Publié le 13 juin 2017 dans AP - Gouvernement de Ramallah, Arabie Saoudite, Croix-Rouge - CICR, Emirats Arabes Unis, Energie, Gaza - Blocus, Gaza - Ravitaillement, Hamas, Occupation, OCHA, Punitions collectives, Qatar, Santé
Comme on s'y attendait depuis trois semaines, Israël va réduire de 40% ses fournitures d'électricité à la Bande de Gaza, où la situation déjà dramatique est sur le point de devenir catastrophique. Selon le gouvernement israélien, qui a approuvé dimanche dernier cette mesure, elle est le résultat d'une décision de l'Autorité Palestinienne de Ramallah, qui refuse de continuer à payer plus de 60% du montant des factures d'électricité de Gaza.
Avant cette réduction des fournitures d'énergie au territoire soumis par Israël à un blocus terrestre, maritime et aérien criminel depuis plus de dix ans, les deux millions d'habitants de la Bande de Gaza ne pouvaient, dans le meilleur des cas, disposer d'un approvisionnement en électricité que quatre heures par jour. Il en allait de même pour les infrastructures les plus vitales, telles que les hôpitaux – contraints à réduire fortement leur activité, notamment dans les services de chirurgie et où les dialyses, les couveuses pour les prématurés, etc... ne fonctionnent qu'avec des générateurs locaux souvent vétustes et extrêmement sollicités et à condition d'être approvisionnés en carburant liquide – les stations d'épuration d'eau (à l'arrêt), etc...
La diminution de l'approvisionnement par Israël – dont l'aviation a détruit la plupart des infrastructures et notamment les centrales électriques lors des agressions militaires successives contre la population de Gaza – devrait avoir pour conséquence une réduction de 45 minutes de la durée quotidienne d'approvisionnement de la population.
Le Hamas a qualifié de "catastrophique" et de "dangereuse" cette décision, estimant qu'elle pourrait "accélérer la détérioration de la situation et [provoquer] une explosion" dans la Bande de Gaza.
"Les parties qui portent la responsabilité des conséquences de cette décision sont les assiégeants ennemis israéliens et le chef de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas pour son rôle immoral et irresponsable avec l'occupation", estime le Hamas.
Les obligations d'Israël
La décision, qu'elle incombe surtout à l'Autorité Palestinienne ou au gouvernement israélien, ou que comme c'est plus que probable qu'elle résulte d'une convergence des deux qui n'étonne même plus, est clairement politique : il s'agit, comme l'a expliqué sous couvert de l'anonymat un haut fonctionnaire israélien à Haaretz, de "mettre un terme à l'indulgence envers le Hamas" tout en donnant satisfaction à Abbas.
L'expression "indulgence envers le Hamas" traduit le fait que – comme le souligne Charlotte Silver dans un article publié par Electronic Intifada – le pouvoir israélien ne fait aucune distinction entre l'ensemble de la population civile de la Bande de Gaza, d'une part, et une organisation politique qui contrôle le territoire depuis 2007, d'autre part. Cela signifie qu'Israël impose des punitions collectives contraires au droit international humanitaire à la population civile afin d'atteindre ses objectifs politiques (et en dépit de l'échec constant de cette stratégie déjà ancienne).
Gilad Erdan, Ministre israélien de la sécurité publique, a affirmé au micro de la radio de l'armée que la décision de couper le courant à Gaza est celle de Abbas. "Qu'Israël paie les factures d'électricité de Gaza, c'est une situation impossible", affirme-t-il. Tout l'appareil militaro-sécuritaire et les services de renseignement israéliens appuient la décision, même s'ils sont conscients des conséquences humanitaires catastrophiques qui en découleront et des risques d'escalade militaire que cela comporte.
Pourtant, ce n'est pas en se cachant derrière Abbas – dont le rôle est effectivement moins glorieux que jamais – qu'Israël pourra s'exonérer de sa responsabilité de puissance occupante de Gaza. La Quatrième convention de Genève, relative à la protection des civils en temps de guerre (1949) exige que l'occupant utilise tous les moyens à sa disposition afin d'assurer, au bénéfice de la population vivant sous occupation, des services médicaux adéquats, une politique de santé publique adaptée et notamment le fonctionnement des établissements consacrée à l'éducation des enfants. Sans un approvisionnement suffisant en électricité c'est évidemment impossible.
