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Ce qui se joue depuis un peu plus d’une semaine à la frontière gréco-turque est la macabre conséquence de la politique guerrière menée par l’Union européenne envers les personnes qui tentent de lui demander protection. La "politique migratoire" menée par l’UE n’est, depuis des années, que stratégie d’endiguement et marchandages cyniques. ‍

La liste des mesures prises pour écarter et détourner les personnes migrantes est longue, et leur bilan humain est lourd: renforcement du contrôle des frontières européennes avec le nouveau mandat de Frontex; opération militaire “Sophia” contre les passeurs; fermeture de la route des Balkans pour empêcher les migrants arrivés en Grèce de poursuivre vers un autre État membre; mise en place de “hotspots” sur les îles grecques et italiennes pour trier, en vue de stopper et expulser une majorité de personnes migrantes dès leur arrivée sur le sol européen; application aveugle du règlement Dublin; quotas de relocalisation pour “alléger la charge” de l’accueil de la Grèce et de l’Italie totalement insuffisants et non respectés; quotas de réinstallation dérisoires; construction de murs anti-migrants; diffusion de discours criminalisants et dissuasifs à l’égard des personnes migrantes; durcissement des lois sur les demandeurs d’asile et les réfugiés dans plusieurs États membres …

Et puis, ce pacte abject entre l’UE et la Turquie, signé le 18 mars 2016, qui constitue une sorte de climax du déni des droits humains et des obligations internationales, dont les mesures précédentes étaient le prélude. En délocalisant en Turquie l’accueil des personnes réfugiées et demandeuses d’asile qu’elle ne voulait pas accueillir, l’UE lui octroyait le grade de “pays sûr” et se déchargeait de toute responsabilité quant au sort qui serait réservé à ces exilé·e·s. En promettant au gouvernement turc 6 milliards d’Euros, l’UE ouvrait la voie au chantage et se mettait à la merci des pressions que le président Erdogan exerce aujourd’hui à la frontière grecque. Quatre ans plus tard, force est de constater l’inefficacité de cette politique: en choisissant d’externaliser la gestion de sa frontière, plutôt que de résoudre la crise de l’accueil par la solidarité, l’Europe a posé un emplâtre sur une jambe de bois. Elle paie aujourd’hui les conséquences de son incurie.

Des groupes locaux d’extrême-droite armés, appuyés par des néo-nazis d’autres pays européens traquent les exilé·e·s dans les campagnes frontalières “comme des animaux”.‍

En parade, dépêchés en avion militaire sur le champ de bataille, le président du Conseil européen, la présidente de la Commission européenne et le président du Parlement européen applaudissent aux efforts de la Grèce, promue au rang de “bouclier européen” et l’assurent de tout leur soutien pour “protéger les frontières de l’Europe”. Ils ne diront pas un mot sur les violences exercées sur les exilé·e·s.

Ainsi, l’Europe ne se contente donc plus de s’enfoncer dans des stratégies inefficaces et coûteuses, sur fond de discours identitaire et xénophobe, de se taire et de fermer les yeux sur les violences qui en découlent. Elle participe activement aux violations massives des droits humains et du droit international qui ont cours en Grèce et se place dans l’illégalité absolue.

Faut-il rappeler aux responsables européens les articles 2 et 78 du Traité sur l’Union européenne, pour ne citer qu’eux, qui établissent que l’UE est fondée sur le respect de la dignité humaine et des droits humains, et qu’elle respecte le principe de non refoulement conformément à la Convention de Genève?

Il ne s’agit pas d’une crise migratoire. Il s’agit d’une crise de l’Europe. D’une crise de valeurs, d’une crise morale, d’une crise d’humanité, qui se traduit en crise humanitaire.

L’Union y survivra, sans aucun doute, mais avec quelle identité? Avec quelles valeurs? Quel sens et quelle légitimité pourra-t-elle encore se trouver…?

Les cicatrices des personnes exilées seront, quant à elles, irréversibles et témoigneront de cette indignité.‍


Le seul espoir de sauver l’Union réside dans un changement fondamental de sa politique, pour sortir de la logique répressive et se baser sur les quatre piliers de la justice migratoire, à savoir des conditions de vie dignes dans les pays d’origine, des voies d’accès légales et sûres, des politiques garantissant l’égalité et la cohésion sociale dans les pays d’accueil et la lutte contre les préjugés et les amalgames.

L’UE doit rappeler avec fermeté son engagement en faveur du droit d’asile et du droit international relatif aux droits humains et à ce titre, elle doit soutenir le principe de solidarité entre les États membres en mettant en œuvre un mécanisme équitable de répartition des demandeurs de protection entre ces États. La réforme du règlement Dublin souhaitée par l’ensemble des acteurs doit se concrétiser et s’inspirer de cette logique de répartition équitable.

L’UE doit également condamner les violences commises aux frontières, les expulsions forcées et les renvois collectifs. Elle doit réaffirmer que les migrant·e·s, les personnes qui leur viennent en aide et les journalistes doivent être protégé·e·s contre les menaces et les attaques. La réaction des sociétés européennes face au coronavirus, allant de la constitution de stocks de vivres aux migrations vers des zones non infectées, devrait les inciter à mieux comprendre la détresse des personnes fuyant les guerres et les famines.