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Les pays en développement demandent à l’OMC la suspension des droits de propriété intellectuelle sur les vaccins contre la Covid-19, mais les pays occidentaux y mettent leur veto. Même si elle ne règlerait pas tous les problèmes à court terme, cette mesure favoriserait à moyen terme l’innovation, la production et l’accès des pays pauvres aux vaccins et aux traitements.

Loin de représenter un bien public mondial, comme plusieurs dirigeants l’avaient pourtant annoncé au début de la pandémie, les vaccins contre la Covid-19 sont répartis de manière inégale selon la loi du plus offrant. Début février 2021, sept pays concentraient 80% des doses administrées dans le monde, tandis que près de 130 pays n’en avaient encore administré aucune. Alors que les pays à revenu intermédiaire (hors Chine) concentraient 50% des contaminations dans le monde, ils n’avaient administré que 17% des doses.

Près de 8 milliards de doses ont ainsi été précommandées, dont la majorité par les pays les plus riches qui n’ont laissé que des miettes pour les pays pauvres.

Avant cela, les gouvernements ont négocié dans l’opacité avec les laboratoires pharmaceutiques des précommandes de vaccins en cours de développement. Près de 8 milliards de doses ont ainsi été précommandées, dont la majorité par les pays les plus riches qui n’ont laissé que des miettes pour les pays pauvres et ont tardé à soutenir l’initiative Covax, lancée par l’OMS et l’alliance GAVI pour favoriser la distribution des vaccins dans les pays en développement.
L’initiative Covax, censée permettre de vacciner 20% de la population de 145 pays en 2021, n’est en mesure de vacciner que 3,3% de cette population au cours du premier semestre 2021. Ainsi, la majorité de la population africaine n’aura pas accès aux vaccins avant 2022 et la majorité de la population d’une douzaine de pays africains les plus pauvres risque de ne pas être vaccinée avant 2024.

Cette répartition inégale des vaccins risque de favoriser la diffusion de variants du coronavirus plus résistants aux vaccins.

Cette répartition inégale des vaccins n’est pas seulement une faute morale qui risque d’augmenter considérablement le nombre de morts dans les pays en développement. Elle risque également de favoriser la diffusion de variants du coronavirus plus résistants aux vaccins. En prolongeant la durée de la pandémie, elle a aussi un coût pour l’économie mondiale, au Nord comme au Sud. Une étude estime ainsi que dans le cas où la totalité de la population des pays développés est vaccinée en l’espace de quatre mois dès 2021, mais que seulement la moitié de la population des pays en développement est vaccinée au début de l’année 2022, le coût pour l’économie mondiale s’élèverait à 3 800 milliards de dollars, dont près de la moitié supportée par les pays développés.

En octobre 2020, l’Inde et l’Afrique du Sud ont proposé à l’OMC de suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins et les traitements contre le coronavirus durant la pandémie, afin de favoriser leur production et leur distribution à des prix abordables dans les pays en développement. Les monopoles octroyés par les droits de propriété intellectuelle permettent en effet aux firmes pharmaceutiques de ne pas partager les connaissances, de fixer les prix de vente selon la loi du plus offrant et de contrôler la production. La suspension des brevets durant la pandémie pourrait dès lors favoriser l’échange des connaissances, l’augmentation des sites de production et la distribution des vaccins à un prix transparent et abordable pour les pays les plus pauvres. Cette proposition, soutenue par une centaine de pays en développement, a cependant été rejetée par les pays développés où siègent les entreprises pharmaceutiques qui détiennent les brevets. Elle sera toutefois une nouvelle fois discutée le 11 mars à l’OMC.

L’ADPIC
Le régime actuel des brevets est défini par l’Accord sur les droits de propriété intellectuelle relatifs au commerce (ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). En vigueur depuis 1995, il garantit un monopole de minimum vingt ans aux détenteurs des droits de propriété intellectuelle. Dans la pratique, des modifications mineures permettent de prolonger ce délai en déposant des brevets additionnels.

