Les activités en plein air ont la cote depuis le début de la pandémie du COVID. Gestion des risques sanitaires oblige, beaucoup ont pris l’habitude de remplacer l’hebdomadaire gueuleton-ciné-bières par des balades en pleine nature, en forêt entre autres. Cette affluence nouvelle de promeneurs dans les milieux forestiers n’aura pas échappé à une petite bestiole tapie dans la végétation : la tique !
Ce petit acarien est un parasite externe qui, une fois accroché, perfore la peau d’hôtes divers, dont l’homme, afin d’atteindre le flux sanguin dont il se nourrit. Les morsures de tiques, majoritairement bénignes, peuvent, dans certains cas, avoir des conséquences lourdes sur la santé. En effet, certaines tiques (environ 10% en Belgique) sont vectrices d’une maladie neurodégénérative, bien connue des forestiers et des amoureux de la randonnée : la maladie de Lyme (ML).
Depuis plusieurs années, le monde scientifique nous alerte sur l’impact potentiel des changements climatiques face à l’émergence de ce type de maladies. Plusieurs études récentes soulignent déjà l’augmentation de l’incidence de la ML en Europe et en Amérique.
Qu’est-ce que la maladie de Lyme ?
La tique n’est pas toujours le seul organisme actif lors d’une morsure. Un certain pourcentage d’entre elles sont vectrices de différents types de pathogènes transmissibles à l’homme. On parle alors d’une maladie vectorielle transportée par des insectes hématophages qui la véhiculent activement d’un hôte à l’autre.
Dès lors, elle se développe par l’intermédiaire de plusieurs entités biologiques : l’agent pathogène, le vecteur et les espèces hôtes :
- L’agent pathogène est une bactérie spirochète du genre Borrelia sp.
- Le vecteur est la tique qui transporte le pathogène
- Les hôtes sont les organismes que la tique peut potentiellement parasiter comme les rongeurs, les cervidés mais également l’humain et ses animaux de compagnie.
Figure 1 : Schéma reprenant le cycle de transmission de la ML avec l’agent pathogène (B.Burgdorferi sl), la tique et les espèces hôtes (ici : rongeurs, cervidés et humains).
Dans les stades précoces, la maladie de Lyme peut débuter par un syndrome grippal (60 à 80% des cas), avec une éruption cutanée. L’érythème migrant est la manifestation la plus caractéristique d’une infection. Ce dernier apparaît entre 2 et 30 jours après la morsure. Il n’est cependant pas systématique. Il s’agit d’un anneau rouge sur la peau qui s’étend progressivement à partir de l’endroit de la morsure, avec souvent un éclaircissement au centre.
A ce stade, la maladie peut être traitée de manière efficace par la prise d’antibiotiques spécifiques pendant plusieurs semaines.
Si elle n’est pas détectée suffisamment à temps, l’infection peut alors se transformer en une maladie chronique qui atteint majoritairement les articulations et le système nerveux. Plus rarement, elle peut aussi s’attaquer au cœur. Les manifestations tardives peuvent être très handicapantes et avoir un impact important sur la vie des personnes atteintes (paralysie faciale, douleurs articulaires aigues et chroniques, etc.)
Bien que difficile à diagnostiquer, la maladie de Lyme est la maladie vectorielle la plus répandue en Europe.
Comment s’en prémunir ?
A ce jour, aucun vaccin efficace n’est présent sur le marché. Le Lymerix, ancien vaccin commercialisé, a été retiré de la vente en 2002 pour de multiples raisons.
La prévention reste le moyen le plus efficace pour lutter contre cette maladie à l’échelle d’une population. Se prémunir des morsures en mettant des vêtements couvrants dans les lieux risqués et enlever rapidement, avec soin, les tiques accrochées sont deux mesures préventives essentielles pour se protéger.
