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Nouveau rapport du GIEC : l’adaptation et ses limites au cœur de tous les débats

 

Rebecca Thissen 3 mars 2022

Le 28 février 2022, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a dévoilé le deuxième volet de son rapport d’évaluation

. Ce chapitre porte sur les questions de vulnérabilités, d’adaptation et d’impacts des changements climatiques. A l’heure où les catastrophes climatiques extrêmes sont de plus en plus régulières et violentes, ce nouvel apport scientifique doit remettre les questions de l’adaptation (et ses limites) au cœur des politiques climatiques.

L’exercice en cours pour les expertes et experts du GIEC n’est pas des moindres : l’actualisation de leur dernier rapport de synthèse, datant de 2014, pour faire l’état de la science la plus exacte et actuelle sur le dérèglement climatique. Ce travail titanesque de mise à jour comprend plusieurs étapes : la publication de trois chapitres, chacun mené par un des groupes de travail officiel du GIEC, suivie de la publication finale du rapport de synthèse en lui-même, qui reposera sur les apports et les conclusions des trois volets. Le premier chapitre, paru en août dernier, portait sur les bases physiques de la science du climat

. Le troisième, prévu pour avril 2022, portera sur les questions d’atténuation. Enfin, le rapport de synthèse (appelé dans le jargon « Sixth assessment report » ou « AR6 », en anglais) sera publié dans le courant du mois d’août 2022.

Chaque dixième de degré compte

Premier message clé, le second chapitre rappelle avec fermeté que chaque dixième de degré de réchauffement supplémentaire aggravera les menaces pesant sur les humains et les écosystèmes. Même en limitant le réchauffement planétaire à 1,5°C, comme le prévoit l’Accord de Paris, aucune région du monde ne sera épargnée. A titre d’exemple, à +1,5°C, 350 millions de personnes additionnelles souffriront de pénurie d’eau d’ici à 2030 et pas moins de 14 % des espèces terrestres seront menacées par un risque élevé d’extinction. Par ailleurs, si le réchauffement dépasse 1,5°C, même temporairement, des effets beaucoup plus graves et souvent irréversibles se produiront, tels que des tempêtes plus violentes, des vagues de chaleur et des sécheresses plus longues ou une élévation plus rapide du niveau de la mer…

Un deuxième chapitre concentré sur les « vulnérabilités »

Un des apports fondamentaux de ce chapitre est la précision quant à la situation de vulnérabilité face aux changements climatiques. Selon les scientifiques, entre 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent actuellement dans des contextes hautement vulnérables aux changements climatiques. Ces zones sont concentrées dans les petits États insulaires en développement, l’Arctique, en Asie du Sud, en Amérique centrale et du Sud et dans une grande partie de l’Afrique subsaharienne. La vulnérabilité est comprise comme la propension de personnes ou d’écosystèmes à être affectés négativement par les impacts climatiques. Cette notion englobe aussi la question des limites de la capacité d’adaptation aux risques identifiés et donc la susceptibilité de connaître des dommages irréversibles. Les expertes et les experts considèrent également que la vulnérabilité de l’humain et celle des écosystèmes sont interdépendantes. Les vulnérabilités diffèrent considérablement d’une région à l’autre et au sein d’une même région, notamment en raison de nombreuses problématiques interdépendantes telles que la pauvreté, l’accès aux services de base, l’éducation, les institutions et les capacités de gouvernance, rendues plus complexes par des schémas historiques tel que le colonialisme.

Articuler politiques climatiques et politiques sociales

En parallèle aux questions de vulnérabilités, une attention particulière est dédiée aux inégalités et aux intersections entre les deux. En effet, il est reconnu que les changements climatiques exacerbent les inégalités, touchant les plus vulnérables et marginalisés en premier. A l’inverse, les inégalités rendent les sociétés humaines plus vulnérables aux conséquences de la crise climatique. Le rapport indique ainsi que les inégalités sociales, telles que celles basées sur le genre, le statut socio-économique ou l’origine ethnique, peuvent aggraver la vulnérabilité aux effets du changement climatique. Il note par ailleurs que les femmes sont plus vulnérables que les hommes à l’insécurité alimentaire découlant du dérèglement climatique ou encore que les populations indigènes ou les communautés locales y sont plus exposées que leurs homologues non autochtones en raison de « la dépossession historique des terres, de la discrimination et de la colonisation ».

