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loupeLa Vivaldi : entre ruptures et continuités avec la Suédoise MR-N-VA

Alors que le précédent gouvernement était “à droite toute” celui-ci intègre une série de revendications plutôt sociales, démocratiques et écologistes, il faut le reconnaître. Elles ont notamment été gagnées de haute lutte par la mobilisation sociale des derniers mois.

Citons notamment :

  • une revalorisation des soins de santé, avec une norme de 2.5% d’augmentation par an. Nous étions à 1.5% par an
  • une augmentation des pensions minimums à 1580 euros bruts par an en 2024 ce qui est en dessous des 1500 euros nets promis.
  • une sortie du nucléaire
  • un plan-action climat tourné vers le secteur du bâtiment
  • des avancées pour les droits des femmes
  • un peu plus de démocratie participative
  • des moyens supplémentaires pour la SNCB, la Justice, la police et les pompiers. L’accord prévoit de relever le taux d’investissement public de 2,3% du PIB à 4% du PIB en 2030.

Au total, le « plan de relance » annoncé s’élève à un peu plus de 10 milliards d’euros sur quatre ans et rompt (un peu) avec les logiques ultralibérales de désengagement de l’Etat. Toutefois, notons d’abord qu’il ne s’agit pas uniquement d’investissements productifs mais aussi de mesures destinées à relancer la consommation et à soutenir à court terme les entreprises. Notons par ailleurs, à titre de comparaison, que le plan de relance allemand est de 130 milliards sur deux ans, ce qui ramené à la population et à la durée du plan belge est plus de trois fois supérieur. Cela reste donc assez modeste.

Des mesures qui semblent positives, oui mais…

On pourrait se réjouir que certaines dépenses soient consenties, et que l’on rompe avec les logiques ultralibérales d’un Etat vidé de toute substance. Malheureusement ces mesures seront financées par l’endettement public (dans le cadre actuel cela signifie que l’on va enrichir les banques privées seules habilitées à prêter aux Etats et qui pratiquent des taux supérieurs à ceux de la Banque Centrale Européenne), des taxes à la consommation, et à nouveau des mesures d’austérité, et non via un impôt plus juste, notamment sur le capital (nous y reviendrons).

Concernant les mesures mêmes, s’agissant des moyens supplémentaires dans les soins de santé (et rappelons que si l’on monte à 2.5% par an de hausse, l’on était à 4% sous le gouvernement Verhofstadt), à défaut d’une prise en main du secteur des médicaments, la revalorisation opérée sera pour une bonne partie phagocytée par le remboursement de médicaments de plus en plus chers. Représentant plus de 20% du budget des soins de santé, le budget des spécialités pharmaceutiques a en effet connu une très forte croissance ces dernières années (+7,7% en 2019 et en 2020). En 2021, les estimations techniques prévoient une croissance de 10,7%. Ces taux de croissance sont intenables.

Or, même si l’on trouve quelques intentions (augmentation de la part des médicaments bons marché et biosimilaires et responsabilisation des prescripteurs avec une série de mesures visant les volumes et le comportement des prescripteurs), dans le présent accord, le système de brevet n’est pas remis en question. La régulation publique de la recherche, du développement et de la publicité pharmaceutique n’est pas proposée. Lors du gouvernement précédent, un pacte avait déjà été signé avec l’industrie pharmaceutique pour limiter ses dépenses de sécurité sociale. Ce pacte n’a pas été respecté, le montant prévu pour ce secteur a été largement dépassé sans qu’aucune régulation n’ait été effectuée par la ministre. Tant que des règles de contrôle du non-dépassement plus strictes ne seront édictées pour arrêter ce phénomène, nous pouvons craindre le pire en termes de dépassement.

Au niveau du personnel, on retrouve des mesures intéressantes (dont le fond « blouses blanches », l’accord social, et les soins de santé mentale auxquels 1.2 milliards d’euros est alloué) mais très peu de volontarisme sur les freins à une médecine à deux vitesses et à la marchandisation (suppléments d’honoraires, problème des assurances facultatives, etc.).

Les moyens supplémentaires pour la justice (500 millions d’euros) sont loin d’être suffisants vu l’état déplorable de celle-ci. Aucun effort spécifique n’est annoncé concernant une lutte sérieuse contre la fraude fiscale. On note juste une annonce très prudente de Paul Magnette sur un impôt sur la fortune et la levée du secret bancaire. Mais ce n’est certainement pas avec l’ultra-libéral Open VLD Vincent Van Quickenborne nommé ministre de la Justice que cela va advenir. Pour rappel, la fraude fiscale représente entre 10 et 20 milliards d’euros par an dans notre pays ! Nous y reviendrons plus tard.

