Mercredi 21 juillet 2021. Après 59 jours de grève de la faim et plusieurs jours de grève de la soif, les 450 citoyen·nes de l’Église du Béguinage, de l’ULB et de la VUB ont suspendu leurs actions de grève afin d’évaluer les propositions formulées par les autorités.
Soyons clair·es : il n’est pas ici question de victoire. Ni pour les citoyen·nes grévistes, ni pour les associations et collectifs qui les ont suivi·es et soutenu·es et encore moins pour les différents gouvernements et autorités communales concernées. Tout au plus, nous pouvons éloigner ce cauchemar collectif qui aurait été de constater, tôt ou tard, le décès d’un être humain dont le seul crime aurait été de ne pas posséder un titre de séjour en règle.
Nous regrettons amèrement le temps nécessaire à nos ministres, député·es et bourgmestres avant qu’ielles ne se soient clairement manifesté·es afin d’apporter une réponse décente à cette situation dramatique. Quel est donc ce pays où on met en balance l’obtention d’un titre de séjour (et qui plus est, provisoire) et la vie des citoyen·nes ?
Là où les discours politiques ont trop souvent pointé cette grève tel un chantage, nous souhaitons quant à nous rappeler qu’aucun·e gréviste n’a entamé cette action à la légère ou par choix. Cela relevait de la nécessite, de l’instinct de survie, guidé·e par un désespoir profond qu’ielles ont décidé tout d’abord d’arrêter de s’alimenter, puis de boire. Cette action s’inscrit par ailleurs dans le continuum d’un agenda d’actions menées sur le long terme : pétitions, manifestations pacifistes, interpellations politiques… Ces actions n’ont jamais été entendues par les autorités et n’ont malheureusement pas été traduites en intention ou en actes politiques, comme en témoigne le vide flagrant de toute mesure concernant les personnes sans-papiers dans l’accord de gouvernement fédéral, rédigé et signé en octobre 2020 par la Vivaldi.
Rien que ces dernières semaines, des dizaines de cartes blanches et de communiqués ont été publiés, des centaines de lettres de citoyen·nes ont été transmises aux autorités fédérales, des manifestations, des sittings, des occupations ont été organisés… autant d’actions et de mobilisations de citoyen·nes avec ou sans papiers, par ailleurs soutenues par de nombreuses personnalités belges et étrangères, qui témoignent de l’impensable et de l’inhumanité de cette situation.
Face au discours inflexible du Secrétaire d’État à l’Asile et à la migration, ainsi que du gouvernement fédéral, nous opposons des vies humaines. Mais force est de constater que celles des personnes sans titre de séjour ont finalement peu de valeur aux yeux de ceux et celles qui dirigent notre pays.
Pour les citoyen·nes grévistes, cette issue n’est malheureusement qu’un répit dans un long parcours du combattant. Au terme de 59 jours de grève — soit presque l’équivalent de deux mois — ielles peuvent espérer à présent seulement obtenir un titre de séjour provisoire, allant de 3 mois à 6 mois et au mieux 1 an, renouvelable selon les situations et les critères. Sans compter que, dans les cas de demande d’un visa pour une urgence sanitaire, ces personnes n’auront pas d’accès au marché du travail. Il s’agit encore là d’une négociation qui se déroulera dans les jours à venir.
La plupart de ces personnes sont des travailleur·euses sans papiers, qui souhaitent obtenir un titre de séjour pour stabiliser une vie chaotique, où elles ont été et sont toujours victimes d’une accumulation de discriminations : logement, travail, sexisme et évidemment, racisme. Ces personnes souhaitent accéder aux mêmes droits que les autres citoyen·nes qu’ielles côtoient tous les jours, acquérir un logement décent, décrocher un contrat de travail, offrir une scolarité à leur enfant, bénéficier de la sécurité élémentaire dont ielles sont privé·es depuis de nombreuses années alors même qu’ielles participent, comme vous et nous, au fonctionnement de notre société.
Alors que ces 476 citoyen·nes sont à bout de souffle, c’est maintenant un deuxième combat qu’ielles devront mener : constituer leur dossier administratif pour introduire une demande de permis de séjour, faire la file plusieurs heures en zone neutre (désormais uniquement ouverte pour les grévistes) face aux sept agents de l’Office des étrangers, retrouver un ou leur logement, trouver une source de revenu, sortir de ces occupations qui constituaient depuis des mois un enfermement, mais surtout leur unique espoir. Pour beaucoup, il y a aura des séquelles physiques irréversibles, des séquelles psychologiques lourdes. Mais ielles devront avancer, malgré tout.
