Les faits relatifs à l’efficacité des Zones de basses émissions (ZBE) indiquent qu’elles sont un premier pas dans la bonne direction, mais qu’elles ne permettront pas d’atteindre des objectifs suffisants en matière d’amélioration de la qualité de l’air en ville. Existe-t-il d’autres dispositifs pour augmenter cette efficacité ? Survol de quelques formules existantes, des plus connues aux plus prometteuses. Mais aussi : de l’importance de mettre à contribution l’industrie automobile.
Le péage urbain
Un moyen d’amortir les investissements faits pour une Zone de basses émissions (caméras, bases de données, campagnes de communication etc.) consisterait à passer, sur tout ou partie de sa superficie, à un système de péage urbain. C’est ce que met en place Londres, par exemple, avec sa UltraLEZ. Il existe de nombreuses modulations possibles du péage urbain en jouant essentiellement sur l’étendue de la zone de péage, le montant demandé et/ou les plages horaires durant lesquelles il sera d’application.
Ses effets, sur base notamment des expériences de Londres (2003), Stokholm (2007), Milan (2008) ou Göteborg (2013) seraient : une réduction de la congestion, une amélioration de la vitesse commerciale des transports en commun qui peuvent par ailleurs être mieux financés par les rentrées du péage, un plus important transfert modal vers ceux-ci, une diminution des accidents, une amélioration de la qualité de l’air et une densification de l’habitat à l’intérieur de la zone[1]. La littérature relève également des risques ou des résultats ambigus si les choix de départ et le suivi de la mise en oeuvre de la mesure ne sont pas faits rigoureusement. Le péage convient pour les villes monocentriques et serait donc difficile dans des configurations multicentriques. Les résultats relatifs aux réactions du milieu économique et des entreprises sont ambigus, mais il semble que peu sont in fine tentées de quitter la zone de péage. Enfin, de manière générale, des effets inégalitaires sont possibles et se font principalement au profit des citadins qui occupent les noyaux urbains. Un péage est aussi susceptible d’engendrer une augmentation des inégalités économiques à l’échelle régionale d’une ville. Dans le cas du péage à cordon, ce sont ceux qui sont situés à l’extérieur de la zone tarifée qui vont être pleinement affectés[2].
On le voit, on est un cran plus loin dans la gestion de l’automobilité : un transfert modal s’opère. La spirale vertueuse prend de l’ampleur, la volonté de maîtriser l’emprise automobile est prégnante.
Les villes 30 km/h
Avec la création de Ville 30, on « progresse » encore : on commence à penser en termes de gestion de l’espace public plutôt que de gestion de l’automobile. Il s’agit de définir une zone la plus étendue possible et d’y décréter que la vitesse maximale pour les voitures ne peut excéder 30 km/h. Ce faisant, l’espace public que l’on avait conçu de manière excessive pour l’automobile peut être véritablement reconfiguré pour que sa fonction sociale prime. La ville est apaisée. Un dossier IEW consacré à cette mutation inspirante de la ville est à votre disposition pour vous convaincre.
A la veille des élections, un sondage d’acceptation par les différents partis politiques de l’idée de mettre l’entièreté de la Région Bruxelloise en Zone 30 a été réalisé : Ecolo y est favorable depuis longtemps, le PS et Défi l’ont mise dans leur programme, le Cdh est moins clair sur la question mais n’y serait pas opposé, seul le MR y est réticent. Nous serons attentifs à ce qu’il adviendra de ce projet potentiel dans les 5 ans à venir.
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Regards sociologiques
A ce stade, un « dézoom » par des sociologues de la mobilité peut s’avérer utile.
