Exigeons une coexistence avec la Russie par la coopération et la négociation (Carte Blanche Pierre Galand, ancien sénateur
dans Le Soir le 9.2.2022
Exigeons une coexistence avec la Russie par la coopération et la négociation
C’est en ces temps de nouvelles tensions en Europe qu’il nous faut rappeler nos exigences de sécurité et de coopération pour répondre aux aspirations des peuples à la paix
Depuis la guerre froide, les manifestations se sont succédé pour mettre fin à la prolifération des armes atomiques
et, notamment, pour protester contre l’installation d’un arsenal en Belgique. -
Né durant la Deuxième Guerre mondiale, j’ai vécu la guerre froide et ressenti les angoisses vécues par mes parents durant la guerre de Corée des années 1950-1953, les observant faire des réserves pour nourrir notre famille nombreuse. Ma première manifestation fut celle du soutien aux Hongrois lors de l’invasion des chars soviétiques dans les rues de Varsovie en 1956.
Dès 1979, à la tête du CNAPD (Comité national pour la paix et le développement) et secrétaire général d’Oxfam Belgique, avec une très large coordination de mouvements de jeunesses chrétiennes, socialistes, communistes, écologistes, syndicales, d’organisations de paix et d’ONG, nous avons lancé les premières grandes manifestations antimissiles des mois d’octobre ’79, 81, 83, 85, réunissant à chaque fois des centaines de milliers de participants du nord et du sud de la Belgique pour s’opposer au déploiement en Belgique des « Euromissiles » tant à l’Est qu’à l’Ouest.
Nous nous coordonnions avec les pacifistes du nord du pays : le VAKA (Vlaams Aktie Komite tegen Atoomwapens) et ceux des autres pays d’implantation où la mobilisation était aussi forte. Il s’agissait de l’Allemagne, l’Angleterre, l’Italie, la Hollande et la Belgique où les Etats-Unis avaient décidé d’implanter des missiles nucléaires à moyenne portée de haute précision (Cruise et Pershing ayant une portée de 500 à 1000 km).
Nous dénoncions dans le même temps l’implantation des missiles SS20, 21, 22 par les Soviétiques en Europe de l’Est. Le slogan central de nos manifestations était « Non aux missiles – Désarmer pour Développer ».
Nous manifestions tous les deux ans à une date proche de la Journée internationale des Nations Unies pour la paix et le désarmement, ce qui nous laissait le temps de mobiliser nos concitoyens et d’organiser les pressions politiques en vue d’amener nos gouvernements à modifier la décision qui autorisait les Américains à implanter ces missiles sur le territoire belge. D’autre part, nous participions avec nos partenaires à des actions européennes au sein de E.N.D. (European Nuclear Disarmament). Ces actions consistaient à dénoncer le surarmement, source d’insécurité et de tension, en rencontrant les ambassadeurs et négociateurs russes et américains dans les officines des Nations Unies à Genève et à New York ainsi que les mouvements de la paix des pays de l’Est européen. Nous n’hésitions pas à nous rendre à Moscou, accompagnés de journalistes de la grande presse belge.
Des dépenses pour les armements en constante augmentation
Aujourd’hui, alors que nous voilà confrontés à de nouvelles tensions et bruit de bottes entre la Russie et les Etats-Unis, nous devons manifester notre opposition à la guerre et faire savoir que notre objectif est celui de la désescalade et de la négociation pour la limitation contrôlée des armements de destruction massive, qu’ils soient nucléaires, bactériologiques et chimiques (A.B.C.). A l’époque, dans les années ’80, nous dénoncions le fait que les Etats dépensaient annuellement 1.000 milliards de $ en armements. Aujourd’hui ces dépenses ont doublé et l’Otan nous impose sans cesse des efforts supplémentaires. C’est non seulement insensé mais aussi éthiquement inacceptable alors que les besoins les plus essentiels de plus de 3 milliards d’êtres humains en alimentation, santé, éducation ne sont pas satisfaits et que chez nous de plus en plus de gens font appel à l’aide des CPAS. Alors que l’industrie de l’armement, la fabrication et l’usage des armes et avions de combat, ne fût-ce qu’en entraînement, sont une importante source de pollution atmosphérique, maritime, terrestre et spatiale.
