Le Service de lutte contre la pauvreté, la précarité et l'exclusion sociale publie aujourd'hui son 9e rapport bisannuel intitulé Citoyenneté et pauvreté.
On l'oublie trop souvent : les personnes en situation de pauvreté sont des citoyens à part entière, avec des droits et des responsabilités. Pourtant, elles doivent souvent se contenter de « sous-droits ». Une adresse de référence[1] ne remplacera jamais un toit. Pas plus que les colis alimentaires ne répondent durablement au droit à l'alimentation. Le non-accès aux droits n'a pas seulement des conséquences sur le plan matériel, il empêche les personnes concernées de prendre des responsabilités et d'ainsi participer activement à la société. Fruit d'un long processus de dialogue entre des personnes qui vivent en situation de pauvreté, des associations, des administrations et des professionnels de nombreux secteurs, le rapport 2016-2017 que publie le Service mêle constats, analyses et recommandations.
Faciliter la cohabitation
Dans la situation de crise du logement que connaît la Belgique, la colocation est devenue un moyen d'accéder à un logement abordable. Pour un travailleur, qu'il soit salarié ou indépendant, cette forme particulière de cohabitation ne pose aucun problème. Pour des personnes qui perçoivent des allocations, en revanche, ce choix est rendu très difficile. Plus grave encore, le simple droit de vivre en famille est remis en question. Lorsque deux parents bénéficiant chacun d'un revenu d'intégration veulent fonder une famille recomposée, la perte financière est énorme. Un participant au rapport témoigne : "un homme isolé avec enfant et une femme isolée avec enfant qui perçoivent chacun environ 1 200 € de revenu d'intégration sociale ne recevront ensemble que 1 200 €, et non pas 2 400 €. En fait, cela revient à infliger une sanction au ménage." Interpellant quand on sait que le seuil de risque de pauvreté s'élève à 2 341 € nets par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants. La solidarité est aussi mise à mal : impossible pour un jeune allocataire d'héberger un ami dans le besoin sans risquer de se voir pénalisé sur le plan financier. Françoise De Boe, coordinatrice du Service, évoque des pistes : « Nous plaidons pour une évaluation de l'impact de la catégorisation, tant sur les personnes concernées que sur les autorités publiques, dans tous ses aspects (coût et bénéfice à long terme) ».
Permettre la prise de responsabilités
Le travail volontaire est un autre exemple de traitement inégal des citoyens. Contrairement à un travailleur, qu'il soit salarié ou indépendant, un bénéficiaire d'allocations qui veut apporter une contribution active à la collectivité grâce au bénévolat n'est pas libre de ses actes. Il doit se justifier et en faire la déclaration à son organisme de paiement. Françoise De Boe poursuit : "Trop d'ambiguïté et d'incertitudes demeurent parmi les personnes impliquées - également parmi les organisations concernées – quant aux conséquences possibles du bénévolat ". Certaines statistiques montrent que la plupart des volontaires ont un emploi. Si un travailleur trouve le temps de faire du bénévolat, pourquoi chercher un emploi serait-il davantage un obstacle ? Le rapport plaide pour davantage de transparence et de sécurité juridique et demande à entamer une réflexion sur la possibilité de lever l'obligation de déclaration de l'activité bénévole à l'organisme de paiement.
Réduire la pression sur la vie privée
La crainte de la fraude sociale, le contexte sécuritaire et les évolutions technologiques font peser sur la vie privée des personnes en situation de pauvreté une pression bien plus forte que sur la plupart des autres citoyens. Le rapport ne remet pas en cause la nécessité d'un contrôle par les autorités publiques pour vérifier si les conditions d'octroi d'un droit sont remplies. Françoise De Boe s'interroge : « N'existe-t-il pas trop souvent une vie privée à deux vitesses ? D'un côté, on demande aux personnes démunies de se mettre à nu, on exige d'elles une transparence totale dans la fourniture d'informations. De l'autre, elles n'ont pas suffisamment accès aux rapports que de nombreux services et administrations possèdent à leur sujet. Le Service recommande de s'interroger sur la proportionnalité des mesures de contrôle par rapport aux objectifs visés ».
Suivi du rapport
Le rapport a été remis à la Conférence interministérielle Intégration dans la société, devenant ainsi une contribution au débat et à l'action politiques. L'État fédéral, les communautés et les régions se sont engagés, dans l'Accord de coopération relatif à la pauvreté, à collaborer activement dans la lutte contre la pauvreté. Le Service et les participants à la concertation demandent que le suivi soit entamé le plus rapidement possible. De leur côté, ils vont poursuivre le dialogue avec les cabinets et leurs administrations. Ce n'est pas simple car la question des droits des personnes en situation de pauvreté est liée à de multiples compétences. Mais il existe une véritable urgence à rendre plus effectifs les droits fondamentaux des citoyens qui vivent en situation de pauvreté.
Le neuvième rapport est disponible sur le site : www.luttepauvrete.be
[1] Certaines personnes, sans abri ou vivant dans une demeure mobile, se trouvent dans l'impossibilité d'accéder à un logement ou de s'y maintenir. Pour garantir leur inscription dans les registres de la population, le législateur a prévu une possibilité d'inscription en 'adresse de référence'.