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Delen van artikels

IEB est reconnu de longue date dans le secteur de l’éducation permanente mais n’y avait jamais consacré un dossier dans son journal. Or ce champ qui traverse nos pratiques foisonne de questions et de tensions. Quelles sont ses fondations ? Comment les pouvoirs assument-ils le principe de financer une démarche visant à susciter l’esprit critique et la remise en question de l’ordre établi ? Comment les structures subsidiées naviguent-elles entre contraintes administratives, urgence de l’aide sociale et construction d’un contre-pouvoir ?

pg3 2Les origines de l’éducation permanente sont plurielles et rattachées à une constellation d’initiatives au cours du XIXe siècle : allant des préoccupations des mouvements socialistes visant à assurer l’instruction des ouvriers, aux actions des organisations associées à l’Église catholique, en passant des organisations du mouvement flamand militant en faveur de la langue et de la culture flamandes.

La finalité ne serait plus de s’acculturer au modèle dominant mais plutôt d’être producteur de culture.

De l’intégration à l’émancipation

On parle d’« instruction du peuple » mais « un peuple » à géométrie variable : pour le courant socialiste, la référence est exclusivement ouvrière alors que le pilier chrétien vise un spectre plus large. Toujours est-il que l’approche reste majoritairement liée à une démarche moins émancipatrice que d’encadrement. Il s’agit pour l’essentiel d’assurer l’instruction dans la prolongation de l’école, raison pour laquelle les premiers subsides de l’État aux associations sont repris sous l’appellation d’« aide aux œuvres complémentaires de l’école » (loi Destrée de 1921). Il s’agit plus d’apporter aux milieux populaires un complément d’instruction générale. C’est même dans ce but qu’en 1929 a été créé le Conseil supérieur de l’éducation populaire, sous un gouvernement de coalition chrétien-libéral, afin de « promouvoir tout ce qui a pour objet de procurer aux travailleurs le moyen de faire un emploi utile et moral de leurs loisirs ». Est ainsi élaboré un vade mecum des loisirs de l’ouvrier.

Après la deuxième guerre mondiale, la mise en place de maisons de jeunes (la première s’ouvre à Bruxelles en 1949) marque un tournant dans les conceptions de l’éducation : les jeunes ont leur mot à dire dans la gestion de leurs locaux et de leurs choix d’activités. L’esprit de Mai 68 va accélérer le mouvement sous l’angle culturel : on passe d’une politique de démocratisation culturelle à l’idée de développer la démocratie culturelle. Il ne s’agit plus tant de favoriser l’égalité des chances de consommer de la Culture que de favoriser les possibilités de chacun à participer à la création et au développement de la culture [1]. L’idée d’émancipation prend alors le dessus sur l’idée d’intégration. La finalité ne serait plus de s’acculturer au modèle dominant mais plutôt d’être producteur de culture.

L’arrêté royal du 11 juillet 1971 établit les conditions d’agréation et d’octroi de subventions aux organisations d’Éducation permanente et sera rapidement suivi par l’arrêté de 1976 qui cadrera pendant près de 30 ans le champ de l’éducation permanente. Porté par le mouvement ouvrier, il sera présenté comme « révolutionnaire » en ce sens qu’il concrétisera une décision prise par le pouvoir politique de reconnaître et financer de manière structurelle des organisations dont l’objet consisterait en quelque sorte à critiquer, à questionner, à mettre en débat, et donc à remettre en cause l’action et les choix opérés par les pouvoirs publics. L’objectif d’intégration restera toutefois bien présent dans le décret de 1976 qui parle de « développer des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique ».

Public populaire, qui es-tu ?


En 1976, le monde ouvrier et populaire reste central dans la pensée des concepteurs du décret : le public de milieu populaire doit représenter 80 % au moins du groupe concerné. En fait, le décret n’anticipe pas la crise du système fordiste et l’effritement de la société salariale. Or on assiste à partir de là aux fermetures d’entreprises, à l’installation d’un chômage de masse, à la globalisation accélérée de l’économie, à la précarisation de l’emploi, à la flexibilité du travail, les frontières entre classes sociales se brouillent [2]. La perte de cet ancrage ouvrier ne manquera pas de déstabiliser nombre de champs d’action et de lutte y compris celui de l’éducation permanente.