Sur les pensions, socialistes et écologistes ont mangé leur promesse maintes fois répétées d’un abaissement de l’âge de départ à la pension à 65 ans comme condition sine qua non à leur entrée dans un gouvernement. La mesure concerne en outre des carrières de 45 ans et pour du temps-plein, ce qui exclut de fait la majorité des travailleurs et plus encore les travailleuses. Seuls 23,9% des salariés ont une carrière complète. Enfin, elle ne sera effective que dans 4 ans. Bref, il y a une impulsion positive mais nos pensions vont demeurer très faibles au regard des pays limitrophes, de la crise et du coût de la vie en Belgique. En revanche, la loi de 96 (empirée sous Charles Michel en 2017) qui limite les salaires sur base de celui des pays limitrophes au nom de la compétitivité est pour sa part maintenue. C’est injuste et nocif pour notre économie.

Sur le nucléaire, l’accord est très flou. Et pour cause, l’Etat n’a rien fait depuis 2004 et la décision de sortie, et il a très peu la main sur un secteur quasi totalement privé. Le risque de voir minimum deux réacteurs prolongés au-delà de 2025 est réel. Rappelons que la demande des militants antinucléaires (dont nous sommes), ce n’est pas de fermer les vieilles centrales en 2025 mais dès aujourd’hui, et toutes les autres en 2025. Dans ce contexte existe un risque réel d’enchérissement de l’électricité les prochaines années. Le Mouvement Demain formule trois propositions. Premièrement, un encadrement des prix (pour éviter que certains producteurs fassent des bénéfices sur notre dos d’un besoin essentiel). Deuxièmement, une aide concrète aux citoyens pour baisser leur consommation. Et troisièmement, une modulation du prix de l’énergie en fonction de son utilisation. Charger sa Tesla ou chauffer l’eau pour se laver, cela n’est pas consommer le même type de produit. C’est pourquoi, comme pour l’eau, nous proposons des tarifications progressives en fonction de la consommation et des compositions de ménage.

Sur les droits des femmes, il y a la levée des entraves à la contraception et quelques autres mesures qui vont dans le bon sens… Mais aucune politique socio-économique structurelle d’égalité hommes-femmes. Les femmes sont pourtant très fortement touchées par les mesures de dégressivité des allocations de chômage, par les petites pensions, beaucoup n’ont pas de carrière complète ! On note également l’absence de volonté d’avoir des statistiques et une loi-cadre contre les violences faites aux femmes. Et enfin, il faut relever la mise au frigo de la réforme de l’IVG alors que celle-ci dispose pourtant d’une large majorité parlementaire.

Une majorité qui s’inscrit dans une certaine continuité idéologique

La « Vivaldi » est une forme de retour à la politique libérale plus « molle » (pour ne pas dire “centriste”) qui a précédé les deux derniers gouvernements de droite mais ce n’est en aucun cas la rupture anticapitaliste et écosocialiste dont nous avons besoin.

Alors que l’enjeu des réfugiés est crucial à l’heure des conflits et du dérèglement climatique, nous maintenons une politique migratoire très dure. On annonce la fin des enfants en centres fermés (dans les faits il n’y en avait plus) mais c’est le concept même de centre fermé qui est inacceptable. Et il va demeurer, et de nouveaux centres vont même être ouverts. Ce sont les expulsions collectives. Elles vont demeurer. Ce sont ces marchandages ignobles avec la Lybie ou la Turquie à l’échelle européenne. Nous continuerons de les prôner. Le nouveau secrétaire d’Etat CD&V en charge de cette matière annonce déjà une politique dans la lignée de celle de Théo Francken dont il se borne à critiquer la communication et avec le parti duquel le CD&V gouverne en Flandre (et aurait aimé le faire au Fédéral). En matière de politique étrangère, rien ne sera fait pour lutter contre les causes des départs : la guerre, les tyrannies et persécutions, les inégalités Nord-Sud, etc.

Alors que la justice fiscale devrait être au cœur d’un projet de société qui tente de contrer des inégalités qui ne cessent de croitre, il n’en est rien. Notamment sous la pression du MR. Pourtant nous avons un urgent besoin de rééquilibrage entre fiscalité sur les multinationales et les petites structures (PME, indépendants). Et plus généralement d’un rééquilibrage de la fiscalité entre capital et travail. La part de la richesse produits allant au capital ne cesse de croître. Pourtant, le capital, autant en stock qu’en revenu, est le grand ignoré de cet accord.

Le rééquilibrage capital-travail peut passer en partie par une mesure comme une taxe sur la fortune (ou les millionnaires) ainsi que proposée sous des formes diverses par PTB, PS et ECOLO. Dans le présent accord, une contribution semble pouvoir être demandée aux plus riches dans le cadre d’un conclave budgétaire ultérieur. Cependant, il n’est pas clair du tout de savoir qui y contribuera, sur quelle base taxable, à quelle hauteur et si la contribution sera temporaire ou durable.

Toutefois, à l’heure où la lutte contre les inégalités est sur le devant de la scène, à l’heure où l’on pointe du doigt les facteurs favorisant la propagation des inégalités (faiblesse des systèmes fiscaux, héritage, redistribution trop faible), notre pays n’envisage toujours pas un cadastre des fortunes ni une centralisation au niveau du SPF Finances des statistiques sur les revenus du capital. Ce faisant, notre pays se coupe de toute possibilité d’améliorer réellement son système fiscal en toute transparence et dans un esprit de justice sociale.