Ainsi, sans une attention réelle à la réduction des inégalités (tant au niveau international qu’à l’intérieur des pays), nous allons au-devant d’un cercle vicieux de vulnérabilités accrues, qui mettront en périls la résilience nos sociétés. Ce constat vaut également pour les réponses données à la crise climatique, que ce soit pour atténuer nos émissions de gaz à effet de serre ou pour s’y adapter. Mal conçues, ces réponses risquent aussi de renforcer les inégalités, notamment parce qu’elles sont souvent pensées par et pour les populations les plus aisées. C’est le cas par exemple des politiques qui favorisent largement les voitures électriques, un moyen de déplacement coûteux mais qui repose également de l’extraction de nombreux minerais rares et de ressources naturelles issues essentiellement de pays en développement.

Les scientifiques déclarent ainsi que des solutions systémiques fondées sur l’équité et la justice sociale et climatique réduisent les risques climatiques et permettent un développement résilient au climat. La définition donnée à la justice climatique dans le rapport mérite à cet égard d’être relevée : « Le terme de justice climatique, bien qu’il soit utilisé de différentes manières dans différents contextes par différentes communautés, comprend généralement trois principes : la justice distributive, qui fait référence à la répartition des charges et des avantages entre les individus, les nations et les générations  ; la justice procédurale, qui fait référence à qui décide et participe à la prise de décision ; et la reconnaissance, qui implique un respect fondamental, un engagement fort et une prise en compte équitable des diverses cultures et perspectives. »

La question de l’adaptation prioritaire pour les pays du Sud…

Un autre élément phare du rapport est bien évidemment la question de l’adaptation aux changements climatiques. Le GIEC reconnaît que la sensibilisation croissante de l’opinion publique et des responsables politiques aux impacts et aux risques climatiques a conduit au moins 170 pays et villes à inclure l’adaptation dans leurs politiques climatiques et leurs processus de planification. Cependant, les experts alertent que le rythme de mise en œuvre des politiques et le financement restent largement insuffisants.

Le manque structurel de financements alloués à l’adaptation reste un problème central pour les pays du Sud. Celle-ci reste encore et toujours le parent pauvre du financement climat international : en 2019, seulement 20 milliards de dollars avaient été dédiés à l’adaptation, ce qui représente à peine un quart des montants totaux

. Nous sommes donc encore bien loin de la promesse inscrite dans l’Accord de Paris de respecter « un équilibre » entre les financements alloués pour les mesures d’atténuation et d’adaptation. Par ailleurs, ces financements restent encore bien trop souvent fournis sous formes de prêts et non de dons, ce qui ne fait que renforcer la situation de vulnérabilité des pays bénéficiaires. Notons toutefois que les pays développés se sont engagés lors de la COP26 à doubler les financements de l’adaptation d’ici à 2025, par rapport aux niveaux de 2019

. Si cet engagement est un premier pas, il est reste néanmoins encore largement insuffisant pour répondre aux besoins du terrain. En effet, le GIEC estime que les besoins en termes d’adaptation vont atteindre 127 milliards en 2030 et 295 milliards de dollars en 2050.

…Aussi bien que les pays du Nord

Pendant de nombreuses années, beaucoup de gouvernements des pays industrialisés se sont laissés bercer par l’illusion que les impacts du réchauffement seraient lointains et futurs. Le rapport confirme désormais que les conséquences du dérèglement climatique sont actuelles et concernent l’ensemble du globe. Ce constat amène deux conclusions. D’une part, sans surprise, il est indispensable que les émissions mondiales atteignent rapidement un pic et une trajectoire de réduction drastique pour atteindre une société bas carbone d’ici 2050. Le rôle des plus gros pollueurs et des responsables historiques de la crise climatique est à cet égard très clair : il est de leur devoir, au regard du principe de responsabilités communes mais différenciées, de montrer la voie et d’intensifier leurs efforts, de manière juste et cohérente. D’autre part, il est désormais temps d’accepter que l’adaptation devienne une priorité politique au même titre que les politiques de décarbonation de nos économies. Pourtant, en Belgique comme ailleurs, nous manquons encore cruellement d’une planification concrète et à long terme qui nous permette d’élaborer une réelle stratégie d’adaptation face aux différents impacts climatiques auxquels nous seront confrontés.