Ainsi le champ des luttes urbaines sera aussi affecté par cette mutation. Dans un article récent, Christian Vandermotten [3] nous rappelle l’alliance « gramscienne » qui s’est nouée dans les années 70 à Bruxelles, période qui a vu naître Inter-Environnement Bruxelles. C’est à cette époque qu’apparaissent des résistances, dans les quartiers centraux de la ville, face à leur mise en coupe fonctionnaliste et tertiaire (prolifération des bureaux, percées routières et destruction de l’habitat populaire). Une alliance se crée qui rassemble certains segments du monde syndical et l’associatif local, souvent issu de la gauche chrétienne. Elle trouve écho dans des milieux aisés des beaux quartiers aussi menacés par les pénétrantes routières. À partir des années 90, cette base sociale va se restreindre : la nouvelle classe populaire est au chômage, avec peu de relais dans le monde politique et syndical. Cette classe est aussi peu présente dans les comités de quartier membres d’IEB. La classe moyenne, qui s’était précédemment liée aux classes populaires pour défendre « sa » ville contre les grands travaux publics et l’extension incontrôlée des bureaux, entre en compétition avec la classe populaire sur un segment du logement accessible qui se rétrécit et se prévaut de la mixité sociale et du vivre ensemble pour s’installer dans le croissant pauvre, poussée dans le dos par la spéculation et les politiques publiques.

Fort de ce constat, IEB soulignait dans son contrat programme 2011-2015 que la composition sociologique de Bruxelles s’était fortement modifiée en 40 ans, alors que, dans le même temps, le public d’IEB avait peu suivi cette évolution. La nécessité de dépasser la figure sociologiquement sélective du comité de quartier fut mise en avant et IEB prit la décision d’explorer davantage les démarches lui permettant d’être plus en prise avec la réalité et les besoins des habitants des quartiers populaires, d’affronter les conflits d’intérêts liés aux classes et de tenter des alliances vers le bas. Mais de la prise de conscience à la mise en branle, IEB continue de cheminer, tentant à tout le moins de faire partager celle-ci avec ses comités membres, dont le WIQ et l’ACQU que vous croiserez dans ce dossier.

La perte de cet ancrage ouvrier ne manquera pas de déstabiliser nombre de champs d’action et de lutte y compris celui de l’éducation permanente.

On aurait pu imaginer que cette question de la mue des classes ouvrières et populaires serait au centre de la réforme du décret qui conduira à l’adoption d’un nouveau texte en 2003. Or ce dernier affronte peu cette question et se contente de diluer l’attention portée au public populaire et de déplacer le curseur en élargissant la reconnaissance à un monde associatif plus large, l’éducation permanente ayant été jusqu’ici très associée aux organisations du mouvement ouvrier. Il accueille désormais les initiatives issues de nouvelles formes de lutte et de contestation sociale, comme des associations environnementales, interculturelles ou intergénérationnelles.

L’adoption du nouveau décret sera d’ailleurs précédée du combat mené par ceux que l’administration appellera les émergents [4] qui jettent un pavé dans la mare d’un système qui ronronne avec ses dinosaures associatifs largement subsidiés. Ils mettent en avant des problématiques sociétales telles que la marchandisation de la culture, la place des immigrés dans la société, la mutation du modèle familial, la crise écologique, la question du genre, la globalisation de l’économie, la communication numérisée…

Mais in fine, la réforme sera assez technocratique. Elle restera « attentive aux mouvements centripètes du secteur, à son dedans plus qu’à son dehors » [5]. En 1981, 115 organisations étaient reconnues. Ce chiffre passera à 265 juste avant la réforme de 2003. Suite au décret de 2003, 243 de ces 265 associations demanderont une reconnaissance dont 187 l’obtiendront sur un total de 254 associations reconnues en 2010 soit 67 nouvelles associations. En 2017, ce chiffre est passé à 270. 59 % des associations reconnues sont situées en Région bruxelloise et seulement 6 % dans le Hainaut, province pourtant la plus populaire de la Fédération Wallonie Bruxelles. L’essentiel de la manne financière reste concentré dans les mains de quelques structures puisque 34 % du total des subventions revient à 4 % des associations, pour la plupart des mouvements historiques. Certes, l’ouverture existe désormais mais elle a créé un vrai problème de financement, tant et si bien qu’en 2016, des associations dans le sas de la reconnaissance ont vu leur convention temporaire prolongée faute de moyens financiers suffisants pour assurer leur passage en contrat-programme [6]. Quels seront les arbitrages politiques dans le cadre de la gestion budgétaire critique que ne manqueront pas de susciter les conséquences économique de la pandémie ?