En 1990, la chute du mur de Berlin et l’implosion de l’Union Soviétique ont donné l’impression aux Européens que cela mettait fin aux risques de guerre en Europe. Le président russe M. Gorbatchev ne parlait-il pas de « notre maison commune » ?
Je ne vais pas approfondir ici les raisons diverses qui nous ont conduits à la situation actuelle car mon intention est de faire entendre une fois encore et dans l’urgence notre opposition à la guerre qui est largement partagée par nos concitoyens dans toute l’Europe.
Et de rappeler d’abord toutes les initiatives qui furent prises par des ardents défenseurs de la paix tant parmi les politiques, que parmi les gens de la culture et ceux du monde ouvrier.
De mauvais souvenirs malgré de nombreux efforts
Je citerai à titre d’exemple tous les efforts déployés au sein de l’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe) et qui ont abouti aux accords d’Helsinki. Des comités citoyens pour la sécurité et la coopération, soutenus par les grands syndicats à l’Est et à l’Ouest, virent le jour et travaillèrent à la concrétisation de l’agenda d’Helsinki et de propositions concrètes pour créer des mesures de confiance et de sécurité dans les différents domaines des droits sociaux économiques, culturels et celui des libertés individuelles. Certes, cela n’a pas empêché la reprise de la guerre froide mais bien l’avènement d’une guerre nucléaire avec comme théâtre le centre de l’Europe. Cela contribua aussi à la reprise des négociations entre Russes et Américains à Genève pour l’adoption d’accords visant à limiter le nombre d’ogives nucléaires portées par les missiles à longue portée et, en 1989, le retrait des missiles à moyenne portée du centre de l’Europe, ce qui réduisit considérablement les tensions.
Aujourd’hui, le mur de Berlin est tombé, l’Allemagne est réunifiée, les pays de l’Europe de l’Est sont membres de l’Union, l’URSS et son modèle totalitaire n’existent plus. Or, la Russie, qui n’a plus rien à voir avec le communisme, n’en est pas moins de nouveau considérée comme l’ennemi de l’Otan et des Etats-Unis. Cela ravive de mauvais souvenirs et surtout des tensions à propos de l’Ukraine, ce dont les populations n’ont certainement pas besoin.
Suivre l’exemple finlandais
Le risque d’un dérapage et d’une nouvelle guerre est présent et il faut nous y opposer car d’autres solutions sont à portée de main.
Les Finlandais qui ont une longue histoire de coexistence avec la Russie poursuivent comme dans les années 70 une politique veillant à la sécurité des citoyens par la négociation et la coopération. Ils pourraient nous en apprendre quant aux vertus de ce que l’on appela à tort la « finlandisation » et qui pourrait servir de modèle aux Ukrainiens. Il est urgent que les Européens soutiennent une telle proposition.
Il faut appeler les Etats-Unis à revenir sur les tragiques décisions de Trump de se retirer des grands accords de réduction des armes ABC et de retourner à Genève afin de négocier non seulement avec les Russes mais également avec les autres puissances nucléaires des accords de réduction des armes atomiques et de destruction massive sous le contrôle de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique de l’ONU)
Enfin, il s’agit de respecter le traité de non-prolifération des armes nucléaires, le TINA, adopté par l’Assemblée Générale en 2020 et entré en vigueur depuis le 22 janvier 2021.
Notre pays et les autres pays européens non nucléaires devraient être les premiers à y souscrire et ainsi montrer l’exemple. Et oui, cela nous obligerait à refuser le stationnement d’armes nucléaires étatsuniennes à Kleine-Brogel ou en tout autre endroit de Belgique. Plutôt que de risquer de redevenir un terrain d’affrontement entre superpuissances nucléaires, n’est-ce pas une question de sécurité pour chacun de nous ? N’est-ce pas aussi la voie pour rendre aux Nations Unies son rôle fondateur : la paix et le développement par les échanges multilatéraux ?