Plus de 500 organisations signent contre le confinement ciblé de la culture
Plus de 500 organisations artistiques et socioculturelles des quatre coins du pays, principalement de Bruxelles et de Wallonie, ont signé la carte blanche publiée ce matin en français dans le quotidien Le Soir et en néerlandais sur le site d’information MO*. Elles remettent en question le sort fait à la culture dans la gestion de l’épidémie de Covid-19 : "Il n'a échappé à personne que les restrictions ne s'appliquent pas de la même manière à différents pans de la société : certains sont considérés comme de simples variables d'ajustement et sont régulièrement mis à l'arrêt pour permettre à d'autres, jugés 'essentiels', de continuer à tourner".
Vous trouverez ci-dessous le texte dans son intégralité, ainsi que sur cette page qui détaille et met à jour la liste des signataires.
On retrouve parmi eux des institutions de toutes tailles et de toutes disciplines : lieux (cinémas, théâtres, salles de concerts, musées, galeries, écoles artistiques, centres culturels, centres d'art, centres d'expressions et de créativité...), festivals, plateformes et fédérations professionnelles, espaces et collectifs de créations, ateliers et sociétés de productions cinématographique, troupes de cirques, compagnies de danse et de théâtre, éditeurs de littérature et de bande-dessinée, labels de musique, diffuseurs, agences de booking et de management... Mais aussi des associations actives dans les champs de l'éducation permanente, la démocratie culturelle, la médiation, le patrimoine, l'enseignement, la santé mentale, la jeunesse et les personnes âgées, etc.
Depuis mars, c'est la première fois que le monde culturel (dont de larges pans risquent de ne pas se relever de ces arrêts d'activité) prend position avec une telle ampleur pour revendiquer une autre approche de la gestion de la crise sanitaire.
La culture n'est pas une variable d'ajustement !
Sans revenir sur ce qui a mené à la situation que nous vivons actuellement et sur ce qui aurait éventuellement pu l'empêcher, rappelons que la gestion de l'épidémie de Covid-19 en 2020 en Belgique s'est traduite, entre autres, par deux grandes périodes de confinement. Une première instaurée en catastrophe au printemps, puis une seconde arrivée sans surprise à l'automne. Dès le mois de mars, nombre de scientifiques annonçaient déjà que la crise sanitaire durerait probablement deux ans, jusqu'à ce que le virus disparaisse ou que soient trouvés les moyens médicaux pour le soigner ou s'en prémunir. Il s'agissait donc, dès l'été, d'avoir une approche plus prévoyante et anticipative, permettant d'éviter un nouveau confinement.
Pourtant, c'est la capacité d'accueil des hôpitaux qui a été la base inamovible des choix politiques, sans tenir compte des besoins exprimés par le secteur des soins, ni des effets dévastateurs d'un confinement sur la santé physique et psychologique de la population. Sans oublier les désastres économiques pour les secteurs à l'arrêt, en particulier l'horeca, la culture, le sport, les métiers de contact, les petits commerces, qui sont à chaque fois parmi les premiers à devoir fermer et les derniers à pouvoir rouvrir.
Car il n'a échappé à personne que les restrictions ne s'appliquent pas de la même manière à différents pans de la société : certains sont considérés comme de simples variables d'ajustement et sont régulièrement mis à l'arrêt pour permettre à d'autres, jugés "essentiels", de continuer à tourner. Pendant le premier confinement, un tiers de la population active a continué de se rendre au travail. Le second confinement est allé plus loin en offrant des dérogations permettant à toute industrie, usine ou entreprise où le télétravail n'est pas possible, de continuer ses activités. À la rentrée de septembre, les écoles ont rouvert sans être néanmoins dotées des moyens nécessaires pour contenir la circulation du virus. Depuis le déconfinement d'été, les transports en commun n'ont pas suffisamment adapté leur offre ni leurs mesures de précaution. Avec le reconfinement d'automne, des couvre-feux inquiétants pour les libertés publiques nous ont empêché de sortir en rue tard en soirée, même seul•e, tandis qu'une foule de personnes pouvait continuer à se côtoyer en journée dans les transports publics, les centres commerciaux, certaines entreprises, etc.
