Le Pays Basque durcit les règles des locations touristiques pour endiguer la crise du logement
La pression populaire a gagné contre les lobbies des plateformes comme Airbnb ! Face à l’explosion des meublés touristiques entraînant une spéculation immobilière et de graves difficultés à se loger pour les locaux, la Communauté d’Agglomération du Pays basque a adopté une mesure radicale : une règle de compensation. Concrètement, à partir du 1er juin 2022, les propriétaires qui voudront mettre en place une location saisonnière permanente devront obligatoirement proposer un autre bien à la location à l’année dans la même commune. Cela va remettre des milliers de logement dans le parc locatif annuel.
Une victoire populaire
A la suite de nombreuses métropoles françaises, le Pays basque veut freiner l’expansion des meublés touristiques. Au conseil du 5 mars 2022, la communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) a voté à une large majorité une nouvelle règle de compensation concernant les meublés touristiques.
A partir du 1er juin 2022, ce nouveau règlement oblige les propriétaires (personnes morales comme personnes physiques) des 24 communes de la zone tendue du Pays basque à compenser tout logement mis en location comme meublé touristique permanent par la mise en location à l’année d’un autre logement issu de la transformation d’un local non destiné à l’habitation, décent, de surface au moins équivalente et dans la même commune.
La mesure concerne les locations de résidence principale supérieures à 120 jours par an et toutes les résidences secondaires.
Pour protéger le commerce de proximité, ce nouveau règlement exclut la possibilité d’utiliser pour cette compensation les locaux commerciaux de rez-de-chaussée. Seules exceptions : les logements loués au moins neuf mois de l’année aux étudiants et les locations faites à l’intérieur de la résidence principale.
Cette mesure de compensation avait déjà été mise en place dans des métropoles telles que Paris, Bordeaux, Lyon ou Nice. Avec leur progression bloquée dans les grandes villes, les plateformes comme Airbnb avaient alors décidé de se déployer en force sur les petites communes du littoral et les zones rurales françaises.
Avec sa situation attractive entre Océan et montagne, le Pays basque a été particulièrement touché par la prolifération des meublés touristiques. Selon l’Agence d’urbanisme Atlantique et Pyrénées (Audap), les hébergements de courte durée ont augmenté de 130% entre 2016 et 2020. Plus de 16000 meublés touristiques sont recensés dans les 24 communes concernées.
Cette mesure répond ainsi aux revendications de la population locale, dont l’accès au logement est de plus en plus difficile. A l’initiative de l’association Alda, en novembre 2021, 8000 personnes avaient manifesté à Bayonne pour réclamer des logements accessibles au Pays basque ainsi que la fin de la spéculation immobilière, dont la flambée des prix est devenue invivable pour les locaux.
« On est très contents car c’est à la fois une victoire sociale et écologique. D’une part, on stoppe le phénomène de prolifération des meublés de tourisme qui empêche les locaux de se loger à l’année. D’après la CAPB, ce sont 10 000 logements qui vont devoir être mis à disposition de la population. Et d’autre part, on produit des logements sans artificialiser les sols, sans bétonner, sans rien construire ! » se réjouit Xebax Christy, porte-parole de l’association Alda, auprès de La Relève et La Peste
Alda a ainsi été particulièrement impliquée dans l’élaboration de ce nouveau règlement. Preuve que la pression locale a porté ses fruits, sur les 232 conseillers communautaires de la CAPB, 220 étaient présents au moment du vote : 169 ont voté pour, 8 contre et 33 se sont abstenus (les dix autres n’ont pas pris part au vote), soit plus de 80 % pour le « Oui », moins de 4 % pour le « Non » et près de 16 % d’abstention, relaie FranceBleu.
Le fléau des « résidences secondaires »
Sur les 16.000 logements concernés par cette réglementation (loués sur les plateformes Abritel et Airbnb, selon le décompte de l’Audap), 11 000 meublés seront concernés dès le 1er juin prochain. Pour les autres, la mesure n’est pas rétroactive. Les propriétaires des meublés touristiques actuels ont donc trois ans pour anticiper, moment où ils devront refaire une demande de changement d’usage délivrée par les communes.
