Dans le contexte tendu du confinement et de contrôles de police accrus, une vingtaine d’habitants et de travailleurs sociaux des Marolles ont rencontré le bourgmestre de Bruxelles et des représentants de la police. Une rencontre d’où ils sont sortis « entre espoir et frustrations », mais bien décidés à ne pas laisser la situation se dégrader davantage.
Photo : pave-marolles.be
Ils étaient une petite vingtaine, le 27 avril, à être reçus à l’Hôtel de Ville : des membres du Foyer des Jeunes des Marolles et de l’association Jeune Ambition Marolles, une avocate, des personnes âgées, des mamans et des jeunes de plusieurs quartiers du haut et du bas des Marolles… En cette période de distanciation physique, il fallait de l’espace pour caser tout ce petit monde, qui a donc été reçu dans les lustres de la grande salle du Conseil communal. Face à eux : le bourgmestre Philippe Close, l’échevine de la jeunesse Faouzia Hariche, le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles et le commissaire de la 4e Division/District 1 (basée dans les Marolles).
La rencontre faisait suite à l’appel lancé la semaine précédente par les deux associations. Interpellées par de nombreux parents et jeunes habitants du quartier, celles-ci partageaient l’inquiétude d’un embrasement des quartiers populaires dans le contexte du confinement. Les contrôles policiers s’y sont faits plus nombreux et arbitraires, prenant parfois une tournure particulièrement dramatique comme dans le cas de la mort du jeune Adil le 10 avril à Cureghem, ou violente comme dans le cas de l’arrestation du jeune Kezy, le 19 avril à la cité Hellemans dans les Marolles, contrôlé parce qu’il fumait une cigarette devant chez lui. Pour les associations, il y avait urgence à entamer « un dialogue avec les autorités, afin d’apaiser les tensions ».
« Il faut des garde-fous »
« Le fait d’avoir été reçus si vite est un signe positif », dit Bilal Chuitar, coordinateur du Foyer des Jeunes des Marolles. « On est contents que l’idée de la concertation entre habitants et autorités ait été remise en avant », ajoute Rachida El Baghdadi, animatrice dans le quartier. « On ne peut pas laisser la police en rue seule avec les jeunes. On n’est pas à l’abri d’un drame. Il faut des garde-fous, des médiateurs. Or en ce moment il n’y a personne, pas de travailleurs sociaux », poursuit-elle. « D’un côté, les jeunes ont très peur du Covid-19, il y a des morts dans les familles du quartier. Mais de l’autre, le confinement est très dur ici, surtout pour des ados privés de liberté. Le gouvernement dit qu’on peut aller faire du golf, du cheval ou du kayak… Ça montre à quel point le confinement et le déconfinement ne sont pas pensés pour les habitants des quartiers populaires. » L’approche répressive est pointée du doigt par les associations : « elle n’a que peu d’effets et surtout, elle risque d’envenimer la situation ».
Le but de la rencontre était aussi de donner la parole aux jeunes dans un autre contexte que celui des contrôles. Malgré la surprise de se retrouver face à des policiers à l’Hôtel de Ville, plusieurs jeunes ont témoigné subir un nombre excessif de contrôles d’identité, recevoir des amendes qu’ils jugent arbitraires, être l’objet d’injures raciste (« relâche-le dans son état naturel »…), de violences physiques et de menaces de représailles… Ils ont aussi fait part de leur inquiétude face au manque de protections et de gestes barrière de la part de la police, comme on pouvait le constater par exemple dans les vidéos du contrôle musclé du 19 avril à la cité Hellemans (retirées entre-temps d’Instagram, leur contenu ayant étant jugé « susceptible de ne pas respecter les règles de la communauté »). Kezy, le jeune homme qui s’était retrouvé au centre de ce contrôle disproportionné qui lui a valu de passer deux nuits en prison, était d’ailleurs présent à l’Hôtel de Ville. Ayant introduit une plainte au Comité P contre les agents responsables, il a préféré ne pas prendre la parole lors de la réunion. Sa plainte s’ajoute à d’autres qui visent les agissements d’agents de la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles pendant le confinement ; comme celle déposée à Ixelles par un homme violemment arrêté devant chez lui parce qu’il était soupçonné de voler son propre vélo ; comme celle qui initia une enquête contre des policiers ayant embarqué, brutalisé et gazé un jeune migrant soudanais dont ils ont détruit les effets personnels avant de le rejeter au bout d’une demi-heure près du canal (cette affaire a valu à quatre policiers d’être arrêtés pendant quelques heures et à l’un d’entre eux d’être « provisoirement suspendu de ses fonctions »).