Rédigé sous les conseils d’une douzaine de dirigeants de firmes transnationales américaines (comme Pfizer, IBM ou Microsoft), l’ADPIC avait été influencé par un intense lobbying

Rédigé sous les conseils d’une douzaine de dirigeants de firmes transnationales américaines (comme Pfizer, IBM ou Microsoft), l’ADPIC avait été influencé par un intense lobbying. En particulier, le président de Pfizer de l’époque, Edmund Pratt, qui avait par le passé conseillé les Administrations Carter et Reagan en matière commerciale, avait cofondé en 1986 l’IPC (Intellectual Property Committee), qui joua par la suite un rôle décisif de lobbying en coalisant les entreprises américaines, européennes et japonaises qui militaient pour renforcer les droits de propriété intellectuelle dans le commerce mondial.

L’ADPIC représentait en 1995 un renforcement multilatéral sans précédent des droits de propriété intellectuelle. Il permettait d’élargir à l’échelle mondiale le régime qui avait été renforcé aux Etats-Unis et dans les autres pays occidentaux à partir des années 1980. En décembre 1980, le Congrès des Etats-Unis adopta la loi bipartisane Bayh-Dole permettant aux entreprises privées de breveter les innovations financées par des fonds publics fédéraux, y compris en matière de santé. En 1982, le Congrès établissait une cour d’appel pour régler les différends en matière de brevets, dont les décisions permirent d’élargir sensiblement le champ d’application du régime de propriété intellectuelle. L’adoption de l’ADPIC faisait du régime occidental la nouvelle norme internationale en matière de brevets. Avant l’adoption de l’ADPIC, l’Inde avait par exemple développé une industrie pharmaceutique sans autoriser les brevets sur les médicaments (la législation indienne limitait les brevets aux processus).

Les effets néfastes de l’ADPIC en matière de santé dans les pays en développement apparurent toutefois rapidement au sujet de la lutte contre la pandémie du Sida

Les effets néfastes de l’ADPIC en matière de santé dans les pays en développement apparurent toutefois rapidement au sujet de la lutte contre la pandémie du Sida. En 1996, le Brésil fut poursuivi par les Etats-Unis devant l’Organe de règlement des différends de l’OMC pour avoir produit localement un traitement contre le Sida protégé par des brevets. En 1998, le Gouvernement sud-africain décida à son tour de passer outre les brevets sur les antirétroviraux, qui les rendaient inabordables pour les populations africaines – qui représentaient pourtant 90% des victimes dans le monde. En effet, le traitement commercialisé aux Etats-Unis depuis 1996 et protégé par des brevets coûtait près de 10 000 dollars par an et par personne. En réaction, 41 firmes pharmaceutiques décidèrent d’attaquer l’Afrique du Sud pour exiger qu’elle respecte les droits de propriété intellectuelle. La vague de réprobation fut telle dans l’opinion publique internationale, en particulier suite à la Conférence de Durban en 2000, que les firmes pharmaceutiques préférèrent finalement retirer leur plainte. L’Afrique du Sud put ainsi commercialiser des antirétroviraux produits en Inde pour un prix de 350 dollars par an et par personne, qui continua par la suite de baisser jusqu’à 100 dollars en 2010.

En 2001 à Doha, la conférence ministérielle de l’OMC tira les leçons du cas sud-africain et s’engagea à favoriser l’accès aux médicaments dans les pays en développement victimes de crise sanitaire. Cet engagement déboucha en août 2003 puis en décembre 2005 sur l’octroi de dérogations permettant aux pays en développement en situation de grave crise sanitaire d’imposer à certaines conditions des licences obligatoires aux firmes pharmaceutiques pour fabriquer (ou importer) des versions génériques de médicaments. La Thaïlande fut le premier pays à émettre une telle licence obligatoire en 2006.