Il n’est pas question ici d’accueillir toute la misère du monde (et quand bien même…) Il n’est pas question ici non plus de créer un appel d’air. Il n’est pas question non plus que de chiffres, de croyances ou de préjugés. Il est question de faits : l’immigration a un impact positif sur nos économies et nos cultures, à condition de l’envisager comme telle. En Belgique, actuellement, l’immigration est surtout appréhendée comme un phénomène qui légitimise le fait qu’on puisse classer les citoyen·nes en deux catégories : ceux et celles qui bénéficient de l’état de droit face à ceux et celles qui n’en bénéficient pas. Le tout, justifié par l’État de droit lui-même (« Ce qu’on attend de nous, c’est de trouver des solutions, pas de créer des problèmes », a évoqué le Premier ministre, le 19 juillet dernier). Le cynisme qui entoure cette question est tel qu’on en oublie la mission première d’un État de droit démocratique, à savoir garantir à tous et toutes l’accès aux droits fondamentaux et ce, sans distinction.
Plus globalement, et nous ne cessons de le rappeler ces dernières semaines, cette grève de la faim n’est qu’un énième épisode tragique d’une politique migratoire aveugle et inhumaine. En Europe comme en Belgique, les autorités continuent à dresser des murs physiques ou symboliques de plus en haut, rendant l’accès à nos pays de plus en plus mortel. Combien d’hommes, de femmes et d’enfants meurent chaque jour en tentant de rejoindre nos États, pour trouver un refuge légitime face à des dangers qui menacent leur vie ou pour échapper à des situations économiques épouvantables ?
Chaque mort est inacceptable. C’est une honte pour le projet européen et pour les états démocratiques qui le composent. En acceptant ces décès, les autorités légitiment un peu plus chaque jour le discours des extrêmes racistes et liberticides. À force de craindre la vague brune, les partis de gauche, belges et européens, lui offrent un véritable boulevard. Il y a des limites en matière de respect de la vie humaine et de valeurs fondamentales qu’aucun parti se réclamant de la démocratie, de la solidarité et de l’égalité, ne devrait accepter de voir franchir. Les aller-retour politiques autour de cette crise des grévistes de la faim ont, encore une fois, démontré toute l’étendue du piège dans lequel les forces de gauche se sont progressivement enfermées.
Soyons de bon sens : la migration ne va pas s’arrêter parce que nous construisons des murs. Certains facteurs vont d’autant plus accentuer les migrations dans les années à venir. En effet, comme le soulignent tous les climatologues, en frappant plus fortement les pays les plus pauvres, la crise climatique majeure dans laquelle nous entrons va pousser des milliers de personnes à chercher un refuge. Alors que nous savons pertinemment que ce dérèglement climatique majeur met en péril l’agriculture de nombreux pays, accentue les évènements météorologiques mortels et que les pays occidentaux ont largement contribué à son aggravation, allons-nous refouler à nos frontières ces hommes, femmes et enfants ? Allons-nous regarder le monde s’embraser derrière nos murs, à travers nos écrans de télévision et nos smartphones, alors même que nous avons largement contribué à allumer et nourrir ce feu ?
Depuis 18 mois, le monde traverse aussi la pire crise sanitaire de ce siècle, face à la propagation du COVID-19. L’absence de système social public et de services publics forts va certainement faire exploser les inégalités dans certains pays. Deux options s’offrent alors à nous : revoir chaque année le nombre de mort·es que nous jugeons acceptable en regard de nos valeurs (et dès lors, faire le lit de l’extrême droite) ou appréhender la migration comme un phénomène constant que nous devons intégrer dans notre projet de société, telle une opportunité et non plus comme une nuisance ?
En tant qu’associations et syndicats de gauche, nous avons évidemment posé le choix de nous battre pour la seconde option. Nous continuerons à faire pression sur les dirigeant·es et futur·es dirigeant·es pour qu’ielles en fassent autant. Nous continuerons, par ailleurs, avec nos membres et militant·es, à déconstruire les préjugés racistes et idées simplistes, véhiculés par la droite et l’extrême droite. Nous sommes convaincu·es qu’il s’agit là d’un travail global, à mener dans les pensées et dans les actes avec tous·tes les citoyen·nes.
Nous nous montrerons particulièrement attentif·ves dans les prochains jours en qui concerne le suivi des dossiers introduits par les citoyen·nes grévistes auprès des services compétents. À l’inverse du traitement médiatique mainstream, nous n’attendrons pas qu’il y ait des évènements tragiques pour nous préoccuper de la question. Nous militons depuis des années pour que soient opérées des politiques migratoires justes et humaines. Un combat que nous poursuivrons encore demain et après-demain.
Source: https://www.pac-g.be/civicrm?civiwp=CiviCRM&q=civicrm%2Fmailing%2Fview&reset=1&id=260