Et pendant ce temps…
Selon les estimations du GIEC, le « budget d’émissions CO2 » de l’humanité était, en 2011, de l’ordre de 1000 milliards de tonnes (Gt) pour avoir 66% de chances de rester sous le seuil des 2°C de réchauffement global, seuil au-delà duquel l’ampleur des bouleversements climatiques menacera directement la survie de nos sociétés. Sachant que les émissions de l’humanité se montent actuellement à environ 40 Gt par an, le budget restant correspond à 25 années d’émissions (à partir de 2012). Si l’humanité voulait garantir avec 66% de chances la stabilisation sous 1,5°C de réchauffement global, le budget CO2 ne serait plus que de 400 Mt, soit 10 années d’émissions au rythme actuel1 et l’humanité devrait donc, si le rythme est maintenu, ne plus rien émettre après 2022… Il est donc urgent de diminuer drastiquement nos émissions, de transformer nos sociétés, pour qu’elles deviennent le moins possible émettrices de carbone.
De son côté l’IPBES tire aussi le signal d’alarme, son Président, Sir Robert Watson, déclare : « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier ». Le rapport estime qu’environ 1 million d’espèces animales et végétales sont aujourd’hui menacées d’extinction, notamment au cours des prochaines décennies, ce qui n’a jamais eu lieu auparavant dans l’histoire de l’humanité. En Belgique ce sont 31% des espèces animales et végétales étudiées qui sont menacées de disparition et près de 9% ont déjà disparu de notre territoire.
Et pendant ce temps…
Ce sont quelques 720 000 belges qui ont probablement embarqué dans un avion à Zaventem la semaine dernière pour les vacances de Toussaint. Nous apprenons dans l’article de la RTBF que c’est « une semaine très prisée pour ceux qui veulent encore profiter des dernières chaleurs en Europe ou découvrir des destinations plus lointaines». Oufti ! Envie de profiter des dernières chaleurs… les canicules de cet été sont-elles si lointaines dans les esprits des passagers, n’en ont-ils pas profité pleinement ? Plus de 42° dans le Var, 40,2° le 24 juillet à Angleur, même chose à Hastière et Zaventem le lendemain, 40,4° à Gosselies le 25 juillet 2019 !
Faut-il rappeler que les canicules de cet été ont fait au moins 716 morts en Belgique et 1500 morts en France ? Que les émissions humaines de gaz à effet de serre (notamment le CO2) engendrent directement les bouleversements climatiques que nous connaissons ? Que les canicules que nous vivons en Europe depuis quelques années sont l’un des symptômes de ce réchauffement ?
Une réalité angoissante.
Prendre conscience de la réalité environnementale dans toutes ses dimensions est potentiellement angoissant pour beaucoup de nos contemporains. Et si la peur ne peut se convertir dans une réaction propre à prendre les mesures nécessaires pour s’en prémunir, il y a des chances que, pour se défendre sans tomber en dépression, notre cerveau choisisse le déni (partiel ou total) ou le refoulement.
La différence entre le déni et le refoulement est la conscientisation et la perception de la réalité. Le déni est notre capacité à refuser de percevoir et de conscientiser la réalité ; le refoulement nous permet de rendre inconsciente la représentation d’une expérience qui a pu être consciente antérieurement. Le déni pourrait être le fait d’enfiler une paire de lunettes roses ; alors que le refoulement consisterait à ranger à la cave ou au grenier l’objet dérangeant. L’un et l’autre sont des mécanismes de défense face à une réalité perçue comme potentiellement traumatisante. Le réchauffement climatique et l’effondrement de la biodiversité, par les conséquences qu’ils ont sur la survie de nos sociétés, sont des réalités objectivement traumatiques.
Et bien qu’il soit légitime de se préserver par les mécanismes de défense psychologique qui sont à notre portée et qui sont le plus souvent inconscients, dans la situation d’urgence environnementale que nous vivons, tout déni ou refoulement de la réalité est un élément aggravant. Tout simplement parce qu’ils ne nous amènent pas aux changements indispensables : diminution drastique de l’usage de l’avion, de nos voitures, de nos consommations de produits non-essentiels à notre vie courante, etc. Pour se faire une image de ce que les changements climatiques peuvent impliquer pour les sociétés humaines et les écosystèmes dans les décennies qui viennent, je vous propose de lire l’article de notre collègue, Noé Lecocq. En même temps, il serait criminel, sur le plan psychologique, d’amener une personne qui refoule une émotion (ou une expérience, une information, etc.) traumatique à la regarder en pleine conscience, dans toutes ses dimensions et dans toutes ses conséquences, sans l’accompagnement d’un professionnel. La plupart d’entre nous, sans doute, refoulent les conséquences de leurs comportements et les aspects les plus angoissants de la situation : sécheresse et donc accès à l’eau potable, pollution de l’air, accès à l’alimentation, etc. Parfois en se réfugiant dans le mirage des solutions technologiques. Le déni ou le refoulement est pleinement à l’œuvre quand il s’agit de regarder bien en face les conséquences actuelles sur les populations les plus vulnérables et sur les générations naissantes : conflits, immigration climatiques, etc.