LES ACCORDS ADPIC+
Alors que des flexibilités étaient obtenues par les pays en développement dans le cadre de l’OMC, les pays industrialisés cherchaient dans le même temps à les réduire dans le cadre d’accords commerciaux bilatéraux comportant un volet « ADPIC+ », visant un élargissement des droits de propriété intellectuelle. En particulier, les accords bilatéraux de libre-échange négociés par les Etats-Unis avec les pays en développement (Maroc, Chili, Jordanie, Amérique centrale, etc.) ont systématiquement cherché à renforcé les brevets du secteur pharmaceutique (prolongement de la durée des brevets, obligation de conditionner la fabrication d’un générique à l’accord du détenteur du brevet, etc.). Comme le dénonça un rapport du Congrès des Etats-Unis, « contrairement aux principes de la déclaration de Doha, les dispositions des accords de libre-échange privilégient les intérêts financiers des grandes multinationales de l’industrie pharmaceutique aux dépens de la capacité des pays en développement à affronter les problèmes de santé publique ». L’Union européenne a également introduit un chapitre « ADPIC+ » dans les nombreux accords commerciaux qu’elle a négociés au nom des Etats membres – comme dans le cas du CETA avec le Canada ou du projet d’accord avec le Mercosur.

Les droits de propriété intellectuelle ont ainsi été renforcés dans le cadre des dizaines d’accords commerciaux bilatéraux intégrant un volet « ADPIC + »

Les droits de propriété intellectuelle ont ainsi été renforcés dans le cadre des dizaines d’accords commerciaux bilatéraux intégrant un volet « ADPIC + ». Cette politique a mené à un nombre croissant de brevets d’une durée de plus en plus longue dans des domaines toujours plus vastes. Paradoxalement, la négociation des accords de « libre-échange » a ainsi de plus en plus porté sur le renforcement des droits de propriété intellectuelle octroyant un pouvoir de monopole aux firmes détentrices des brevets. Comme le souligne l’ancien économiste en chef de la Banque mondiale, Joseph Stiglitz, « les grandes compagnies ont fait campagne avec succès pour obtenir des changements dans les droits de propriété intellectuelle qui ont accru leur pouvoir de marché ».

Les Big Pharma dépensent plus en dividendes et en rachat d’actions qu’en recherche et développement

Les droits de propriété intellectuelle représentent une part croissante des profits des Big Pharma. Entre 2000 et 2018, la valeur de ces « actifs intangibles » est passée de 13% à 49% de la totalité des actifs des dix principales firmes pharmaceutiques. Une part croissante de ces profits a été versée aux actionnaires plutôt qu’investie dans la recherche – à un tel point que les grandes firmes pharmaceutiques dépensent plus en dividendes et en rachat d’actions qu’en recherche et développement. La stratégie des Big Pharma vise à acquérir des entreprises innovantes pour tirer bénéfice de leurs brevets. Selon l’expression du CEO de Pfizer, Albert Bourla, les droits de propriété intellectuelle représentent le « sang du secteur privé » qui, loin de représenter un obstacle à la réponse à la pandémie, est au contraire ce qui a mené à la solution des vaccins.

L’ENJEU DE L’INNOVATION
Le système moderne des brevets a été instauré à la fin du XVIIIe siècle, dans la foulée des révolutions aux Etats-Unis et en France, dans le but de protéger les droits de propriété des inventeurs. Toutefois, les remèdes pharmaceutiques n’ont pas toujours été brevetables. Au contraire, ils ont longtemps été exclus du régime des brevets – a fortiori lorsqu’ils bénéficiaient de financements publics. Ce fut par exemple le cas en France à partir de 1844 et durant plus d’un siècle – le droit des brevets des médicaments n’a totalement intégré le droit commun qu’en 1978. Par conséquent, « Pasteur n’a pu breveter aucun vaccin », sans que cela ne bride pour autant son inventivité. Dans le même esprit, lorsque Jonas Salk a inventé le vaccin contre la polio en 1955, il a refusé de le breveter, arguant qu’on ne pouvait pas « breveter le soleil ».

L’argument du secteur pharmaceutique est au contraire que l’innovation dépend de son financement via le régime des brevets

Aujourd’hui, l’argument du secteur pharmaceutique est au contraire que l’innovation dépend de son financement via le régime des brevets. Pourtant, en garantissant des monopoles pendant au moins vingt ans, les brevets ont tendance à réduire les incitants à investir dans la recherche et à partager les connaissances, ce qui pèse négativement sur l’innovation. Comme le résume Joseph Stiglitz, « certaines données indiquent que notre régime actuel de droits de propriété intellectuelle ne se limite pas à faire monter les prix : il étouffe l’innovation ».