Il y a eu, certes, des évolutions. Au printemps, on a par exemple vu les marchés en plein air être interdits alors que les supermarchés tournaient à plein régime ; tandis qu'à l'automne, les marchés alimentaires sont restés ouverts - et même les librairies. Mais il y a des tendances lourdes. Elles se sont encore confirmées avec la décision de rouvrir les commerces à l'approche de Noël et de reporter les autres questions aux calendes grecques.
Dans le secteur de la culture, des protocoles stricts ont été appliqués dès le mois de juin et constamment renégociés, pesant lourdement sur la capacité d'accueil et donc souvent sur la survie économique des lieux concernés, mais permettant au moins de maintenir des activités et du lien social (sauf pour les salles de concerts "debout" qui n'ont jamais pu rouvrir). Alors qu'aucune étude, aucun cluster n'ont montré que les lieux culturels seraient des foyers de contagion (ils seraient même parmi les plus sécurisés tous secteurs confondus), on doute fortement que leur fermeture puisse contribuer à combattre l'épidémie.
Notre colère naît du désastre causé par cette deuxième mise à l'arrêt, alors que rien n'a été fait dans l'entre-deux pour soutenir efficacement le secteur des soins de santé, ni pour mettre à contribution les secteurs qui ont accumulé de larges profits pendant cette période. Cela fera bientôt un an que nous vivons sous le régime d'un confinement à géométrie variable, qui privilégie de fait les géants de la distribution au détriment de l'économie locale, qui institue des habitudes virtuelles qui marqueront notre société pour longtemps, qui prend le parti de préserver la productivité et le temps salarié plutôt que le temps social et culturel, sans prendre en considération la misère psychique et morale qu'entraînent les carrières ruinées, les métiers perdus, le lien social réduit à néant ou presque, le désespoir des personnes âgées isolées ou enfermées dans les maisons de repos... Car tout n'est pas question d'argent. Et quand bien même, malgré les aides actuelles (insuffisantes voire inexistantes dans bien des cas où la précarité est déjà la norme), l'État ne se dote pas de moyens nécessaires pour garantir la survie de secteurs ainsi mis à l'arrêt...
Les mois qui viennent ne seront probablement pas épargnés par le virus, mais nous refusons de continuer à vivre dans un cycle répétitif de confinements ciblés qui mettent en sourdine la vie sociale, pédagogique, culturelle, associative, sportive... Il faut "arrêter d'arrêter" à tout va. Sortir d'une vision à court terme, d'une opposition infernale entre confinement ou hécatombe, d'une politique dictée essentiellement par les courbes et leurs interprétations anxiogènes, des décisions autoritaires et arbitraires qui mettent à mal l'avenir de notre société d'une manière plus définitive que la pandémie actuelle.
Ces choix n'ont rien d'une fatalité. Il existe d'autres manières de faire face à une épidémie. Dans des circonstances similaires, d'autres pays ont par exemple choisi d'établir des restrictions en fonction des tailles des lieux et du nombre de personnes qui y sont concentrées plutôt que de la nature des activités, ou encore de privilégier les secteurs les plus fragiles qui ne survivraient pas à des arrêts d'activité successifs...
"Vivre avec le virus", c'est répartir le poids des mesures sur l'ensemble de la société. Et s'il faut privilégier certains secteurs par rapport à d'autres, ce n'est certainement pas ceux choisis jusqu'ici par les autorités belges, mais plutôt ceux qui créent des liens dans le monde réel, qui font le tissu de nos territoires et de nos sociétés. En particulier, dans une période de restrictions importantes de nos libertés, y compris démocratiques, la fonction critique et émancipatrice de la culture est plus indispensable que jamais. Toutes les activités et tous les espaces de rencontre, de partage, de dialogue et de débat, sont essentiels à la vie sociale et à toute vie humaine, et doivent revenir au centre des préoccupations.