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STIB : deux ans après, le Tribunal va se demander si les chauffeurs avaient le droit de s'inquiéter du COVID

Martin WILLEMS, secrétaire permanent CSC United Freelancers

Nous en avions déjà parlé dans le DR en 2020 et début 2021.

Pour rappel, début mai 2020, 1300 chauffeurs de la STIB ont refusé de prendre le volant de leur bus (ou de leur tram), certains pendant tout une semaine. Pourquoi ? La direction avait décidé de supprimer quasiment toutes les mesures de protection adoptées pendant la première vague du COVID. Les travailleurs -qui n’ont jamais arrêté de circuler- se sentaient en danger dans leur poste de conduite, d’autant plus que les mesures de prévention étaient beaucoup plus sérieuses dans les services de transport des autres régions (chez De Lijn et chez TEC).

Droit de retrait

Les travailleurs avaient mis en œuvre une disposition du Code du bien-être au travail, le droit de retrait[1], qui leur permet (et même les oblige) de signaler et de cesser le travail en cas de danger grave et immédiat, et de ne le reprendre que lorsque des mesures sérieuses ont été prises.

Ils demandaient notamment à la STIB de limiter le nombre de voyageurs dans les véhicules (règle qui était en vigueur du 14 mars à fin avril), la fermeture hermétique du poste de conduite (ce qui était fait dans les bus De Lijn), la désinfection du véhicule après chaque service et la suspension des services coupés (comme c’était le cas jusque fin avril, ceci pour éviter de devoir changer de chauffeur en milieu de ligne, sans désinfection).

Autoritaire, la STIB a voulu considérer cet arrêt de travail comme illégal : non seulement leur salaire a été retenu, mais leur absence (en fait il n’étaient pas absents, il étaient bien dans les dépôts, mais refusaient de monter dans les véhicules) a été considérée comme « injustifiée », ce qui influe sur les évaluations et les promotions. Dès lors 325 travailleurs se sont joints pour réclamer justice au Tribunal.

Audience au Tribunal du Travail le 31 octobre

Finalement l’affaire ne sera plaidée devant le Tribunal du Travail que ce 31 octobre 2022, soit plus de 28 mois après les faits ! La partie adverse (la STIB) et ses avocats ont tout fait pour retarder le plus possible cette audience.  Sans doute pensaient-ils que, 28 mois après, l’épidémie de COVID serait loin derrière nous, et que le Tribunal débouterait d’autant plus facilement les travailleurs que la crainte du virus serait depuis longtemps oubliée.

Autre manœuvre, la STIB et ses avocats ont voulu scinder le dossier en autant de dossiers séparés que d’individus concernés, ce qui aurait naturellement complètement désorganisé leur traitement (ainsi que celui des autres affaires) par le Tribunal, et sans doute reporté l’issue de plusieurs années.

Une épidémie à rebonds

Mais, depuis lors, il y a eu 5 autres vagues de contamination avec leur cortège d’hospitalisations et de décès.  Certes des vaccins sont apparus, mais seulement un an après l’action des travailleurs de la STIB, et une vague mortelle plus tard.  Il faut se souvenir de l’ambiance qui régnait alors : pendant presqu’un an les rassemblements à domicile ont été interdits ; les contrevenants étaient dénoncés par leurs voisins ; la Police jugeait nécessaire d’organiser des descentes en force (et parfois violentes).

Comment justifier à ces travailleurs qu’on ne pouvait pas fêter Noël en famille, que la plupart des services publics et des lieux normalement ouverts au public étaient fermés, mais que leur bus pouvait être bondé (car, même si le télétravail était encouragé, ceux dont le métier ne le permettait pas se rendaient toujours au travail), sans aucune mesure sérieuse pour empêcher la transmission du virus.

Les travailleurs avaient entièrement raison de rester prudents.  Le 11 mai 2020 l’épidémie avait déjà fait 8778 victimes. Mais, depuis, elle en a encore fait 23586 en plus ! Au moment où ils exerçaient leur droit de retrait, 73% des décès dus à l’épidémie de Covid étaient encore à venir !