Une taxe sur la fortune serait un premier pas mais consiste dans les faits à s’attaquer aux inégalités déjà existantes. Pour prendre le problème à la base, à la racine, une véritable réforme fiscale devrait passer prioritairement, comme nous seuls le proposons, par l’instauration d’un Revenu Maximum Autorisé, lié à un Revenu Minimum. C’est à dire par une limitation du salaire et des autres formes de revenus des plus riches (d’où la nécessité d’un cadastre et de statistiques au niveau du SPF Finances), et par la fixation d’un ratio maximum entre les plus riches et les plus pauvres (de l’ordre de 1 à 15) dans les entreprises comme au sein de la société dans son ensemble. Cela peut passer concrètement par une réelle progressivité de l’Impôt sur les Personnes Physiques (IPP) avec une tranche supérieure à 100%. C’est une idée non pas communiste et russe mais libérale et américaine à la base, pour simplement éviter des sociétés totalement duales avec des hyper-riches et des hyper-pauvres, comme celles qui se forment aujourd’hui. Certains nous disent que cela ruinerait la compétitivité du pays. La compétitivité est une course au moins disant social, pas à la santé des Etats. L’Amérique de Roosevelt qui l’imposait quasiment (avec une tranche supérieure de l’IPP à 92%) se portait bien mieux que celle de Trump où la pauvreté est endémique et le principe de « flat tax » (soit une taxe non progressive) de mise.

Une autre rupture totalement absente est celle de l’initiative publique. Cette crise a montré combien nous étions à la merci de firmes privées et de productions lointaines pour des besoins de base (des masques, du gel, un vaccin,…), mais aussi combien nos services publics étaient vitaux et dans une situation pourtant précaire.

Si nous sommes incapables d’impulser des dynamiques différentes, de faire appliquer le droit à la santé en investissant massivement dans ce secteur, de créer nos propres laboratoires de recherche pharmaceutiques, d’assurer un véritable droit au logement en construisant et rénovant massivement, de construire en suffisance des outils de production d’énergie verte (par exemple via la géothermie), de déployer du transport public à tarif social voir gratuit de qualité et en suffisance, de dégager des moyens pour un véritable partage du temps d’emploi, de relocaliser notre activité économique en stoppant largement les logiques de libre-échange et de mondialisation capitaliste qui mettent en concurrence les travailleurs, c’est parce que nos Etats sont désargentés, endettés, impuissants. Ce gouvernement ne propose rien pour changer de cap. Au contraire, le risque de privatiser un dernier grand bastion public, la SNCB, est présent. C’est donc la poursuite des logiques libérales qui est annoncée.

Et parce que l’Etat ne peut tout et que la décentralisation et l’initiative citoyenne sont également à soutenir pour impulser ces dynamiques nouvelles, un autre souci est celui des salaires. C’est parce que nos salaires sont trop bas pour nous permettre collectivement d’investir dans des structures coopératives ayant la taille nécessaire pour construire une autre économie, sociale, solidaire, que nous sommes bloqués, dépendant de l’investissement privé des plus fortunés.

Là aussi, on ne voit rien de très massif pour proposer de donner une réelle impulsion au secteur coopératif et à celui de l’économie sociale. Au contraire, on recycle un nouveau membre de la famille Michel pour se charger du digital.

Et Demain…

Le MR a beau dire que les “libéraux du Nord et du Sud sont unis” (en tout cas ceux du Sud semblent avoir du mal à demeurer unis entre eux), et que la Belgique va, par conséquent se “réunifier”, cet accord de gouvernement nous montre bien que c’est une fable. Ce gouvernement, c’est un peu celui de la dernière chance pour contrer la marée de la droite extrême en Flandre.

En effet, on ne peut pas décemment écarter l’hypothèse que dès 2024, N-VA et Belang seront majoritaires en Flandre. Toute la gauche flamande “de gouvernement” comme dans l’opposition, a une énorme responsabilité devant elle. À elle de convaincre, de déjouer les pronostics, d’organiser des luttes victorieuses au Nord.

Nous sommes pour une société multiculturelle et la fin de la Belgique ne serait pas une bonne nouvelle. Mais une Belgique dans laquelle Belang et N-VA donneraient le « la » (et c’était déjà le cas avec le gouvernement Michel I), serait pire encore.

Bruxellois et Wallons ont donc, dès aujourd’hui, l’obligation de se mettre à table pour imaginer un modèle confédéral (voir séparatiste si nous n’avons pas le choix) qui tisse des liens entre deux Régions qui sont profondément complémentaires. Le cœur de ce projet devra toujours être une sécurité sociale forte.

Le Mouvement Demain appelle à construire un rapport de forces, à des luttes syndicales, sociales et écologiques implacables pour assurer et approfondir les quelques avancées annoncées, pour mettre la pression, et surtout pour sortir du cadre des politiques où les très grandes entreprises décident de notre avenir.