Le risque de transmission de la bactérie augmente fortement avec la durée d’attachement de la tique infectée. Il est assez faible lorsque la tique est retirée dans les 12 à 24 heures. La probabilité de développer la maladie est estimée à environ 7 % si elle reste accrochée moins de 48 heures. Cette probabilité est doublée si elle reste accrochée une semaine.
Enfin, une infection passée, ou encore active, ne confère aucune immunité protectrice. La vigilance est de mise même lorsqu’on a déjà été contaminé et traité.
Comment évolue-t-elle ?
Depuis ces vingt dernières années, l’incidence de la maladie de Lyme est en augmentation en Europe et en Amérique. Une étude récente réalisée par l’Université de Louvain (KUL) confirme cette tendance en Europe de l’Ouest. Elle se base sur la collecte d’informations provenant d’un ensemble d’études réalisées sur le sujet de 1989 à 2018.
Cette augmentation est particulièrement visible dans les pays nordiques où l’on constate que la limite de distribution géographique de la maladie s’étend progressivement vers les hauteurs de la Scandinavie. Une tendance similaire est observée depuis plusieurs années aux Etats-Unis et au Canada.
Certains pays, au centre de l’Europe de l’Ouest, montrent une tendance moins marquée voire une stabilisation du nombre de cas.
A contrario, les pays du Sud de l’Europe, comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal, présentent une diminution de l’incidence de la ML.
Cependant, le jeu de données sur lesquelles ces analyses sont basées est très hétérogène selon les pays considérés. Les pays du Sud ont, par exemple, assez peu de données associées à l’incidence de la ML. Ces tendances devraient donc être précisées par un monitoring plus précis par pays.
Figure 2 : Carte reprenant l’incidence de la ML (en couleur) et la tendance moyenne par année de celle-ci pour les pays d’Europe de l’Ouest (flèches). Les flèches représentent l’évolution de la tendance moyenne par pays. Les flèches montantes témoignent d’une augmentation moyenne alors que les flèches descendantes démontrent une diminution du nombre de cas annuel.
Ces données sont à mettre en perspective avec la difficulté de poser le diagnostic d’une maladie dont les symptômes peuvent initialement passer inaperçus, fortement varier d’une personne à l’autre et se confondre avec d’autres pathologies.
En outre, l’augmentation des cas détectés peut, partiellement, résulter d’un nombre plus important de tests, d’une amélioration des techniques de testing mais aussi de campagnes de sensibilisation plus efficaces.
Quelles sont les causes de cette évolution ?
Cette émergence récente semble résulter de perturbations environnementales liées à l’activité humaine et ne serait pas due à une apparition de souches nouvelles.
Les modèles prédictionnels scientifiques prévoient une accentuation de ces tendances selon différents scénarii d’augmentation globale des températures. Ces prédictions soulignent l’influence des changements climatiques mais démontrent également l’impact central de certains facteurs socio-économiques.
Ces questions épidémiologiques sont particulièrement difficiles à appréhender. La transmission de l’agent infectieux entre les animaux hôtes et l’homme résulte d’un processus complexe et multifactoriel :
- Les paramètres environnementaux (température, humidité, etc.), et leur hétérogénéité spatio-temporelle, ont un impact direct sur les processus biologiques des espèces impliquées dans la transmission, qu’elles soient hôtes ou véhicules.
En outre, les activités humaines (facteurs socio-économiques), ont également un effet non négligeable sur l’abondance et la distribution de ces espèces. L’utilisation des terres et les activités sociales qui y prennent place influencent le développement des espèces hôtes. Celles-ci peuvent instaurer des contacts potentiels propices à la transmission.L’évolution de la superficie relative des terres forestières et agricoles constitue, par exemple, un facteur d’influence à l’échelle du territoire tout comme la fragmentation des milieux naturels. Le développement des cordons d’urbanisation en milieu rural a aussi pour effet d’augmenter les contacts potentiels. Parmi les activités sociales, les activités en plein air et la mobilité en lien avec le tourisme peuvent avoir le même effet.
