Lettre ouverte à nos gouvernants sur leur responsabilité dans la situation des maisons de repos
La parution du livre « Les Fossoyeurs » a propulsé aux devants de la scène médiatique et politique le scandale de la maltraitance et de l’exploitation éhontée qui affectent le réseau commercial (mais pas seulement) des maisons de repos / de repos et de soins (MR/MRS).
Il a fallu pour cela l’enquête d’un journaliste indépendant, qui a su refuser les 15 millions d’euros qu’un intermédiaire lui offrait discrètement pour acheter son silence.
Depuis, ô miracle, pas un jour sans que les « bonnes âmes » du monde politique et des médias ne crient haro sur le baudet Orpea – oui, vous, nos responsables politiques.
C’est un peu facile !
Car cela fait des années que ces souffrances sont dénoncées, notamment par notre Gang des Vieux en Colère. Hélas, c’était crier dans le désert. Il n’est pire sourd que celui qui ne veut entendre, et cette surdité fut criminelle !
Maintenant que le scandale éclate enfin au grand jour, Mesdames et Messieurs les députés et ministres, vous courez les plateaux TV pour charger le bouc émissaire.
Certes, Orpea, Korian, Armonea, Vulpia et consorts apparaissent aujourd’hui dans toute leur hideur.
Mais qui a livré les Vieilles et les Vieux à la rapacité des financiers ?
Qui a offert les maisons de repos au privé ?
Qui a imposé aux établissements associatifs ou publics une gestion en flux tendu ?
Qui s’est abstenu de soutenir activement les solutions alternatives aux maisons de repos ?
Qui a définancé le secteur social ?
Qui a dévalorisé les métiers de la gériatrie ?
Qui a négligé de former des contingents de personnels compétents et empathiques ?
Qui s’est délesté à bon compte de ses obligations d’enquête et de contrôle des MR/MRS ?
Qui a enterré les dossiers de plainte ?
Qui a refusé d’instaurer des normes quantitatives et qualitatives garantissant le respect de la dignité des humains âgés ?
Vous, alors même que l’argent public contribue largement au financement des requins qui se repaissent de la misère des seniors.
En Wallonie, plus de la moitié des maisons de repos sont dans les mains du privé. À Bruxelles, c’est 65%. En Flandre une grande offensive est lancée pour encourager la privatisation des établissements dépendant encore des secteurs public et associatif.
Mais les maux dénoncés chez Orpea ne sont pas limités au secteur commercial, et la gangrène s’étend au secteur public et au secteur associatif. Pourquoi ? Parce que, pour vous nos gouvernants, gestion lucrative, économies à tout prix, business plans sont devenus les maîtres-mots !
Notre première exigence :
déprivatiser l’hébergement des aînés et le confier aux collectivités locales, tout en (re)finançant le secteur des soins de santé et le soutien aux aînés, à domicile, dans les maisons de repos publiques et dans des structures alternatives favorisant une autonomie maximale.
Ce financement doit servir à améliorer les conditions de vie des Vieilles et des Vieux, pas à enrichir les actionnaires. Tant qu’il existe un secteur commercial, nous exigeons le plafonnement strict des dividendes et des rémunérations des dirigeants.
Notre deuxième exigence :
l’amélioration des conditions de travail et de formation des personnels. Car le bien-être des résidents passe avant tout par la qualité des relations avec le personnel.
Nous dénonçons le manque de personnel, et particulièrement de personnel qualifié, les bas salaires, les horaires coupés, la répétition des contrats à durée déterminée, le recours aux stagiaires, l’insuffisance de la formation. Avec comme conséquences des métiers peu attractifs et les difficultés de recrutement.
Les mauvaises conditions de travail sécrètent la maltraitance ! Beaucoup des personnels souffrent d’être acculés à pratiquer eux-mêmes des maltraitances, par manque de moyens, manque de temps, manque d’encadrement.
La formation est essentielle ! La prestation de soins adaptés aux personnes âgées, surtout aux seniors dépendants, ne s’improvise pas et la bonne volonté ne suffit pas. Il faut éduquer, former, encadrer, sur ce qu’est la maltraitance et sur ce que requièrent la bientraitance et le respect de la dignité des personnes en situation de dépendance.
Il faut que les personnels, de tous niveaux, soient associés à la gestion des établissements, à l’organisation de la vie quotidienne, à l’échange d’informations et d’expériences, afin de créer un milieu de vie optimal pour les résidents comme pour les travailleurs, où familles et proches doivent aussi être bienvenus et trouver place.
Vous, les politiques, qui financez les MR/MRS et qui êtes en charge des échelles de traitement, de la réglementation des conditions de travail, de la formation professionnelle, vous êtes responsables !
Notre troisième exigence :
assurer un contrôle sérieux et inopiné des maisons de repos ! Assumez vos responsabilités !
Comment est-il possible qu’il ait fallu attendre dix ans pour que soit enfin fermée à Tournai une maison de repos où la maltraitance, la torture, étaient de notoriété publique, de l’aveu même des autorités communales ? Comment est-il possible qu’à Grammont on ait envoyé pompiers et policiers pour évacuer d’urgence une maison de repos qui depuis des mois ne jouissait plus de l’habilitation ?