Selon les associations marolliennes, le bourgmestre a rebondi sur la nécessité d’adopter une « approche préventive et participative », approuvant la proposition « d’organiser des rencontres réunissant politiques, police, habitants, jeunes, commerçants afin de (re)créer du lien dans le quartier et de réfléchir aux modalités effectives pour penser le vivre ensemble ». Il a également rappelé qu’au vu du flou persistant en matière d’interprétation des règles de distanciation sociale, il était possible de contester les amendes COVID lorsqu’on les jugeait illégitimes. Le commissaire de la 4e Division/District 1 a été chargé d’être à l’avenir la personne de contact des jeunes des Marolles… même s’il n’a, dans les faits, aucun pouvoir sur les patrouilles qui procèdent aux contrôles, lesquelles sont envoyées par le commissariat de la Division centrale basé rue du Marché au Charbon.
Rien de nouveau ?
Bref, une rencontre « constructive » selon l’expression du bourgmestre dans la presse, et « pleine d’espoir » pour les associations et les jeunes, dont le sentiment a toutefois été aussitôt tempéré par le comportement des policiers présents : « Face aux témoignages des jeunes sur les injustices qu’ils subissent, ils sont restés impassibles, ils n’ont montré aucune empathie, aucune marque d’étonnement. Ils ne se sont manifestés qu’en fin de rencontre, pour affirmer qu’ils ont le droit d’interpeller et de contrôler sans en expliciter les raisons. » Faut-il s’en étonner alors que, la semaine précédente, le chef de corps de la zone de police Bruxelles-Capitale/Ixelles avait publiquement couvert les agents responsables du contrôle musclé à la cité Hellemans ? Il avait tout de même demandé à ses troupes « d’agir à chaque instant et en toutes circonstances avec discernement et empathie », mais des messages postés sur les réseaux sociaux laissaient penser que certains agents et officiers semblaient moins que jamais disposés à agir de la sorte dans les quartiers populaires.
Quoiqu’il en soit, l’attitude des représentants des forces de l’ordre a rappelé aux jeunes que le chemin serait long d’ici la fin des contrôles au faciès, dans un contexte où les autorités ont largement retiré à la police ses aspects de proximité, où existent des noyaux racistes, et où règne une omerta rendant difficile la dénonciation des abus et des violences (même pour les policiers qui réprouvent ces agissements)… « Il y a des agents qu’on voit régulièrement dans le quartier, ils nous connaissent et ne nous demandent même pas nos papiers », dit Seck Aboul de Jeunes Ambition Marolles. « S’il y a un problème, ils nous dispersent et c’est fini. Mais certains jeunes se font contrôler trois fois dans la même journée par différents agents, qui ne viennent jamais ici et avec eux c’est direct matraque et gazeuse. Ils n’ont aucune pédagogie. On dirait qu’ils nous prennent pour des animaux. C’est vrai qu’il y a de la délinquance ici, mais ça ne justifie pas tout, ils doivent comprendre qu’on est des êtres humains. » « En somme, rien de nouveau », soupire Rachida El Baghdadi. « Si ce n’est que le confinement rend les choses plus pesantes, et que l’urgence c’est d’obtenir une accalmie. » Si ce n’est, également, qu’une dynamique semble désormais lancée entre des associations et des jeunes des Marolles, décidés à questionner les droits et devoirs de la police, à documenter les violences policières, et à revendiquer transparence et respect lors des contrôles, en demandant notamment que les motivations de ceux-ci soient systématiquement objectivées. En somme, à créer des garde-fous, propres à limiter les abus. Et ça, ce n’est déjà pas rien.
Cet article, initialement publié dans le journal Pavé dans les Marolles, a été retravaillé par son auteur.