La rapidité avec laquelle les vaccins contre la Covid-19 ont été développés semble d’ailleurs démontrer que les financements publics ont joué un rôle plus décisif que les brevets pour stimuler l’innovation. L’industrie pharmaceutique privilégie traditionnellement le développement de médicaments « blockbusters » garantissant des profits importants à long terme, plutôt que les vaccins permettant une immunisation contre les maladies, dont certaines sont en outre localisées dans les pays en développement où le pouvoir d’achat des populations est faible. C’est pourquoi les industries pharmaceutiques ne se sont pas empressées de développer un vaccin contre les coronavirus comme le SARS et le MERS, qui n’avaient affecté que des pays en développement.

L’OMS décompte pas moins de 70 vaccins en phase de développement clinique et 181 autres vaccins en phase de développement préclinique

La donne a toutefois changé dans le cas de la Covid-19 suite aux investissements colossaux des Etats et à l’accélération des procédures d’autorisation qui ont permis aux laboratoires pharmaceutiques du monde entier de développer des recherches et des lignes de production sans risque financier. L’OMS décompte pas moins de 70 vaccins en phase de développement clinique et 181 autres vaccins en phase de développement préclinique. Dès la fin de l’année 2020, on décomptait 13 vaccins en phase 3 d’essai clinique – dont 5 vaccins chinois financés par Pékin et le vaccin Spoutnik V financé par Moscou.

Les vaccins commercialisés par les entreprises occidentales ont bénéficié d’importants financements publics.

Les vaccins commercialisés par les entreprises occidentales ont bénéficié d’importants financements publics. Dans le cas du vaccin de Moderna, il a certes bénéficié du capital investissement et de son introduction en bourse en 2018, mais aussi des financements de la Défense américaine sur l’ARN messager, du partenariat avec l’Université d’Harvard et, plus récemment, des financements du Gouvernement des Etats-Unis, qui a d’abord dépensé 483 millions de dollars pour la recherche et les phases 1 et 2 des essais, puis 472 millions de dollars supplémentaires pour la phase 3. Le vaccin de Pfizer a été développé par BioNTech, qui a notamment bénéficié d’un partenariat avec l’Université de Mayence et d’un financement du Gouvernement allemand de 375 millions d’euros. Le vaccin d’Astra Zeneca a quant à lui été développé par l’Institut Jenner de l’Université d’Oxford, qui avait développé des recherches sur un vaccin contre le MERS. Il a bénéficié de plus de 2 milliards de dollars de financements publics américains et européens dans la recherche et les commandes.

Les grands laboratoires pharmaceutiques n’ont bénéficié que de 18% de ces financements, alors que 71% ont été accordés à des PME et des « midcaps » qui sont les véritables moteurs de l’innovation

Bien que le manque de transparence des contrats rende difficile l’estimation totale des financements publics, la fondation kENUP estime que les gouvernements ont dépensé au moins 93 milliards d’euros en moins d’un an, dont 95% consacrés aux vaccins et 93% accordés dans le cadre de garanties de marché, qui consistent à financer les coûts initiaux des fabricants de vaccins en échange du droit d’acheter un nombre déterminé de doses de vaccins. Les Etats-Unis concentrent à eux seuls 32% de ces financements publics destinés aux producteurs de vaccins, contre 24% pour l’UE et 13% pour le Japon et la Corée du Sud. Il est intéressant de noter que les grands laboratoires pharmaceutiques n’ont bénéficié que de 18% de ces financements, alors que 71% ont été accordés à des PME et des « midcaps » qui sont les véritables moteurs de l’innovation. La stratégie des Big Pharma consiste à acquérir ces « pépites » innovantes et à organiser la production, la logistique et le marketing des traitements que ces dernières ont inventés.