L’union sacrée

Pourquoi les syndicats n’ont-ils pas informé leurs affiliés sur le droit de retrait et, au contraire, les ont découragé d’y recourir ? Rétrospectivement on peut constater qu’avec la pandémie et dès le premier confinement, les syndicats ont pris le parti de faire « union sacrée » avec les employeurs pour traverser cette crise. Certains pensaient peut-être que, vu la gravité de la situation, il ne fallait pas en rajouter avec un droit de retrait qui aurait justifié des arrêts de travail partout où les travailleurs se sentaient en péril.

Ce faisant, les syndicats ont contribué à forcer les travailleurs « essentiels » à continuer leur travail, au mépris des risques évidents pour leur santé. Il est vrai que, sans eux, nos sociétés se seraient effondrées. Mais fallait-il pour autant brader la santé et la sécurité de ces travailleurs ? D’autant que le résultat était particulièrement inégalitaire : alors que ceux qui pouvaient se le permettre se calfeutraient et restaient en sécurité en télé-travaillant, les travailleurs essentiels (le plus souvent justement les plus mal payés) devaient continuer à travailler comme avant. Combien en sont morts ? Le dira-t-on un jour ?

Il est d’ailleurs piquant de se rappeler que tant les Tribunaux que les centres de service des organisations syndicales étaient fermés au public en mai 2020. Et les travailleurs de la STIB, eux, n’ont jamais voulu interrompre le service aux usagers.  Ils ont juste exigé que toutes les précautions raisonnables qui pouvaient être prises le soient, pour que le danger auquel ils allaient, de toute manière, s’exposer, soit réduit au maximum.  Les travailleurs de la STIB étaient prêts à l’héroïsme, mais moyennant quelques précautions, que ceux qui restaient cloisonnés chez eux par crainte du virus prétendaient leur refuser.

Ce réflexe de « l’union sacrée » laisse perplexe. Visiblement certains, au sein des organisations syndicales, préfèrent se faire reconnaître comme « partenaires sociaux », comme « facilitateurs » d’un capitalisme « raisonnable », plutôt que comme le bouclier des travailleurs dans la guerre interminable contre ceux qui n’hésitent pas à les traiter en chair à canon. Certes c’est la responsabilité d’une organisation syndicale de constamment faire la « balance » entre l’intérêt général et les intérêts plus particuliers, mais pas d’imposer des risques évitables aux travailleurs.

Soutien aux travailleurs

Les travailleurs demandent au Tribunal de reconnaître les manquements de la STIB en matière de politique de prévention, et dès lors leur droit au retrait en mai 2020. En conséquence, les salaires retenus doivent être payés et toutes les sanctions annulées.

Vu que leur action n’est pas soutenue financièrement par leur centrale syndicale, les travailleurs font appel à notre solidarité pour les frais de leur défense en justice. Toute contribution peut être payée au compte du Collectif des Agents, le BE71 0837 4799 3069, avec la communication « Droit de retrait STIB ».

Ce combat est emblématique pour le respect des travailleurs. Non, il n’est pas acceptable que certains ordonnent à d’autres de travailler sans les mesures de sécurité adéquates.

Article paru précédament dans le Drapeau Rouge, septembre-octobre 2022

[1] Article 1-2.26 du Code du bien-être au travail (CBE). Cet article prévoit qu’«un travailleur qui, en cas de danger grave et immédiat et qui ne peut être évité, s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse ne peut en subir aucun préjudice et doit être protégé contre toutes conséquences dommageables et injustifiées». Pour assurer l’effectivité du droit de retrait, le législateur impose à l’employeur de prendre des mesures et de donner des instructions pour permettre aux travailleurs exposés à un danger grave et immédiat qui ne peut être évité d’arrêter leur activité (Art. I.2-24, al. 2, du CBE). Du reste, la législation interdit à l’employeur, sauf exception dûment motivée, de demander aux travailleurs de reprendre le travail s’il n’est pas en mesure de mettre fin à la situation de danger grave et immédiat (Art. I.2-24, alinéa 3, du CBE), ULB, Centre de droit public et social, Carnet de crise #20 du 24 avril 2020 : Le droit de retrait : un outil juridique central pour assurer la protection effective de la santé des travailleurs en période de COVID-19