Mesdames et Messieurs les bourgmestres, vous disposez du droit de visite inopinée dans les maisons de repos de votre commune. Combien de fois l’avez-vous exercé ? Affichez l’information sur votre site communal, s’il vous plaît !
Mesdames et Messieurs les députés, certains de vos collègues français réclament un droit de visite inopinée dans les maisons de repos, comme dans les prisons. Cela dit tout ! Et vous, qu’allez-vous faire ?
Nous exigeons que les MR/MRS soient contrôlées sérieusement, que ces contrôles soient répétés et inopinés, et qu’ils soient effectués de nuit comme de jour. Suite à l’explosion récente du scandale, certains d’entre vous, nos gouvernants, vous êtes targués d’avoir fait procéder à des contrôles inopinés chez Orpea. Enfin ! Mais le faites-vous ailleurs ? Quelles suites donnez-vous aux constats de maltraitance ? Et une fois le scandale passé, l’incurie reprendra-t-elle ?
Et qu’est-ce que l’administration contrôle, en fait ? Les normes bureaucratiques ? La distance entre le lit et la fenêtre ? Le nombre de salles de bains ? Ou la réalité du vécu des résidents ? Le temps et l’attention réellement accordés à chacun ? Le temps réellement mis à répondre aux appels ? L’écoute réelle et la patience réelle dans les réponses ?
Les contrôles doivent porter avant tout sur le qualitatif. C’est plus difficile que de remplir une check-list ? Oui, bien sûr, mais c’est ce qui compte le plus dans la vie des résidents.
Mesdames et Messieurs les ministres, nous exigeons la transparence ! Que vous affichiez, sur le site de vos ministères respectifs, à disposition des résidents et des familles, quels contrôles ont été opérés, selon quels critères et quelles modalités, quelles ont été les constatations, et quelle suite a été donnée. Avec le nom des institutions, les dates, les heures.
Il existe dans les MR/MRS des « conseils de résidents ». Quand se réunissent-ils ? Qui est présent ? Les familles et les services sociaux communaux y participent-ils ? Que s’y décide-t-il ? Nous réclamons que ces informations soient centralisées et publiées, sous la responsabilité du ministre et de l’administration !
Notre quatrième exigence :
la constitution d’une commission d’enquête sur les maisons de repos et les maisons de repos et de soins, et la création d’une fonction de Délégué général aux droits des seniors, comme il existe celle de Délégué général aux droits de l’enfant, avec des prérogatives semblables, la garantie d’une parfaite indépendance et les moyens de fonctionner. Que le Délégué puisse être saisi par tout un chacun et puisse se saisir d’initiative, dès que les droits, l’intégrité, le bien-être, la dignité des seniors sont en jeu, et qu’il puisse le cas échéant faire engager des poursuites.
Notre cinquième exigence :
que les résidents des maisons de repos gardent la liberté d’aller et venir, ainsi que celle de recevoir à tout moment les personnes de leur choix, et que leur entourage garde le droit de rendre visite à leur proche, afin que ne soient pas brisés les liens affectifs indispensables au bonheur de chacun.
Mesdames et Messieurs nos gouvernants,
Le scandale Orpea n’est pas la révélation d’une situation neuve, mais la manifestation d’une pathologie endémique, connue depuis longtemps, que vous avez niée farouchement en dépit des évidences. Il vient s’ajouter à tous les scandales concernant la façon dont sont traités les personnes âgées et les seniors dépendants, dont c’est pourtant votre responsabilité d’assurer le bien-être et la dignité !
Inadmissible votre surdité depuis des années sur le sous-financement, l’exploitation, les maltraitances dans les maisons de repos !
Inadmissible l’abandon massif dans lequel vous avez laissé le personnel et les résidents des maisons de repos durant toute la première phase de la pandémie : pas de masques, pas de protections ; pas d’oxygène ; pas d’enquêtes ni de sanctions pour les hôpitaux refusant les résidents atteints du covid, condamnés à mourir d’étouffement, isolés dans leur chambre ; fermeture autoritaire des maisons, interdiction des visites, éviction des médecins traitants, enfermement des résidents. Vous avez laissé mourir les vieux !
Inadmissible votre offensive contre les pensions et l’âge de la retraite : travaillez plus tard, jusqu’à l’épuisement, et tant pis si vous ne pourrez pas profiter de votre pension ; et que ceux qui y arrivent malgré tout survivent avec des pensions de misère, rongées par l’inflation, l’augmentation des loyers, celle du coût de l’énergie !
Inadmissible les brimades et les atteintes à la liberté et à la dignité des personnes bénéficiant de la grapa (garantie de revenu aux personnes âgées), qui atteint tout juste le seuil de pauvreté : interdiction de visiter sa famille ou ses amis à l’étranger plus de 29 jours par an ; menace permanente d’un contrôle par le facteur (procédure suspendue, pas abolie) ; suspension immédiate de l’allocation sans possibilité d’être préalablement entendu.
Les Vieilles et les Vieux ne se laissent plus faire !
Le Gang des Vieux en Colère
est là pour les y aider !
Une version abrégée de cette lettre ouverte a été publiée dans Le Soir du 18 février 2022 https://www.lesoir.be/424917/article/2022-02-18/maisons-de-repos-messieurs-et-mesdames-les-gouvernants-votre-responsabilite-est