L’ENJEU DES CAPACITÉS DE PRODUCTION
Un autre argument avancé contre la proposition de suspendre les droits de propriété intellectuelle sur les vaccins durant la pandémie est que cela ne règlerait pas les problèmes de capacités insuffisantes de production. S’il est vrai que développer une ligne de production est complexe, cela peut se faire en quelques mois, comme cela a été démontré en 2020, lorsque l’industrie pharmaceutique a développé des chaînes de production des vaccins en cours de développement. BioNTech a par exemple développé une chaîne de production en moins de cinq mois. Si la proposition de l’Inde et de l’Afrique du Sud avait été acceptée dès octobre dernier, un temps précieux aurait été gagné.

Certes, les firmes qui produisent et distribuent les vaccins contre la Covid-19 sont concentrées dans les pays riches et émergents (Etats-Unis, Europe, Inde, Chine, etc.). Peu de firmes sont localisées en Amérique latine et en Asie du Sud-Est, et aucune en Afrique et en Asie centrale. Toutefois, les pays en développement ne sont pas démunis. L’Inde est par exemple le plus important producteur mondial de vaccins et le Serum Institute of India (SII) est un géant du secteur qui a noué un partenariat avec AstraZeneca pour la production de son vaccin. Des capacités de production pourraient en outre être développées si la barrière légale des brevets était levée – d’autant que les vaccins ARN messagers, sur lesquels travaillent également des entreprises indiennes et chinoises, sont plus faciles à produire, comme l’illustre le fait que le vaccin de Moderna a été produit par l’entreprise chimique suisse Lonza qui n’était pas spécialisée dans la production de vaccins. La suspension des brevets favoriserait le développement des capacités de production à moyen terme – ce qui pourrait s’avérer d’une grande utilité si le coronavirus se transforme en maladie endémique qui nécessite de continuer à vacciner la population de manière continue.

L’UE a davantage investi dans les commandes que dans le développement des vaccins – contrairement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni – et s’est rendue dépendante de l’industrie pharmaceutique

En revanche, la suspension des droits de propriété intellectuelle ne permettrait pas de régler à court terme les problèmes rencontrés par l’Union européenne, qui a vu les livraisons promises revues à la baisse. Alors que l’UE concentre 20% des précommandes mondiales de vaccins (contre 15% pour les Etats-Unis et 5% pour le Royaume-Uni), elle s’est retrouvée victime des capacités de production trop faibles des Big Pharma par rapport à leurs engagements. Humiliée de voir le Royaume-Uni servi en priorité par AstraZeneca et présenter ce privilège comme une première illustration des bienfaits du Brexit, l’Union européenne a réagi durement, non seulement envers AstraZeneca, mais aussi envers le Royaume-Uni, en instaurant un mécanisme de contrôle des exportations et en envisageant maladroitement de rétablir la frontière entre les deux Irlande. Si la coordination européenne des commandes de vaccins a permis d’éviter la compétition nationaliste entre les Etats membres en négociant des prix identiques en leur nom, l’UE a davantage investi dans les commandes que dans le développement des vaccins – contrairement aux Etats-Unis et au Royaume-Uni – et s’est rendue dépendante de l’industrie pharmaceutique – en lui laissant les droits de propriété intellectuelle.

Ces droits permettent aux Big Pharma de négocier les prix dans l’opacité et au cas par cas, sans prise en compte de l’intérêt général. Moderna et Pfizer n’ont pas caché leur intention d’accumuler un maximum de profits. Alors que l’Université d’Oxford avait annoncé ne pas vouloir faire de profits sur les ventes de son vaccin, son partenariat avec AstraZeneca semble avoir changé la donne. Certes, le prix de ce vaccin est nettement plus faible que celui de Pfizer ou Moderna, mais l’Afrique du Sud, qui avait commandé 1,5 million de doses à AstraZeneca, a dénoncé devoir payer plus du double du prix payé par l’UE pour le même vaccin – qui s’est finalement révélé insuffisamment efficace contre le variant sud-africain et a été transféré à l’Union africaine. Dans un contexte de production limitée et de demande croissante, ce sont les pays en développement qui souffrent le plus de la hausse des prix.