Le déni ou le refoulement partiel des éléments les plus durs de la réalité environnementale en permettant de « s’arranger avec la réalité », nous apporte de ne pas ressentir une dissonance trop désagréable ou une peur trop grande.
Stop à la culpabilité, des messages positifs, que diable !
De leur côté, les environnementalistes qui tentent, avec leurs moyens, de faire entendre l’urgence, sont confrontés à une injonction de non-culpabilisation et au devoir de porter des messages positifs.
S’il est vrai que la culpabilité, en général, risque de faire fuir les gens et de les détourner des messages, il ne faut pas oublier que chacun est responsable de ses émotions : il n’est pas possible de faire ressentir de la colère à une personne qui ne souhaite pas être en colère. Il est important ensuite de ne pas perdre de vue que ce qui est culpabilisant n’est pas tant le message que la prise de conscience de nos comportements délétères pour la planète. Si des messages comme « quoi t’es venu en voiture ! » cherchent à culpabiliser, le fait de souligner que le système Terre ne peut plus supporter nos émissions de GES et qu’un Wallon moyen émet 10 teq CO2 par an, alors que nous devrions atteindre la « neutralité carbone » d’ici une trentaine d’années n’a rien de culpabilisant en soi, il s’agit simplement d’un fait.
Quels messages positifs pourrions-nous délivrer sur l’état de l’environnement ? Parler de toutes les initiatives en transition, des zadistes et autres groupes d’occupation de terrain, des coopératives alimentaires et d’énergie,… ? Nous le faisons, mais ces messages à eux seuls ne sont pas suffisants pour créer le changement. Pour changer, il est utile d’avoir une juste appréciation de la réalité, de connaître les limites que nous devons mettre à nos comportements, de savoir quels changements opérer et de quelle manière les faire, tout en résistant aux injonctions sociales ou de la publicité. L’injonction de délivrer des messages positifs et non-culpabilisants revient à bâillonner et menotter les environnementalistes. En Belgique, 1 femme meurt tous les 10 jours sous les coups de son conjoint. Qui oserait dire aux associations de défense des droits des femmes qu’il ne faut pas culpabiliser les auteurs et leur parler positivement, qu’il faut avant tout être pédagogue et accompagner le changement ? L’environnement est notre meilleur compagnon de vie, sans lui, nous n’existons simplement pas, il mérite notre attention, notre respect, notre amour et notre douceur, comme n’importe quel compagn.e.on de vie ; sa vie est précieuse. Il ne faut pas se mentir, chaque jour, nous maltraitons notre environnement, et nous le maltraitons d’autant plus quand des alternatives existent, sont à notre portée et que nous ne les utilisons pas.
La culpabilité n’est pas un gros mot. Il existe une culpabilité saine qui nous permet de prendre la responsabilité de nos actes. La culpabilité saine suppose deux choses : j’ai dérogé à mes valeurs et standards et j’avais le choix de le faire ou non2. Ressentir cette culpabilité permet de mesurer les impacts négatifs de notre comportement sur notre entourage et/ou sur notre environnement et de par cette prise de conscience de modifier nos comportements nuisibles. Cette culpabilité saine permet également, lorsque nous avons modifié les comportements qui l’ont générée, d’ancrer plus durablement nos valeurs en les ayant mises en actes.
Et le pompon est que cette culpabilité saine génère au final une augmentation de l’estime de soi, tout comme le fait de développer de la cohérence entre nos actes et nos valeurs. Une estime de soi positive et bien dosée est aussi à la base d’un sentiment de bien-être.
Merci à Pierre Courbe et Lionel Delvaux pour leurs contributions précieuses.
Ceci était l’épisode 1 : déni, culpabilité et positive attitude
- A venir : Episode 2 : le marketing nous sauvera
- A venir : Episode 3 : la responsabilité : les politiques aux premières loges
- A venir : Episode 4 : de la liberté à la licence
- IPCC. 2014: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2014: Mitigation of Climate Change. Contribution of Working Group III to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, p. 10-13
- La puissance des émotions – Michelle Larivey –ed de l’Homme – 2002
Source: https://www.iew.be/et-pendant-ce-temps/