« Il ne reste rien, les maisons ont été emportées par la mer. C'est Dieu qui a fait cela... » Sous le reflet bleuté de sa tente surchauffée, Woulbey raconte l'histoire d'un déchirement. Depuis dix mois, cette mère vit avec les quatorze enfants de sa famille élargie dans moins de 12 mètres carrés au sein du camp de réfugiés climatiques de Khaar Yallah, au Nord de Saint-Louis, au Sénégal.
Malgré les flots qui ont tout emporté, malgré la perte des revenus de la pêche, malgré les enfants qui ne sont plus scolarisés et malgré le sentiment d'abandon qu'elle éprouve, Woulbey sourit à l'idée d'habiter à nouveau à proximité de l'océan, de revendre du poisson et de voir ses filles retrouver le chemin de l'école.
Woulbey a vu le climat du Sénégal changer, les pluies se raréfier et l'océan grignoter le littoral, ces dernières années. Elle n'a jamais entendu parler du GIEC ou de Nicolas Hulot, mais elle se souvient que le président Emmanuel Macron s'était arrêté à Saint-Louis, cette année, pour promettre des travaux d'envergure afin d'arrêter les inondations. Le président français est passé, mais le camp de réfugiés demeure.
Ce dimanche 2 décembre, des dizaines de milliers de personnes, espérons-le, marcheront ou pédaleront en douceur, à Bruxelles, pour réclamer une justice climatique. Toile de fond de cette nouvelle mobilisation orchestrée par Climate Express et la Coalition climat, dont Inter-Environnement Wallonie est un des acteurs, le sommet de Katowice (Cop24), en Pologne, débutera ce jour-là [1].
Ne soyons pas dupes : nous sommes sur un chemin de crête, bordé du précipice, où l'horizon peine à se dégager. Malgré l'engouement qui a suivi l'Accord de Paris, le climat n'est pas à la fête. Tant en Belgique qu'en Europe, les émissions des gaz à effet de serre ont augmenté en 2016 et 2017 et malgré les dénégations du Premier ministre Charles Michel, notre pays mérite un bonnet d'âne dans la lutte contre les changements climatiques. La transition écologique est en panne, faute de vision et de carburant adéquat.
« Engluées dans des logiciels économiques et industriels dopés au pétrole et avec pour seule doxa la croissance, les politiques publiques sont dans une impasse, note la chercheuse Catherine Jeandel [2]. Alors que les réfugiés climatiques sont de plus en plus nombreux, les migrations ont commencé, générant des réactions qui ébranlent les fondements des démocraties. »
La bonne nouvelle, dans un contexte géopolitique tendu et en proie aux replis nationalistes, réside dans la vitalité citoyenne. Depuis le sommet de Paris, en 2015, la société civile belge a renforcé le tissage de sa toile dans un triple mouvement articulé autour du pragmatisme de la négociation dans les lieux de consultation, de revendications fortes soutenues par des campagnes et d'un ancrage croissant dans les solutions de terrain portées par des centaines de collectifs citoyens, comme en témoigne la dernière étude de la Fondation Roi Baudouin [3].
Portée par les sondages qui démontrent l'attention primordiale de la jeune génération aux enjeux climatiques, cette vague verte pourrait atteindre un nouveau sommet, ce 2 décembre, pour réclamer de nos gouvernements plus d'ambition et un chemin susceptible d'éviter une trop grande casse planétaire en limitant l'augmentation moyenne des températures à 1,5° d'ici la fin du siècle.
Chacun.e d'entre nous sera libre de répondre, ce jour-là, « J'peux pas, j'ai climat », en écho au clip réjouissant des artistes belges qui mobilisent au-delà du cercle des habituels convaincus [4]. Puisse cette possible nouvelle force d'adhésion faire démentir les paroles de Nicolas Hulot, ancien ministre français de la Transition écologique, au petit matin de sa démission, le 28 août dernier : « Où sont mes troupes ?, déplorait l'ancien ministre de la Transition écologique. Qui est prêt à descendre dans la rue pour défendre ces enjeux » ?
Répondons à Nicolas par la force du nombre, le 2 décembre, pour envoyer un signal déterminant ! Où l'on comparera 2018 avec 2009, lorsque la Coalition climat avait rassemblé quelques 15.000 personnes, à Bruxelles, à la veille du sommet de Copenhague. Car au-delà du sommet de Katowice, dont l'agenda fera le (triste) bilan de la mise en œuvre de l'Accord de Paris, les élections européennes, fédérales et régionales pointent le bout du nez. Et il s'agit de faire pression sur nos dirigeants belges et européens afin que les prochains exécutifs mettent en œuvre une politique climatique. A l'horizon : le rehaussement des objectifs européens – et belges – afin de retrouver les rails de la trajectoire climatique parisienne, soit 1,5°C.
Cet idéal devra notamment se concrétiser à travers des investissements conséquents dans le soutien à l'innovation au service de la transition écologique, une fiscalité environnementale renforcée et une gouvernance susceptible de garantir la poursuite des objectifs fixés. Faire advenir une transition socialement juste, tant au Nord comme au Sud, nécessitera de changer de lunettes et de braquet. En tant que pollueur historique, la Belgique devra notamment soutenir autrement les pays les plus vulnérables pour les aider à s'adapter aux conséquences dramatiques des changements climatiques.
Woulbey ne sera pas présente, à Bruxelles, ce 2 décembre. Elle n'a jamais pris l'avion, vit avec moins d'un dollar par jour et pense que Dieu est le seul responsable de cette mauvaise histoire. Ce jour-là, je repenserai à sa dignité, aux mangues qu'elle nous a vendues pour nourrir sa famille et à son désir ardent de pouvoir payer le transport de ses filles vers l'école. Comme les centaines de millions d'êtres humains victimes des changements climatiques dans le monde, ce visage doit nous mobiliser afin d'exiger de nos gouvernements qu'ils agissent au nom de tous les nôtres.
[2] https://www.terrestres.org/2018/10/15/vers-une-terre-en-surchauffe/
[3] https://www.kbs-frb.be/fr/Activities/Publications/2018/DS_2018_11_13_01
[4] https://www.youtube.com/watch?reload=9&v=Xl-fRQ2Tgr8