« Ecrivant au début des années 1970, Illich décrit le « monopole radical » conquis par l’automobile en matière de transport dans une époque où son avènement apparaissait comme irréversible et synonyme de progrès social. (…) Depuis les années 2000, c’est un véritable opprobe, y compris de la part des autorités publiques, qui frappe l’automobile dans les villes occidentales. On y organise des journées sans voiture, on multiplie les zones piétonnes, on installe des systèmes de péage qui restreignent l’accès des automobiles au cœur des villes, on multiplie les initiatives visant à décourager auprès des citadins la possession d’une voiture, on interdit la circulation des véhicules les plus polluants, etc. (…) Les cartes du désamour automobile semblent donc désormais plus nombreuses que celles de ses atouts. On notera cependant que cette évolution se caractérise par certaines polarisations sociales qui ne peuvent être négligées : les initiatives anti-automobiles sont avant tout une affaire urbaine et s’observent principalement dans les hypercentres, le reste des territoires restant massivement organisés autour de l’automobile ; (…) les appels à la modération du trafic automobile sont portés avant tout par les classes moyennes qui réinvestissent les quartiers urbains centraux, participant ainsi à une forme de gentrification des espaces publics. (…) Par ailleurs, les impératifs de mobilité et de durabilité se révélant partiellement contradictoires, les autorités publiques, comme la plupart des ménages, sont amenées à développer des stratégies de conciliation avec l’automobile, plutôt que des stratégies de renoncement. [3]»
L’« Opprobe », le « désamour » de quelques uns, il est vrai de plus en plus nombreux mais toujours minoritaires, se heurtent à ce que pense la majorité qui estime que les externalités positives de la voiture sont plus nombreuses que les négatives. « Polarisation sociale », « impératifs contradictoires », « conciliation/renoncement » : l’automobile est un fait social à part entière qui va de pair avec l’édification d’un système particulièrement résistant à toute tentative de le déstabiliser et dont les tensions internes peuvent même aller jusqu’à renforcer son maintien. Dit autrement : les désaccords entre les différents groupes de consommateurs de l’automobilité contribuent à ce que le changement n’ait pas lieu et donc au maintien de la domination de l’automobile.
Reprendre le problème à la base
Alors qu’il nous reste quelques années pour éviter les effets secondaires inquiétants des changements climatiques, et à l’heure où les habitants de la grande majorité des métropoles souffrent de la pollution de l’air et du bruit, ne serait-il pas temps d’attaquer le problème à la base ? Quelle base ? L’industrie automobile. Cet acteur, au fondement même du système, continue en effet à tirer les marrons du feu.
Accompagner fermement la reconversion de l’industrie automobile
En juin 2015, Carlos Ghosn [4], alors président de l’ACEA (European Automobile Manufacturers Association), depuis en proie à des ennuis judiciaires, déclarait diplomatiquement : « nous devons nous assurer que les politiques ambitieuses en matière de changement climatique ne soient pas en conflit avec la nécessité de protéger l’emploi et la croissance en Europe »[5]. Et il est certain que toute l’énergie du secteur a été consacrée à vider les politiques climatiques de leur substance, avec, hélas, des résultats probants. Une énergie équivalente a été dépensée pour éviter les normes en matière de pollution, jusqu’à ce qu’éclate le Dieselgate qui témoigne du peu de scrupule des industriels.
C’est peu de dire que concept d’Entreprise Socialement Responsable (RSE) est absent de leurs pratiques.
Il est pourtant fondamental de les aider à progresser dans cette voie. Une fermeté certaine est nécessaire.
Un moyen concret et efficace de le faire est de cadrer la production automobile au niveau Européen où sont définies les normes de mise sur le marché.
Tous les chiffres indiquent qu’aujourd’hui les véhicules sont trop lourds, trop puissants, trop rapides et trop agressifs (leur face avant est massive et donc dangereuse en cas d’accident).
Voici par exemple un tableau comparatif de quelques caractéristiques des plus récents SUV Electric Premium de 3 constructeurs :
Plus de 2 tonnes et 400 ch…
Les faces avant de ces véhicules, très imposantes, ne sont pas étudiées pour atténuer les chocs lors d’accidents avec les usagers actifs.
Concevoir de tels véhicules ouvre d’emblée la perspective de crises géopolitiques autour de la question des minerais comme en témoigne le récent appel d’Elon Musk au gouvernement américain face à une pénurie qui se profile. L’administration Trump a déjà répondu et l’on voit notamment se profiler une dérégulation pour obtenir plus rapidement des permis d’exploitation de gisements et l’utilisation de méthodes d’extractions douteuses, l’une et l’autre se faisant souvent aux dépens de l’environnement et de la santé.
