Des manifestants protestent contre l’ordre exécutif maccarthiste du gouverneur de New York, Andrew Cuomo, qui requiert des agences de l’État de désinvestir des organisations qui soutiennent l’appel palestinien à boycotter des compagnies qui profitent de l’oppression du peuple palestinien par Israël ou des institutions culturelles ou universitaires qui en sont complices, 9 juin 2016 (Sipa via AP Images)
Inspiré par les mouvements des droits civiques et contre l’apartheid, il appelle à la libération des Palestiniens dans des termes de pleine égalité avec les Israéliens et s’oppose catégoriquement à toutes formes de racisme dont l’antisémitisme.
Mardi dernier, la Chambre des Représentants a voté une résolution, HR 246, qui vise le mouvement de base mondial de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens, que j’ai contribué à fonder en 2005. C’est triste à dire, mais HR 246, qui dénature nos objectifs et déforme mes propres points de vues, n’est que la dernière tentative en date des soutiens d’Israël au Congrès pour diaboliser et étouffer notre lutte pacifique.
HR 246 est une condamnation radicale des Américains qui plaident pour les droits des Palestiniens au moyen de BDS. Cette loi renforce d’autres mesures anti boycott qui ne sont pas constitutionnelles, dont celles votées par quelque 27 actes législatifs d’État qui rappellent « les tactiques de l’ère maccarthiste », selon l’Union Américaine des Libertés Civiles. Elle exacerbe aussi l’atmosphère oppressive que les Palestiniens et leurs soutiens subissent déjà, gelant encore plus le discours critique d’Israël au moment où le président Donald Trump traîne publiquement dans la boue des membres du Congrès qui s’expriment publiquement en soutien à la liberté pour les Palestiniens.
En réponse à HR 246 et à des mesures législatives aussi répressives, Ilhan Omar, membre du Congrès, rejointe par Rachida Tlaib, John Lewis, icône des droits civiques et 12 autres co sponsors, a introduit HR 496, qui défend « le droit de participer à des boycotts dans la recherche des droits humains et civiques dans le pays et à l’étranger, sous la protection du Premier Amendement de la Constitution ».
Inspiré par les mouvements des droits civiques des États Unis et contre l’apartheid en Afrique du Sud, BDS appelle à mettre fin à l’occupation militaire d’Israël de 1967, à la pleine égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël et au droit reconnu par l’ONU au retour des réfugiés palestiniens dans la patrie dont ils ont été déracinés.
BDS s’oppose catégoriquement à toutes les formes de racisme, dont l’antisémitisme. Contrairement à la fausse affirmation de HR 246, BDS ne cible pas des individus, mais plutôt des institutions et de grosses entreprises impliquées dans les violations systématiques par Israël des droits humains des Palestiniens.
HR 246 comporte aussi une calomnie particulière à mon égard, qui a été poussée par des groupes de lobbying pro Israël, tel AIPAC, en citant une seule phrase hors contexte d’un discours que j’avais fait en 2013. La même fausse affirmation est répétée dans une résolution semblable du Sénat, S.Res.120.
Dans ce discours, je plaidais pour un seul État démocratique qui reconnaisse et accepte les Israéliens juifs en tant que citoyens égaux et partenaires de plein droit, pour construire et développer une nouvelle société de partage, libre de toute soumission coloniale et de discrimination raciale, et dans laquelle l’État et l’Église soient séparés. Tout le monde, y compris les réfugiés palestiniens rapatriés, jouirait des mêmes droits, quelle que soit l’identité ethnique, religieuse, de genre, sexuelle ou autre. Tout « État musulman », État chrétien » ou « État juif » fondé sur l’exclusion et le suprématisme, argumentai-je, nierait, par définition, des droits égaux pour des citoyens de diverses identités et supprimerait la possibilité d’une véritable démocratie, les conditions d’une paix juste et durable. Les résolutions de la Chambre et du Sénat, de même qu’un clip de propagande d’AIPAC, ont ôté tout ce contexte, dénaturant mes points de vue.
Pour autant, c’est mon opinion personnelle, et non la positon du mouvement BDS. Celui-ci, en tant que mouvement large et inclusif de défense des droits humains, ne prend pas position sur la solution politique ultime pour les Palestiniens et les Israéliens. Il comporte à la fois des gens qui soutiennent une solution à deux États et celle d’un seul État démocratique avec les mêmes droits pour tous.
Etant un défenseur des droits humains, je ne suis pas seulement sujet à des calomnies de routine de la part d’Israël et de ses soutiens anti Palestiniens. J’ai aussi été placé, de fait, sous une « interdiction de voyager arbitraire par Israël » selon les mots d’Amnesty International, notamment en 2018 lorsque j’ai été empêché d’aller en Jordanie accompagner ma défunte mère pour une opération d’un cancer. En 2016, le ministre israélien du renseignement m’a menacé « d’élimination civile ciblée », entraînant une condamnation de la part d’Amnesty. Et pour la toute première fois, en avril dernier, j’ai été interdit d’entrer aux États Unis, manquant ainsi le mariage de ma fille et une réunion au Congrès. Israël n’est pas simplement en train d’intensifier son système vieux de plusieurs décennies d’occupation militaire, d’apartheid et de nettoyage ethnique contre les Palestiniens ; il est incroyablement en train d’externaliser sa stratégie répressive vers l’administration américaine.
Trump est un ferme soutien du gouvernement d’extrême droite israélien qu’il protège de devoir rendre des comptes, alors que celui-ci fracasse la vie et les conditions de vie de millions de Palestiniens qui vivent sous occupation et sont assiégés à Gaza ; qu’ils sont confrontés à la dépossession et aux déplacements forcés en Cisjordanie, dont à Jérusalem Est ; et que l’égalité des droits leur est refusée dans ce qui est actuellement Israël. Il y a juste deux semaines, Trump a élevé son niveau de provocation contre ceux qui soutiennent les droits des Palestiniens, en attaquant quatre nouvelles membres progressistes du Congrès, toutes de couleur, leur disant de « s’excuser » auprès d’Israël et de « retourner » dans leurs pays d’origine, alors même que trois d’entre elles sont nées aux États Unis.
En dépit de tout cela, la guerre désespérée d’Israël contre BDS, menée avec des arguments fabriqués de toutes pièces, de la diabolisation et de l’intimidation, est en échec, comme le montre cette résolution récemment adoptée par la Chambre. Notre espoir est intact, tandis que nous sommes témoins d’un changement stimulant dans l’opinion publique en faveur des droits humains des Palestiniens, y compris aux États Unis. La hideuse réalité du régime d’apartheid israélien et de ses alliances avec des forces xénophobes et ouvertement antisémites devient irréconciliable avec les valeurs progressistes et démocratiques, où que ce soit.
Conduits par des communautés de couleur, des groupes juifs progressistes, de principales églises, des syndicats, des associations universitaires, des groupes LGBTQI, des mouvements pour la justice envers les indigènes et par des étudiants, beaucoup d’Américains abandonnent la position intenable du point de vue éthique de « progressistes sauf pour la Palestine ». Au contraire, ils adoptent le principe moralement cohérent d’être progressistes y compris sur la Palestine.
Être progressiste aujourd’hui implique d’être moralement cohérent, d’être du côté juste de l’histoire en nous soutenant dans la quête de notre liberté, de la justice et de l’égalité, longtemps niées.
Omar Barghouti
Omar Barghouti est un défenseur palestinien des droits humains et il est cofondateur du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens. Il a été co-lauréat du prix 2017 Gandhi pour la Paix.
Source: The Nation