Figure 3 : Schéma reprenant les facteurs d’influence, environnementaux et socio-économiques, concernant l’incidence des maladies transmises par les tiques (Li 2019).
Quel est l’impact des changements climatiques ?
Les changements climatiques globaux, et leur influence sur les paramètres environnementaux locaux (température, humidité, etc.), ont un impact sur les espèces impliquées dans le cycle de transmission de la ML. Ils peuvent, de ce fait, jouer un rôle dans l’incidence de cette pathologie.
Quel est l’impact sur la tique ?
Les tiques sont particulièrement sensibles à la température et au taux d’humidité. En effet, ces acariens pullulent dans les zones tempérées et humides, avec une préférence pour les forêts de feuillus. Mais on peut aussi les trouver dans des hautes herbes, des fougères, des tas de feuilles mortes, des buissons, des haies, etc.
Dès lors, dans nos régions, elles sont plus actives au printemps et en automne, lorsque les conditions de température et d’humidité sont favorables. Le pic d’apparition de maladie chez l’homme se situe d’ailleurs entre mai et octobre. Lorsque les températures deviennent basses, ou lors d’épisodes de sécheresse, elles rentrent en diapause et deviennent inactives.
L’augmentation globale des températures a plusieurs effets sur ces organismes. Celle-ci engendre une accélération du développement en individu adulte apte à la reproduction. En outre, l’adoucissement des hivers a pour effet de prolonger la période d’activité des tiques. Durant l’été, la multiplication des périodes de sécheresse peut engendrer une concentration de ces acariensdans des habitats plus ombragés et humides, comme les surfaces forestières ou, à plus petite échelle, les haies et buissons.
Dans l’ensemble, le risque d’exposition chez les humains en raison des changements climatiques est plus étroitement lié aux hivers plus courts qu’aux périodes de chaleur extrême de l’été.
A l’échelle du globe, le réchauffement climatique induit des conditions propices à l’établissement de populations de tiques à des altitudes et latitudes plus élevées qu’auparavant. Cette extension est corrélée à l’augmentation de l’incidence de la ML dans les régions nordiques décrite précédemment.
Impacts sur les espèces hôtes
Les cycles de vie des animaux hôtes comme les rongeurs ou les chevreuils sont également rythmés par la saisonnalité des facteurs environnementaux.
De manière générale, la dynamique des populations de rongeurs constituent un bon indicateur pour évaluer l’incidence de ce type de maladie vectorielle. Ces espèces peuvent constituer des réservoirs importants de Borrelia et sont soumises à de fortes variations de densité de population. Ces fluctuations sont, notamment, liées à la disponibilité des ressources alimentaires. Elles-mêmes fortement impactées par les conditions climatiques.
Certaines études soulignent, par exemple, le lien entre une production importante de glands en forêt, due, notamment, à des conditions climatiques favorables, à des pullulations de rongeurs. Cette prolifération est suivie, deux ans plus tard, par une densité accrue de tiques infectées par des bactéries Borrelia.
Dans les pays nordiques européens, l’émergence de la maladie de Lyme semble être aussi liée à une extension de la répartition des chevreuils vers le nord. Pourtant dans le cas des cervidés, c’est davantage la présence, et non l’abondance, qui semble avoir un impact sur la diffusion de la ML. En d’autres termes, c’est l’apparition de cervidés dans un milieu qui aurait un impact et pas les pics de pullulations.
L’état des écosystèmes se traduit, notamment, par la dynamique des populations qui le compose. Des pics de pullulations de certaines espèces, comme des rongeurs ou des cervidés, peuvent être le signe d’un déséquilibre des chaînes alimentaires. Ces pullulations peuvent aussi être engendrées par des pratiques anthropiques, comme le nourrissage du gibier, dans le cadre des activités de chasse. Ces actions peuvent fortement influencer les populations vectrices de certains pathogènes. La préservation des écosystèmes, forestiers entre autres, constitue un moyen transversal de mitiger l’incidence de maladies vectorielles.