Par ailleurs, la voie à suivre est de coupler la lutte contre les changements climatiques et celle contre la pollution de l’air. De ce point de vue, développer de tels véhicules, quelle que soit la motorisation, est contreproductif : construire un véhicule haut de gamme émet plus ou moins 4 fois plus de CO2 qu’un véhicule léger de taille modeste.
Sur cette base, IEW et PEVR développent depuis plusieurs années le concept de Lisa Car : une voiture dont la masse, la puissance, la vitesse de pointe et la conception de la face avant sont optimisés afin de limiter émissions et dangerosité[6]. Et l’objectif serait d’atteindre une production 100% Lisa Car en 2030 grâce à un cadre réglementaire strict.
Réguler le secteur avec des normes objectives et faciles à contrôler comme le poids et la puissance est d’autant plus important que le risque de voir disparaître pendant un temps les véhicules modestes d’entrée de gamme est grande. L’industrie automobile n’a pas voulu anticiper les changements, et va se retrouver confrontée au coût des innovations. Les marges bénéficiaires sont réduites sur les petits véhicules et importantes sur les hauts de gamme. Elle menace donc de supprimer les premiers en accusant l’Europe d’être responsable de cette décision. Michael Jost le nouveau stratège de VW ne dit rien d’autre dans cet article. « Les seuls à blâmer quant au coût élevé des voitures électriques sont les constructeurs eux-mêmes ; la principale raison de ce surcoût est un manque précoce d’investissements dans les chaînes d’approvisionnement et des paris sur le maintien du diesel. Mais leur prix baissera rapidement “[7], affirme Julia Poliscanova, responsable des véhicules propres et de l’e-mobilité chez T&E.
Les Low Danger Zone
Ce détour par la Lisa Car nous permet de boucler notre réflexion, qui a débuté sur l’analyse de l’efficacité de ZBE (LEZ), par la promotion de la LDZ, la Low Danger Zone ! Applicable dès aujourd’hui pour accompagner le travail de « cadrage » des normes de mise sur le marché des véhicules au niveau européen, elle consiste simplement à autoriser l’accès à des zones urbaines les plus étendues possible exclusivement à des Lisa Car…
Enfin – et c’est peut-être le plus important – on peut espérer que ce choix modifiera les représentations psycho-sociales de la voiture aujourd’hui axées sur la puissance, l’ascension sociale, la vitesse, la domination dans la jungle urbaine… en les recentrant sur des valeurs comme la santé, la protection du climat, l’attention aux autres usagers, et surtout la cohabitation/combinaison des différents modes. Libérés de cette charge mentale d’avoir à en jeter, l’esprit (re)deviendra créatif et inventera des mobilités apaisées.
Seul un changement de modèle permettra de sauver la Terre.
[1] Ce résumé s’inspire de : Alexandre Wolford, Les effets des péages urbains, VRM.ca, novembre 2016 http://www.vrm.ca/les-effets-des-peages-urbains/
[2] Ibidem.
[3] Yoann Demoli, Pierre Lannoy, Sociologie de l’automobile, La découverte, Collection Repères, 2019, p.34-35.
[4] Pour le dossier judiciaire, voir par exemple : http://www.lefigaro.fr/societes/dossier/carlos-ghosn-renault-nissan-prison-japon-tribunal-de-tokyo-proces
[5] Cité in Pierre Courbe, Lisa Car, la voiture de demain, IEW, 2016, p.61
[6] L’ensemble de ce qui a été réalisé à propos de la Lisa Car est rassemblé sur un site internet qui lui est dédié : https://www.lisacar.eu
[7] https://europe.autonews.com/automakers/automakers-fight-rescue-small-cars-extinction-eu-rules-bite
Source: https://www.iew.be/pollution-de-lair-orienter-le-marche-automobile-est-indispensable/