UN BIEN PUBLIC MONDIAL
Répondre efficacement à une pandémie comme la Covid-19 nécessite de disposer d’un cadre multilatéral permettant de développer et produire le plus rapidement possible les vaccins et les autres traitements en quantité suffisante, puis de les distribuer en priorité aux populations qui en ont le plus besoin. Or, si les importants financements et soutiens publics octroyés dans le cadre de partenariats public-privé ont permis de développer rapidement des vaccins, les monopoles dont disposent les industries pharmaceutiques qui détiennent les brevets impliquent que les capacités de production sont limitées et que la distribution s’opère selon la loi du plus offrant. Il résulte de ce nationalisme vaccinal que les personnes en bonne santé des pays développés ont de facto la priorité sur les personnes vulnérables des pays en développement.

Les personnes en bonne santé des pays développés ont de facto la priorité sur les personnes vulnérables des pays en développement.

Il existe certes des flexibilités dans le cadre de l’ADPIC de l’OMC qui permettent le recours à des licences obligatoires. Plusieurs pays ont d’ailleurs émis des licences obligatoires ou modifié leur législation pour favoriser l’octroi de telles licences dès le début de la pandémie pour favoriser l’accès aux traitements. Ces flexibilités n’immunisent toutefois pas les pays en développement contre une plainte d’un Etat membre ayant une lecture différente des règles de l’OMC. C’est pour se prémunir contre ce cas de figure que les pays en développement demandent une exception générale à l’OMC.

La Chine, mais aussi la Russie et l’Inde, utilisent la « diplomatie des vaccins » pour pallier le manque de réactivité des pays riches et assurer l’approvisionnement des pays en développement – en cherchant à renforcer au passage leur « soft power ».

Face aux problèmes d’approvisionnement, plusieurs initiatives ont été entamées. L’industrie pharmaceutique coopère pour développer ses capacités de production. Par exemple, l’entreprise française Sanofi collabore avec Pfizer pour mettre son vaccin en flacon, ce qui ne nécessite pas d’acheter directement la licence et ne remet pas en cause le régime des droits de propriété intellectuelle. Le ralliement tardif des Etats-Unis à l’initiative Covax, que l’Administration Trump avait refusé de soutenir, devrait permettre de progressivement atteindre les objectifs fixés, mais cela ne permettra au mieux de vacciner que 20% de la population des pays bénéficiaires en 2021. Covax fonctionne en outre comme une centrale d’achat et doit dès lors, comme les autres Etats, négocier les prix avec les entreprises pharmaceutiques. Dans ce contexte de compétition mondiale pour l’accès aux vaccins, la Chine, mais aussi la Russie et l’Inde, utilisent la « diplomatie des vaccins » pour pallier le manque de réactivité des pays riches et assurer l’approvisionnement des pays en développement – en cherchant à renforcer au passage leur « soft power ».

La suspension des droits de propriété intellectuelle ne règlerait pas tous les problèmes de pénuries à court terme, mais elle favoriserait l’innovation, la production et l’accès aux vaccins et aux traitements à moyen terme

La suspension des droits de propriété intellectuelle ne règlerait pas tous les problèmes de pénuries à court terme, mais elle favoriserait l’innovation, la production et l’accès aux vaccins et aux traitements à moyen terme. D’une part, la mise en commun des connaissances dans le domaine public favoriserait la recherche et l’innovation – comme cela a été le cas pour le séquençage du génome du SARS-CoV-2 au début de la pandémie. D’autre part, la levée des barrières légales permettrait d’augmenter les capacités de production. Enfin, la transparence sur les prix permettrait d’assurer une distribution mondiale des vaccins correspondant aux besoins. Cela n’empêcherait pas l’industrie pharmaceutique de faire des profits, mais cela les limiterait pour garantir que des monopoles ne freinent pas la lutte contre la pandémie – qui ne sera enrayée que lorsque ce sera le cas partout dans le monde.

Source: https://www.cncd.be/covid-19-enjeu-brevets-vaccins-omc-pays-developpement