Des papiers à Noël ou à la Saint-Glinglin ? “Un homme vaut sa parole, ou il ne vaut rien”
Cécile de Blic, Nathalie De Mol, Dominique Mussche, Françoise Nice, José Paquay et Marianne Stasse pour le Collectif de soutien aux ex-grévistes de la faim
Nous sommes plusieurs à avoir accompagné les "sans-papiers" de l’église du Béguinage et des occupations de l’ULB et la VUB pour préparer leurs dossiers de demandes de régularisation après l’accord verbal du 21 juillet. Vendredi, nous avons écouté avec attention les explications du Secrétaire d’Etat Sammy Mahdi devant les députés en Commission Intérieur. Selon lui, il n’y a jamais eu de négociations ni d’accord avec les quatre garants pour mettre fin à 56 jours de grève de la faim, éviter des morts et une crise gouvernementale.
Un peu de bon sens suffit : qui pourrait croire que des personnes expérimentées et fiables telles le père Daniel Alliët, les avocats Marie-Pierre De Buisseret, Alexis Deswaef et Mehdi Kassou de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés auraient pris le risque d’embarquer 475 personnes exténuées mais déterminées et leurs soutiens dans une telle méprise ou une imposture ? Nous souhaitons apporter notre témoignage. Il porte sur les faits.
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Dès le 22 juillet, les ex-grévistes de la faim (et de la soif) ont rassemblé toutes les preuves attestant de leur ancrage en Belgique, de leurs liens familiaux et amicaux, de leur participation citoyenne, de traces de travail ou de promesses d’embauche et cela conformément aux lignes directrices convenues dans l’accord verbal du 21 juillet.
Nous avons écouté les ex-grévistes avec autant de respect qu’ils mettaient de confiance et de sérieux à aligner des attestations de leur vie d'"invisibles" : abonnements STIB, lettres de parents et proches, dossiers médicaux, preuves d’inscription dans l’enseignement, dans une association ou à des cours de langue, souches d’achats ou de pharmacie, photos datées… Papier après papier, nous avons vu se déployer sous nos yeux tout un pan de l’économie informelle et le noyau le plus dur d’un système qui exploite les plus faibles. Nous avons entendu des travailleurs et travailleuses réclamer leur droit d’avoir des droits, leur soif de dignité.
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Plusieurs ont des enfants scolarisés et des membres de leur famille dotés de papiers, voire belges. Nous avions sous les yeux les preuves de leur séjour ancien en Belgique, de leur parcours de travail (souvent qualifié) pour des salaires minables. Les hommes ont travaillé et travaillent dans la restauration ou la construction, parfois même comme chefs d’équipe, les femmes dans des secteurs du nettoyage et des soins aux personnes. Souvent des secteurs en pénurie.
À la date du 10 décembre, selon le directeur de l’Office des Etrangers, 67 réponses ont été envoyées, avec 54 "négatifs" et 13 "positifs". On est loin de ce qu’il avait laissé espérer lors de ses entretiens avec les grévistes de la faim. Les réponses négatives sont assorties d’un ordre de quitter le territoire et d’une convocation à l’Office des Étrangers pour organiser un retour dans leur pays d’origine et demander, à partir de là un permis de travail, comme l’a préconisé le secrétaire d’Etat Sammy Mahdi devant les députés. Volontaires ou sous la contrainte, les retours sont difficilement exécutables vu la pandémie, ce qui laisse craindre de nouvelles détentions dans les centres fermés.
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La promesse d’un traitement individuel rapide et humain n’a pas été honorée : les critères présentés comme pouvant favoriser une régularisation sont décrédibilisés. M. a suivi des cours de néerlandais et de français ? Ça lui servira lors de son retour au pays. N. a milité dans une association citoyenne ? Quoi de plus normal si l‘on cherche à s’intégrer ? Quel cynisme bureaucratique !
Les motivations de refus se ressemblent, nous inquiètent et nous révulsent. On est loin de l’impartialité et de l’équité associées au principe de bonne gouvernance. On sent un désir de répression administrative. Et puisqu’il faut une forme de légalité, l’Office des étrangers invoque (en latin !) le principe juridique selon lequel personne ne peut demander réparation pour la situation illégale où il s’est placé. On enferme donc ces êtres humains dans leur situation irrégulière, sans examiner pourquoi ils en sont là après 5 à 20 ans de séjour. La rhétorique utilisée pour justifier les refus de régularisation mériterait elle aussi l’examen des parlementaires. Les personnes "sans-papiers", que nous avons appris à connaître et apprécier, et les dizaines de milliers d’autres du royaume sont des naufragés sur terre ferme.
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Les responsables politiques et les spécialistes du droit des étrangers le disent : la loi du 15/12/80 est devenue une usine à gaz, une machine à refouler plutôt qu’à organiser "des migrations sûres, ordonnées et régulières" dans l’esprit du Pacte de Marrakech de 2018. Il y a bien des critères, mais ils ne sont pas publics et dépendent du pouvoir discrétionnaire du pouvoir exécutif et de son administration. Selon le politologue Pascal Debruyne : "Ce ne sont pas les gens qui sont 'illégaux'. Ce sont les lois qui créent l’illégalité". Sammy Mahdi parle de revoir le code de la migration en Belgique. Mais en attendant ?
Pour nous, les ex-grévistes de la faim de l’USPR (Union des Sans-Papiers pour la Régularisation) et les milliers d’autres "sans-papiers" sont des concitoyen.ne.s de fait. Ils sont aussi victimes de préjugés racistes ou xénophobes, et d’un système qui établit des passeports faibles et des passeports forts, ignorant ainsi les droits humains fondamentaux.
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Il ne s’agit pas seulement de droits, d’éthique, de réalisme politique, mais aussi de rationalité économique. Les ministres Bernard Clerfayt à Bruxelles, Christie Morreale et Jean-Luc Crucke en Wallonie, les syndicats, Actiris et d’autres ont plaidé en faveur d’une régularisation et d’un accès au marché du travail réglementé. Des propositions de loi existent ou se profilent, portées par les "sans-papiers".
Il est urgent de mettre fin à cette crise de manière inventive. Le canton de Genève l’a fait comme le Portugal. L’Irlande s’y apprête, et même si Sammy Mahdi estime que cela ne se concrétisera pas, le nouveau gouvernement allemand annonce une régularisation probatoire d’un an pour les adultes installés depuis plus de cinq ans et trois ans pour les moins de 27 ans*. Pourquoi pas la Belgique ?
*koalitionsvertrag-2021-2025, pp.139-140
Cécile de Blic, Nathalie De Mol, Dominique Mussche, Françoise Nice, José Paquay, Marianne Stasse pour le Collectif de soutien aux ex-grévistes de la faim.