Diversité des espèces impliquées
Au-delà de la chaîne « de base » pathogène-vecteur-hôte, chacun de ses maillons présente une diversité propre.
Plusieurs espèces de bactéries peuvent induire la ML : elle peut être causée par 9 espèces différentes du groupe bactérien des Borrelies (Borrelia burgdorferi sl). Réparties sur la planète, chacune d’elle présente une aire géographique, des hôtes préférentiels et un impact particulier sur la santé humaine. En Belgique, trois espèces ont été identifiées : B. afzelii, B.garinii et B. burgdorferi s.s.
Ces dernières semblent causer des symptômes différents. Ainsi, B. afzelii est plutôt associée à des manifestations cutanées, B. garinii à des symptômes neurologiques et B. burgdorferi s.s. à de l’arthrite.
Au sein d’une même espèce, il existe également des souches génétiques qui peuvent posséder des propriétés qui varient entre elles. Certaines souches sont plus pathogènes que d’autres pour l’homme.
De plus, à travers le monde, 4 espèces de tiques différentes peuvent transporter les bactéries Borrelia. En Europe, le vecteur est principalement l’espèce de tique Ixodes ricinus.
Enfin, sur le continent européen, la tique se nourrit sur plus de 300 espèces animales. Certaines constituent de puissants réservoirs de multiplication des Borrelia, d’autres de très mauvais.
Cette diversité, qui prend place à l’échelle du globe, constitue un élément clé pour comprendre l’impact potentiel des changements climatiques sur l’incidence de la ML car chacune de ses espèces présente une écologie propre et sera, dès lors, impactée différemment par ceux-ci. Une variation des conditions climatiques locales pourraient potentiellement engendrer des migrations de ces espèces hôtes, entrainant avec eux leurs pathogènes, vers de nouvelles contrées.
Conclusion
Au vue des changements climatiques qui se profilent, il est primordial d’évaluer de manière transversale leurs impacts potentiels sur l’incidence de maladies vectorielles en extension comme la maladie de Lyme.
Cette pathologie peut lourdement impacter le quotidien des personnes atteintes. En outre, l’impact économique des maladies transmises par les tiques, et de la maladie de Lyme en particulier, est considérable. Le coût annuel est estimé à 20 millions d’euros pour les Pays-Bas et 80 millions d’euros pour l’Allemagne.
Ces réflexions épidémiologiques mettent en lumière les manières dont nous interagissons avec le vivant et soulignent l’urgence des questions climatiques. Ces dernières siègent au cœur de l’actualité. Espérons qu’elles inciteront le monde politique à œuvrer davantage et de manière concrète à une réduction drastique des émissions de CO2.
Références
Li and al. 2019. « Lyme Disease Risks in Europe under Multiple Uncertain Drivers of Change. » Disponible sur : https://ehp.niehs.nih.gov/doi/full/10.1289/EHP4615
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Bouchard and al. 2019. « Augmentation du risque de maladies transmises ». Disponible sur : https://www.researchgate.net/publication/332235953_Augmentation_du_risque_de_maladies_transmises_par_les_tiques_dans_le_contexte_des_changements_climatiques_et_environnementaux
Couper and al. 2020. « Impact of prior and projected climate change on US Lyme disease incidence ». Disponible sur : https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/gcb.15435
Site de Bruxelles Environnement. « La maladie de Lyme » issue des données de l’IBGE : « Interface Santé Environnement ». Disponible sur : La maladie de Lyme (environnement.brussels)
Site de Sciensano : https://www.sciensano.be/fr/sujets-sante/maladie-de-lyme
Source: https://www.iew.be/maladie-de-lyme-et-rechauffement-climatique-une-histoire-croisee/