Les intérêts de l’association et de sa survie prennent le dessus et les intérêts du quartier passent au second plan.

Les dérives de la professionnalisation


Si le premier décret se limitait au financement des frais de fonctionnement, il s’orientera rapidement vers la rémunération de permanents pour s’inscrire dans un processus de professionnalisation du secteur. Avec certes l’avantage du financement d’emplois consacrés à l’éducation permanente mais également divers écueils inhérents à cette professionnalisation tel le risque de développement d’une culture d’entreprise et d’une logique socio-cul : des professionnels de la participation encadrant des volontaires et un public parfois sur-sollicité. Un « public cible » trop souvent incarné par une poignée de personnes en quête de reconnaissance et ballottées entre des associations en quête de justification vis-à-vis des pouvoirs subsidiants. Cette bien étrange expression de « public cible » prend alors tout son sens comme visant le public que les associations doivent traquer jusqu’à les attirer dans leurs grilles de justificatifs.

Les exigences du décret d’affecter des permanents aux missions décrites par celui-ci pour abattre les heures exigées laissent souvent ceux-ci dans une bulle déconnectée du reste de la structure. Elles créent des effets de cloisonnement préjudiciables à une articulation entre une logique d’aide individuelle et une capacité de résistance et de propositions collectives. Certains salariés se spécialisent dans la gestion et compilation des rapports à remettre et s’éloignent du terrain. Les intérêts de l’association et de sa survie prennent le dessus et les intérêts du quartier passent au second plan. Enfin, les professionnels ont tendance avec le temps à basculer dans une expertise de plus en plus inaccessible pour l’habitant ou encore à mettre en place des dispositifs qui, à leur corps défendant, sont autant d’occasions d’énoncer des normes et des valeurs qui sont celles des classes moyennes.

Toujours est-il que la grande majorité des associations est très enthousiaste d’être reconnue par l’éducation permanente dans la mesure où elle reconnaît qu’il s’agit d’un des subsides qui, au contraire des appels à projet instrumentalisant, fournit stabilité et liberté de parole. Elles sont conscientes du caractère précieux de ce subside dans un contexte de rétrécissement des financements publics où il est facile de couper les subsides d’une association trop critique en invoquant les restrictions budgétaires. Mais elles pointent en bémol la difficulté de construire un rapport de force dans un contexte de productivité quantitative qui mine la dynamique d’éducation permanente. La récente réforme en améliorant la transversalité des axes de reconnaissance devrait toutefois octroyer aux associations une respiration.

Faire face à l’urgence et/ou politiser ?


Comme le souligne l’Université populaire d’Anderlecht interrogée dans ce dossier, la double volonté paradoxale d’intégration critique d’un côté, de rupture-émancipation de l’autre n’est pas simple à combiner et le cloisonnement entre les deux logiques guette de nombreuses associations même si elles sont bien conscientes de cette difficulté. Les associations reconnues à un niveau local (soit 33 % des associations) sont celles le plus en contact avec les milieux populaires, ce sont aussi celles qui mettent davantage en exergue les champs d’action relatifs à l’alphabétisation (près de 20 %) et à la lutte contre les exclusions (36 %). Devant faire face à l’urgence d’une lutte élémentaire contre l’exclusion, il s’agit souvent de fournir une forme d’aide sociale plutôt que de construire collectivement des positionnements de contestation et d’offensive critique.

Il ne faut pas éluder les résistances ordinaires des quartiers populaires ni nier la conscience politique qui peut y exister.

Toutefois l’urgence de la situation et son injustice peut également susciter un sentiment de colère chez les concernés. Si prise individuellement, ces colères mènent souvent à l’impasse, prises dans une démarche collective, elles deviennent le ressort d’une révolte constructive susceptible de donner naissance à des actes de résistance collectifs tels que ceux évoqués dans ce dossier avec le récit du Picol (Partenariat Intégration Cohabitation à Laeken) sur les situation des locataires du Foyer Laekenois ou celui de Bonnevie sur les exclus du logement : « de rouspéteurs ils deviennent des interlocuteurs légitimes ». Ces colères qui se tissaient au sein du monde ouvrier dans les entreprises, peuvent sourdre et se fédérer au sein des grands ensembles de logements sociaux ou sur une place de marché (comme celle des Marolles) ou encore dans un quartier pour refuser l’inacceptable et dénoncer le mépris qu’oppose une élite.

