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Thierry Denoël Journaliste au Vif/L'Express 29-04-22

Mettre les plus riches davantage à contribution en période de crise, intéressant? L'idée revient politiquement à la une: la Vivaldi n'y serait pas opposée. Deux chercheurs universitaires répondent avec nuances, tout en réévaluant l'inégalité de répartition des richesses en Belgique. 

L'idée d'un impôt sur la fortune (ISF) a refait surface, en Belgique au début de la pandémie. Au printemps 2020, dans l'idée de financer les coûts engendrés par le Covid-19, trois propositions ont bourgeonné, sans fleurir ( Le Vif du 21 mai 2020). Une proposition de loi du PTB-PVDA suggérait d'imposer une taxe corona de 5% aux ménages disposant d'un patrimoine net supérieur à trois millions d'euros. Le tandem Ecolo-Groen a embrayé plus prudemment avec une proposition de résolution évoquant un impôt de 1% sur le patrimoine du pour cent des Belges les plus fortunés, à étudier par un panel d'experts. Enfin, l'illustre économiste Paul De Grauwe a, lui, suggéré une taxe sur la richesse modulée en plusieurs tranches, démarrant par un impôt de 1% sur les patrimoines nets compris entre un et dix millions d'euros, puis de 2% sur les fortunes de dix à cent millions, 3% sur celles de cent millions à un milliard et, enfin, de 4% sur celles qui dépassent le milliard. Le gouvernement Vivaldi ne serait désormais plus opposé à une sorte de "taxe des riches", les discussions politiques à ce sujet ont repris jeudi. Seuls les libéraux resteraient à convaincre.

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Deux chercheurs - Arthur Apostel, de la KULeuven, et Daniel O'Neill, de l'université de Leeds, au Royaume-Uni - se sont penchés sur ces propositions pour en évaluer l'impact sur les recettes potentielles pour l'Etat, mais aussi sur la redistribution des richesses et la réduction des émissions de CO2, ce dernier impact n'ayant encore jamais été examiné dans le cadre d'un impôt sur la fortune. En effet, la recherche universitaire suggère de plus en plus qu'outre l'argument moral d'une plus grande égalité, l'ISF peut avoir un effet positif sur l'environnement. Les résultats de leur analyse viennent d'être publiés dans la revue académique Ecological Economics (éd. Elsevier).

Le pour cent le plus riche des Belges détient 24% de la richesse nette totale.

Au préalable, Apostel et O'Neill se sont attaqués à un sujet fort peu étudié en Belgique: ils ont calculé la répartition des richesses, en améliorant les méthodes utilisées dans de précédentes enquêtes et en se basant sur des données plus récentes. Selon leur évaluation, le pour cent des ménages belges les plus riches détient environ 24% de la richesse nette totale. C'est à peu près autant que 75% des ménages belges les moins fortunés. On relève aussi que les 5% les plus riches possèdent 42% des richesses ou encore que les 10% les plus riches possèdent un peu plus que ce que détiennent les 90% restants de la population.

Ces chiffres sur l'inégalité de la distribution du patrimoine belge sont significativement plus élevés que ceux déjà publiés par le passé, notamment dans l'enquête HFCS de la Banque centrale européenne (BCE), dont la dernière version concluait que le pour cent le plus fortuné détenait 12,3% de la richesse totale (soit la moitié de ce que notre duo académique a additionné). Les ménages les plus nantis y étant sous-représentés, cette proportion avait été réévaluée à 17% par un économiste belge de la BCE qui s'était basé sur le classement Forbes des milliardaires. Arthur Apostel et Daniel O'Neill ont préféré s'appuyer sur la liste plus complète de De Rijkste Belgen qui, depuis 2015, répertorie les Belges les plus fortunés. Ils ont aussi utilisé une technique statistique comparant d'autres courbes nationales de distribution des richesses, appliquée en sciences sociales.

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Des recettes plus élevées qu'estimé

Premier impact des trois propositions d'ISF, selon les deux universitaires: le potentiel des recettes que ces impôts représentent varie entre 5,9 (Ecolo-Groen) et 43 milliards d'euros (PTB-PVDA). Le montant dépend non seulement de la catégorie des riches qui sont ciblés et du taux d'imposition, mais aussi de l'évasion et de la fraude fiscales qu'une telle taxe pourrait susciter. Les 43 milliards, par exemple, sont évalués dans l'hypothèse d'une évasion nulle, ce qui est peu probable même pour un impôt one shot. En considérant une évasion faible à modérée, il serait sans doute plus raisonnable de s'attendre à une fourchette comprise entre 6 et 25 milliards. Néanmoins, les montants de recettes avancés dans cette étude dépassent de loin ce que les partisans d'un impôt sur la fortune ont eux-mêmes déjà estimé.

Par contre, l'effet redistributif d'un impôt unique serait limité par rapport à l'inégalité de la répartition des richesses: quel que soit le scénario, le pour cent le plus fortuné posséderait encore 23% de la richesse totale. Ce serait moins vrai dans le cas d'un impôt récurrent, notent les chercheurs, bien qu'il faille alors tenir compte d'une évasion fiscale plus importante, sans toutefois l'exagérer. Et les auteurs de citer des exemples de mesures antiévasion, comme la "taxe de sortie" infligée aux Américains qui renoncent à leur citoyenneté US.

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Idem pour les conséquences environnementales: un impôt ponctuel serait bénéfique mais relativement mineur, ne réduisant les émissions de CO2 que de 0,1% à 0,6%. Ici aussi, un impôt annuel diminuerait très probablement davantage les émissions, les plus riches étant bien davantage responsables d'émissions de CO2. Même si ces chiffres paraissent décevants, l'étude d'une corrélation entre un ISF et son impact en matière de lutte contre le dérèglement climatique n'en est pas moins intéressante. Au contraire. La recherche académique s'y intéresse de plus en plus, car une réduction des inégalités de richesse est supposée diminuer le désir d'imiter le modèle de consommation des plus aisés et, donc, la consommation globale. Par ailleurs, plus une société est inégalitaire et polarisée, plus il est difficile d'imposer des mesures environnementales.

Dans leur étude, Apostel et O'Neill notent que la principale alternative à un impôt unique sur la fortune pour éponger les coûts liés au Covid-19 aura été une politique de croissance renforcée et soutenue qui n'est a priori pas favorable à la réduction des émissions carbones. Un ISF ponctuel aurait pu alors modérer les politiques agressives de croissance et ainsi avoir un effet bénéfique indirect sur l'environnement. Une autre option qui nous pendait - et nous pend toujours - au nez est une politique d'austérité. Comme on l'a vu dans certains pays en développement, cela peut amener les gouvernements à rogner les dépenses consacrées à la lutte contre le changement climatique. En Belgique, ce n'est pas à l'ordre du jour et la proportion de mesures "vertes", incluses dans le plan de relance, est, en outre, très élevée

Monique Van Dieren

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