce projet BEPS 2.0 est donc crucial puisqu’en cherchant à réduire les possibilités pour les firmes transnationales de transférer leurs profits vers des paradis fiscaux, l’OCDE/G20 contribue à la mise en place d’une réforme basée sur un principe de justice fiscale. Celui-ci devrait guider le reste des négociations afin d’enrayer les inégalités exacerbées par la pandémie et de mobiliser des recettes supplémentaires pour financer la reconstruction post-Covid, en particulier les investissements dans la santé, l’emploi, la protection sociale et le climat.
Source: https://www.cncd.be/Accord-sur-la-taxation-des