Valoriser l’expertise d’en bas !


Nos diverses rencontres pour ce dossier mettent en exergue l’importance de partir de là où on habite et à partir des situations rencontrées par les gens : partir de ce qui est et non de ce que l’on voudrait qu’il soit. S’il est vrai que l’urgence sociale peut rendre difficile l’organisation de mobilisation selon les codes établis par les associations professionnelles, il ne faut pas éluder les résistances ordinaires des quartiers populaires ni nier la conscience politique qui peut y exister. L’art de l’élite est de créer un « nous » abstrait et globalisant qui gomme les différences sociales et culturelles et les rapports de force. C’est le propre d’une démarche colonisatrice de présenter la terre à coloniser comme un désert. Il s’agira alors de « transformer la terre en matière informe, pliable à tous les désirs et les besoins de l’économie et la technique. Enfermer tout ce qui est plus singulier, plus complexe dans des lieux appropriés » [7]. Ainsi fonctionne la revitalisation urbaine qui a la prétention d’amener la vie comme si le lieu en était dénué car il n’était pas encore « civilisé ».

Comme le rappelle le MIB (Mouvement Immigration Banlieue) en France, « les quartiers populaires ne sont pas des déserts politiques ». Dans ce dossier, Gaspard Schmitt de l’asbl La Rue met en avant l’importance des processus informels ayant lieu au sein des quartiers populaires dont les formes diverses se développent en marge des cadre du travail salarié. Ainsi le réseau qui s’est constitué autour du journal Le Pavé des Marolles directement lié à la présence du marché aux puces sur la place du Jeu de Balle et aux diverses mobilisations dont cette place a fait l’objet.

C’est bien la déterritorialisation croissante des logiques dominantes qui pose question, leur capacité à uniformiser les territoires et à les formater comme marchandise au détriment de leur valeur d’usage pour ceux qui y habitent ou y travaillent. « Ce processus d’abstraction se produit sur des espaces concrets dans lesquels les habitants vivent, habitants dotés de caractéristiques sociales et culturelles qui se sont appropriés leurs espaces de vie, qui ont fait leurs villes et leurs quartiers. […] La circulation du capital à un autre toujours en quête de nouveaux marchés, de nouvelles possibilités de valorisation, transforme donc en permanence les territoires vécus, les espaces de vie » [8].

Le savoir local des dominés s’appuie au contraire sur l’expérience ordinaire en lien avec des situations concrètes s’inscrivant dans la complexité historique de l’espace vécu. Ce que révèlent par exemple les balades relatées dans ce dossier et réalisées par le Collectif Alpha dans le Vieux Molenbeek. Ce savoir d’en-bas est aujourd’hui malmené, tantôt transformé, récupéré, réduit à une phrase sur un post it qui le décontextualise, tantôt décrédibilisé par le discours dominant en savoir non valable, comme relevant d’un « petit esprit » qui serait incapable d’appréhender le monde, les contraintes auxquelles doivent faire face les dirigeants et les vrais enjeux de la ville de demain. L’argument technique et d’expertise, volontairement peu compréhensible, sera brandi pour masquer un choix politique.

Difficile de régler les problèmes concrets et situés avec des méthodes prêtes à l’emploi souvent importée d’ailleurs. Or IEB constate que la transformation de la ville est de plus en plus aux mains d’architectes et de bureaux d’étude étrangers qui lissent la ville par le haut. Ils développent une vision abstraite de la ville qui s’imprimera ensuite sur des espaces concrets dont les habitants subiront les mutations profondes quitte à devoir abandonner leur territoire vécu. La gestion de la récente crise est une illustration éclatante du dédain et mépris de nos dirigeants pour l’expertise d’en bas, celle des petites mains de la santé, du transport public… ou celle des oubliés (les détenus, les sans abris, les sans papiers, les marchands ambulants, les forains…). Mettre fin à cette dépossession permanente est un enjeu majeur de l’éducation !

Source: https://ieb.be/Education-populaire-une-remise-en-question-permanente?suivi=2020-08-26&noix=45369