"Israël n'est pas juste un fournisseur de services, répondant de manière neutre aux demandes d'un client", souligne Gisha, une ONG israélienne qui se consacre à la protection de la liberté de circulation. "Compte tenu de son contrôle très étendu sur la vie des habitants de la Bande de Gaza, Israël est responsable de leur fournir des conditions d'existence normales".
Le "Palestinian Center for Human Rights" fait valoir pour sa part que la réduction des fournitures d'électricité annoncée constitue une menace pour la survie de la population, dont une partie importante est déjà fortement précarisée. Les plus pauvres ne disposent pas des ressources nécessaires pour s'adapter à la situation de pénurie, et souffrent donc davantage de ses conséquences.
Un chantage politique cruel
C'est à la fin du mois de mai que l'Autorité Palestinienne de Ramallah a indiqué à Israël qu'elle ne paierait plus à l'avenir que 60% des factures relatives aux fournitures d'électricité à Gaza.
Le porte-parole de l'AP, Tareq Rashmawi, a annoncé la décision en faisant valoir que le Hamas ne remboursait pas l'AP de Ramallah pour ces factures, et il a aussi exigé que le Hamas accepte l'organisation d'élections législatives et présidentielle. Les motifs invoqués sont donc à la fois financiers et politiques.
De son côté, l'administration de Gaza chargée de l'énergie a affirmé qu'elle s'est conformée à toutes les conditions qui avaient été posées par l'Autorité Palestinienne de Ramallah pour mettre un terme à la crise de l'électricité, y compris en ce qui concerne une perception plus rigoureuse des factures d'électricité auprès de la population gazaouite (qui en en fait dans bien des cas est incapable de payer, vu la situation économique du territoire soumis au blocus israélien).
Le mois dernier, l'Autorité Palestinienne a cessé de transférer les fonds destinés au système de santé à Gaza, de sorte qu'au moins 240 enfants et des centaines de personnes atteintes de cancer [1] ou d'autres affections graves n'ont plus bénéficié d'aucun traitement, selon l'organisation de médecins "Physicians for Human Rights-Israel".
L'AP a aussi cessé de fournir des médicaments, notamment ceux à usage pédiatrique.
Qui plus est, le gouvernement de Ramallah a aussi pratiquement cessé de payer les fonctionnaires de l'AP à Gaza. Occupés par l'AP avant l'arrivé au pouvoir au Hamas – consécutive à sa victoire électorale incontestable et à une tentative de putsch pour le renverser – ces fonctionnaires avaient continué à percevoir leur salaire, à la condition expresse qu'ils ne travaillent pas pour le gouvernement du Hamas.
Désormais, leurs ressources ont été réduites de 30 à 70% par l'AP. Cette semaine, un chercheur de Harvard, Sara Roy, a écrit dans la London Review of Books : « Si Abbas voulait gagner le soutien du peuple de Gaza tout ce qu'il aurait à faire est de payer aux fonctionnaires leur salaire ». Roy, qui a écrit sur Gaza depuis des années, décrit les niveaux atroces de la détresse sociale sur le territoire en raison du blocus imposé par Israël depuis plus de 10 ans avec le soutien de l'Égypte et de l'Autorité palestinienne.
Le CICR (Comité International de la Croix-Rouge) et l'Organisation Mondiale de la Santé, ainsi que le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires de l'ONU (OCHA) ont multiplié les avertissements concernant les conséquences catastrophiques qu'aurait pour la population de la Bande de Gaza une réduction de l'alimentation en électricité, déjà gravement insuffisante. Cela n'a suscité virtuellement aucune réaction de la "communauté internationale".
Jusqu'ici, le Hamas s'est largement reposé sur l'aide du Qatar, qui a notamment financé l'approvisionnement en carburant de la seule centrale électrique encore en fonctionnement à Gaza. Mais cette aide a pris fin en avril et le Qatar est aujourd'hui soumis à une forme de blocus orchestré par les États-Unis, l'Arabe Saoudite, les Émirats Arabes Unis, pour le plus grand plaisir et avec la coopération d'Israël.
Source : "Catastrophe looms in Gaza" par Charlotte Silver – Traduction et adaptation : Luc Delval
[1] le taux de cancers est très élevé à Gaza. Voir notamment : "Gaza : hausse du nombre de patients cancéreux" et aussi "Gaza : longtemps après que les bombes aient cessé de pleuvoir, les civils paient très cher..."
Bron: http://www.pourlapalestine.be/crise-humanitaire-sans-precedent-la-population-de-gaza-prise-en-otage/