Voilà quelque temps que je souhaitais réagir à un article publié sur la plateforme e-RSE.net [1] : « Il est temps de passer du "développement durable" à la "résilience" et à la "sobriété" ».
Cet article dénonce les échecs du développement durable (DD) : les tentatives internationales (accords climatiques) qui ont surtout fait du développement sans de demander s'il était durable, les indicateurs environnementaux qui n'ont jamais été aussi mauvais depuis le premier Sommet de la Terre à Stockholm en 1972. Pour expliquer ces échecs, l'auteur pointe plusieurs faiblesses inhérentes au concept du DD : sa définition floue, l'absence de valeur normative, le développement comme postulat, le rapport contradictoire aux limites (le développement qui implique de dépasser les limites et la durabilité qui implique de les respecter), le rapport au temps qui reporte la résolution des problèmes en misant sur le développement technologique. L'auteur propose dès lors de remplacer le concept de DD par la notion de « résilience » qui « postule que l'on peut améliorer la vie de tous sans pour autant produire plus, aller plus loin, consommer plus, mais plutôt en optimisant ce que l'on a déjà. » Bien sûr, la pensée de l'auteur est ici fortement résumée.
Fondamentalement, cet article confond l'utilisation courante de la notion de développement durable (principalement par les acteurs économiques), avec ce que recouvre réellement le concept. Qu'il soit trop souvent utilisé pour couvrir d'un mince vernis vert le « business as usual », je ne peux qu'acquiescer... et le déplorer. Faut-il pour autant rejeter le concept ? N'est-on pas en train de jeter le bébé avec l'eau du bain ? D'autant plus que la notion de résilience ne me paraît pas offrir une alternative convaincante comme projet de société.
L'auteur critique notamment le fait que le développement durable prend comme postulat de départ le « développement » en le réduisant au développement économique. Il tombe ce faisant dans le travers qu'il dénonce : donner la priorité à la croissance économique. Cette compréhension est d'ailleurs en contradiction avec un principe fondamental du développement durable qui vise à articuler les trois piliers économique, social et environnemental.
A l'évidence, le développement d'une société dépasse de loin la seule question de la satisfaction des besoins matériels. Par exemple, le décret wallon sur la stratégie de développement durable définit le développement durable comme « un développement qui a pour objectif l'amélioration continue de la qualité de vie et du bien-être humains ... ». Voilà qui est déjà beaucoup plus intéressant ! Dans son livre « Développement durable : entre mythe et utopie » P.M. Boulanger approfondit davantage la réflexion sur ce qu'est le développement. Il se réfère notamment aux travaux de l'économiste et philosophe indien Amartya Sen, prix Nobel d'économie, pour qui « le développement consiste à surmonter toutes les formes de non-liberté, qui restreignent le choix des gens et réduisent leurs possibilités d'agir. La suppression de ces non-libertés est constitutive du développement [2] ». Le développement devrait donc conduire à la pleine expression des possibilités de chacun de nous. A méditer...
La notion de résilience n'offre à mon sens pas une alternative convaincante car elle ne dit justement rien sur le développement que nous souhaitons. Se préparer au mieux aux crises multiples qui s'annoncent me paraît fondamental mais ne constitue pas un projet de société positif et mobilisateur.
Quant au flou de la définition du développement durable, à son absence de valeur normative, loin d'être à mes yeux des faiblesses, je trouve que c'est là tout l'intérêt de cette approche. Le développement durable est un concept ouvert, qui ne donne pas de recette toute faite sur comment tendre vers un développement durable. C'est à chaque génération à définir quels sont ses besoins et comment les rencontrer en respectant les limites de la planète en fonction des problèmes, des circonstances et des technologies qui sont les siennes. Quel sens cela aurait-il de définir une fois pour toutes ce qu'est un besoin, quels sont les besoins prioritaires et comment les satisfaire de manière durable ?
Le développement durable est donc un discours à construire, et à construire ensemble. Voilà où se situe pour moi le cœur du problème. Il n'y a plus (assez) dans notre société – ni chez les politiques- de visions d'avenir, de projets de société qui soient débattus et partagés. La question du développement se trouve réduite, dans la pratique, à la croissance économique, reflétant la prédominance des intérêts économiques et surtout financiers. Finalement, le concept de développement durable se retrouve discrédité par ceux qui devraient pourtant le promouvoir, notamment, dans cet article, par le rédacteur d'une plateforme qui se positionne comme une référence en matière de responsabilité sociale des entreprises et de développement durable, d'autres fois par le secteur environnemental. Ne nous trompons pas de cible : le problème n'est pas le concept du développement durable lui-même, mais la faiblesse du débat démocratique sur notre projet de société.
[1] Plateforme média de référence de l'actualité et de l'engagement RSE et Développement Durable des entreprises, associations, et ONG, en France et à l'étranger. Cette plateforme est éditée par la société Comeen qui développe des solutions numériques pour tisser des liens plus forts entre les entreprises et leurs parties prenantes.
[2] A.Sen, Un nouveau modèle économique. Développement, justice, liberté. Paris, Odile Jacob, 2000. p.6 cité dans M.P. Boulanger, Développement durable : entre mythe et utopie. 2009, p.27.
Bron: http://www.iew.be/spip.php?article8336