Alors que le ministre de l’Economie Bruno Le Maire a annoncé ce matin qu’aucune aide liée au Covid ne serait accordée à des entreprises ayant des filiales dans les paradis fiscaux, le projet de loi de Finances rectificatives adopté cet après-midi ne comprend finalement aucune mesure en ce sens.
Si le principe de refuser tout soutien public à des entreprises qui pratiquent l’évasion fiscale est fondamental, le dispositif défendu par le ministre devrait rester symbolique puisqu’il s’appuie sur une liste de paradis fiscaux quasiment vide, dans laquelle ne figure aucun paradis fiscal européen.
Au delà de l’effet d’annonce, nos organisations appellent le gouvernement à conditionner tout soutien public à une obligation de transparence fiscale, afin que l’on puisse enfin savoir si les entreprises paient leur juste part d’impôts ou si elles dissimulent leurs profits dans des paradis fiscaux.
Les pratiques d’évasion fiscale massive des multinationales privent les États de recettes publiques fondamentales : il serait scandaleux que ces même entreprises bénéficient en ce moment d’un soutien public de l’État. Malheureusement, la mesure soutenue par Bruno Le Maire aurait un effet très limité, voir cosmétique. Elle s’appuie sur la liste française de paradis fiscaux, qui comprend 13 territoires, et aucun pays européen.
Les multinationales qui délocalisent leurs bénéfices au Luxembourg ou aux Pays-Bas échapperaient donc à cette annonce et pourraient bénéficier d’un soutien public de l’État. D’après une étude de Gabriel Zucman, 80% de l’évasion fiscale des entreprises en France s’opère via d’autres pays de l’UE. A titre d’exemple, Renault, qui a sollicité le soutien de l’État, ne serait certainement pas concerné par l’interdiction gouvernementale. Pourtant, l’entreprise avait été pointée pour ses pratiques d’évasion fiscale via Malte dans l’enquête des Malta files et la résidence fiscale de l’alliance Renault-Nissan est localisée aux Pays-Bas.
Nos organisations appellent le gouvernement à aller au-delà de l’effet d’annonce, et à conditionner tout soutien public à la publication par les entreprises d’information sur les impôts qu’elles payent et leurs activités dans chaque territoire où elles opèrent. On pourrait ainsi enfin savoir si elles pratiquent l’évasion fiscale ou si elles payent leur juste part d’impôt. Cette mesure clé contre l’évasion fiscale devrait s’appliquer à toutes les grandes entreprises françaises et fait l’objet d’une négociation pour une directive européenne. Dans ce contexte, elle doit déjà être appliquée sans tarder à toutes les entreprises français recevant un soutien public.
Notes aux rédactions
- La liste de paradis fiscaux française comprend 13 territoires depuis le 9 janvier 2020 : Anguilla, Bahamas, Fidji, Guam, Iles Vierge américaine, Iles Vierges britanniques, Oman, Panama, Samoa américaines, Samoa, Seychelles, Trinidad et Tobago, Vanuatu.
- L’Union européenne a ajouté les Îles Caïmans dans la liste noire des paradis fiscaux européens le 20 février dernier, sans que la France prenne en compte cette mise à jour.
- Les pénalités fiscales imposées aux flux en direction des pays listés empêchent la France de lister les pays européens, en vertu des traités européens.
Estimations de Thomas Tørsløv, Ludvig Wier and Gabriel Zucman, à consulter sur https://missingprofits.world/ - Nos organisations appellent le gouvernement à conditionner le soutien public à la publication d’un “reporting pays par pays public”. Cette mesure de transparence obligerait les entreprises à publier certains informations clés sur leurs activités (CA, bénéfices, employé-e-s, filiales…) et les impôts qu’elles payent et dans tous les pays où elles opèrent.
- Selon les estimations du chercheur Vincent Vicard, seules 52 entreprises françaises seraient concernées par la mesure adoptée, si elles faisaient appel au programme de soutien financier français. Ces estimations se basent sur les données “Orbis”, moins complète que celles issues d’un reporting pays par pays public.
- La mesure défendue par le gouvernement concernerait toutes les entreprises qui bénéficient d’un report d’impôt ou de cotisation, ou d’un prêt garanti par l’État, d’après les annonces de Bruno Le Maire.