« C’est la première fois que la compensation est votée dans un territoire de moins de 200 000 habitants ce qui a fait peur aux lobbies. Ils ont travaillé fort sur les deux dernières semaines avant le vote. L’organisme qui s’est fait le plus entendre, c’est l’UNPLV (l’Union nationale pour la promotion des locations de vacances), le lobby des plateformes type Airbnb et Abritel. Ils ont été interviewés dans SudOuest en expliquant que le droit au logement ne doit pas empiéter sur le droit à la propriété. Nous, au contraire, on affirme que les logements ne sont pas des actions en bourse car des gens habitent dedans et en ont besoin pour une vie digne. On ne peut pas les considérer comme de simples produits financiers, le droit d’avoir un logement doit passer avant celui d’en avoir deux. » explique Xebax Christy, porte-parole de l’association Alda, auprès de La Relève et La Peste
L’association Alda espère que cette nouvelle mesure de compensation aura un effet boule de neige positif. En effet, la prolifération des meublés touristiques tirait le prix des résidences secondaires vers le haut car les aspirants propriétaires incluent les revenus de la location touristique dans leur plan de financement.
La France est le pays européen ayant le plus de résidences secondaires. En France, un logement sur dix est une résidence secondaire, ce qui représente 3,2 millions de logements selon les derniers chiffres de l’INSEE. Une résidence secondaire sur dix appartient à une personne résidant à l’étranger.
Aujourd’hui, un million de ménages français sont des « maxi-propriétaires » qui possèdent au moins cinq logements, selon l’Insee. Résultat, alors qu’ils ne représentent que 3,5% des ménages, ils possèdent à eux seuls la moitié des logements que des particuliers louent en France, ainsi que le rappelle cette enquête de FranceInfo.
Malgré ce phénomène inquiétant, qui aggrave les inégalités et réduit l’accès à la propriété depuis 20 ans pour les ménages français, la question du logement est un sujet complétement délaissé par la plupart des candidats à la présidentielle. Sur certaines communes basques, comme Guéthary, plus de la moitié des logements sont des résidences secondaires, louées ou non aux touristes selon les cas.
Pour Roland Irrigoyen, co-auteur du texte et vice-président de la CAPB en charge de l’Habitat et du Logement, cette mesure de compensation est une avancée mais n’est pas suffisante pour endiguer la spéculation immobilière qui s’abat sur le Pays basque depuis quelques années. Pour l’élu, l’encadrement des loyers, la réhabilitation des logements vacants et les mesures fiscales favorisant les locations à l’année, sont tout aussi essentiels. Un constat partagé par l’association Alda.
« Le but final, c’est d’encourager les propriétaires à louer à l’année et il y a un travail d’information à faire pour leur dire comment se protéger et les dispositifs fiscaux intéressants pour eux, en lien avec l’Agence nationale de l’habitat. Ces avantages sont mal connus ce qui fait que beaucoup de propriétaires ont peur de louer à l’année. Cela n’a pas de sens que la fiscalité avantage les meublés de tourisme plutôt que les locations à l’année. » précise Xebax Christy, membre d’Alda, pour La Relève et La Peste
Reste maintenant à savoir comment les contrôles vont être effectués. L’association basque plaide auprès des élus pour la création de postes d’agents de contrôle qui seraient employés par la communauté d’agglomération du Pays basque.
« Les amendes sont tellement élevées pour les contrevenants que créer 3 postes pour faire des contrôles peut vite être rentabilisé. Et le contrôle est très important pour avoir un effet dissuasif auprès de ceux qui seraient tentés de tricher. A Lyon, une propriétaire qui ne respectait pas la compensation a été condamnée à 20 000 euros et à remettre le logement dans le parc locatif. Le montant des amendes peut aller jusqu’à 50 000 euros. » détaille Xebax
De son côté, Alda va continuer à faire son travail de veille pour évaluer le nombre d’annonces disponibles et voir comment la situation évolue, notamment concernant le devenir des meublés de tourisme qui reviennent dans le parc locatif annuel.
Par Laurie Debove (publié le 24/03/2022)
A lire sur le site La Relève et La Peste