Les scientifiques abordent également différentes options d’adaptation existantes, qui pourraient, si elles sont financées à une échelle suffisante et mises en œuvre rapidement, réduire les risques climatiques. Une innovation de ce rapport est l’analyse qui y est faite de la faisabilité et l’efficacité de diverses mesures d’adaptation, ainsi que leur potentiel en termes de synergies, comme l’amélioration de la santé ou la réduction de la pauvreté. Notons aussi que le rapport reconnaît la valeur de diverses formes de connaissances, telles que les connaissances scientifiques, mais aussi les connaissances indigènes et des communautés locales, nécessaires selon le GIEC pour comprendre et évaluer les processus d’adaptation au climat et les actions visant à réduire les risques climatiques.

Les limites de l’adaptation ou la question des pertes et préjudices

Au-delà de définir avec plus de précision ce qu’est l’adaptation, le rapport se penche également sur ses limites. Les scientifiques expliquent que ces limites ont déjà été atteintes dans une multitude de situations et qu’une série de conséquences des changements climatiques sont d’ores et déjà irréversibles. Ce sont des situations où les impacts sont tellement graves qu’aucune mesure d’adaptation existante ne peut prévenir efficacement les pertes et les dommages occasionnés. Par exemple, certaines communautés côtières des tropiques ont perdu des écosystèmes entiers de récifs coralliens qui contribuaient autrefois à assurer leur sécurité alimentaire et leurs moyens de subsistance. D’autres ont dû abandonner des quartiers de faible altitude et des sites culturels en raison de l’élévation du niveau de la mer. Les chercheurs mettent également en évidence que lorsque les impacts du réchauffement climatique se produisent dans des zones de grande vulnérabilité, ils contribuent aux crises humanitaires et provoquent de plus en plus de déplacements de population, les petits États insulaires étant touchés de manière disproportionnée.

Derrière les constats clairement posés des limites de l’adaptation se cache la question des dommages irréparables et irréversibles, appelés dans le jardon onusien les pertes et préjudices

. Ces réalités posent les questions sensibles de la compensation de ces pertes et dommages subis, tant matériels qu’immatériels, et d’une assistance efficace et pertinente pour les victimes des événements climatiques extrêmes. Ce rapport alimente ainsi la pression croissante pour faire de la question des pertes et préjudices une question centrale dans la mise en œuvre de l’Accord de Paris et pour adopter un mécanisme financier additionnel pour les pertes et préjudices

. Ces discussions ne manqueront pas de revenir sur la table de négociations en vue de la COP27, qui aura lieu du 7 au 18 novembre à Sharm el Sheikh, en Egypte.

Conclusion

Force est de constater que l’urgence climatique doit désormais se conjuguer au présent. Endosser cette réalité implique de prendre des actions à la hauteur de l’enjeu, tant dans leur immédiateté que dans leur ampleur. Il n’est par ailleurs pas anodin que les questions de justice et d’équité soient mises en avant à plusieurs reprises dans le rapport, considérées comme essentielles pour assurer que les solutions mises en place ne renforcent pas les inégalités existantes, mais soient au contraire un vecteur de changement constructif. Le rapport montre qu’il est trop tard pour empêcher des effets majeurs sur nos conditions de vie, mais qu’il est encore possible d’en limiter les conséquences, en particulier sur les plus vulnérables, ce qui passe par une décarbonation la plus rapide possible et des politiques d’adaptation beaucoup plus ambitieuses.

[9] Résumé pour les décideurs : https://report.ipcc.ch/ar...

Rebecca THISSEN

Chargée de recherche en justice climatique et développement durable

CNCD-11.11.11