La dette en RDC : Le mégaprojet « Grand Inga III »
L’un des barrages d’Inga (CC - Wikimédia - Radio Okapi - https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Barrage_Inga_(4028379271).jpg)
Bien qu’il s’agisse de l’un des pays plus riches du monde en ressources naturelles, la République démocratique du Congo (RDC) souffre d’une très forte pauvreté énergétique. En 2020, seulement 19 % des Congolais·es avaient accès à l’électricité. En dehors des grandes villes, ce nombre passe à moins de 4 %, soit moins d’une personne sur 20 [1] . Ce déficit énergétique entrave le développement économique du pays, comme en témoigne le PIB par habitant de la RDC qui est, en 2021, le plus bas au monde.
Depuis quelques années, la Fédération des entreprises du Congo (FEC) organise une Conférence annuelle sur l’énergie. Le but de cette organisation patronale est d’y défendre les intérêts des acteurs privés qui y sont impliqués et de soutenir des chantiers d’investissement dans le secteur de l’énergie. En 2021, la FEC a organisé la Conférence énergétique à Lubumbashi, dans la Province du Haut-Katanga, au cours de laquelle le gouvernement s’est prévalu de son projet phare, le Grand Inga, comme réponse au déficit énergétique. Ceci n’est pas nouveau dans la mesure où, lors des précédentes éditions, le gouvernement s’est à chaque fois présenté avec ce projet Inga III, dans son format de 4 800 MW (Basse Chute), ou dans son format de 11 050 MW.
Une brève histoire du projet Grand Inga
La RDC affiche l’un des taux d’accès à l’électricité les plus faibles de la planète. Un paradoxe au regard de son potentiel hydroélectrique, considéré comme l’un des plus importants du monde
Le site d’Inga est connu depuis les années 1800 à cause de la difficulté que présente cette partie pour la navigabilité du fleuve Congo. En effet, au niveau des rapides d’Inga, le fleuve Congo subit une dénivellation de 96 mètres sur une distance de 14 kilomètres. Signalons que ce fleuve à un débit régulier d’environ 42 000 mètres cube (il fallait dire si c’est par sec et où se situe ce débit donc je propose de supprimer) durant toute l’année. C’est vers 1925 que les études ont démontré qu’on pouvait y ériger beaucoup de centrales hydroélectriques.
Mais ce n’est qu’en 1967 que l’ex-Président Mobutu a pris la décision de construire la première centrale hydroélectrique dénommée Inga I, puis plus tard Inga II. Le Président Joseph Kabila a ensuite décidé de poursuivre le développement de ce site d’Inga (Inga III à VIII) pour y ériger un grand complexe hydroélectrique. Le 16 octobre 2018, le gouvernement a signé un « Accord de développement exclusif du projet Inga III » avec un consortium sino-espagnol. Plus récemment, le 16 septembre 2020, le nouveau gouvernement de Félix-Antoine Tshisekedi a signé la « Convention relative au développement d’industries Vertes Substantielles en RDC » avec la société australienne Fortescue Future Industries. Le coût de ce projet de mise en œuvre du développement du projet Grand Inga est estimé à environ 13,9 milliards de dollars, pour une période de construction allant de 6 à 7ans.
Contexte du projet Grand Inga
Moins de 20 % des Congolais ont accès à l’électricité, dont 4 % en milieu rural, contre 42 % en moyenne sur le continent africain
La RDC affiche l’un des taux d’accès à l’électricité les plus faibles de la planète. Ce qui constitue un paradoxe au regard de son potentiel hydroélectrique, considéré comme l’un des plus importants du monde et, estimé à plus ou moins 110 Gigawatts. Et ce, alors que moins de 20 % des Congolais ont accès à l’électricité, dont 4 % en milieu rural, contre 42 % en moyenne sur le continent africain.
Les partisans du projet font valoir qu’Inga III permettrait de réduire la pauvreté et stimuler la prospérité commune de la RDC en générant des revenus au gouvernement de la RDC, qui pourraient être affectés à des programmes de lutte contre la pauvreté. Cela permettrait également de fournir de l’électricité à plus de personnes en RDC, d’offrir des opportunités aux banquiers, aux industriels et aux différents opérateurs congolais et étrangers pour investir en RDC et créer des emplois dans un pays au taux de chômage chroniquement élevé.
La formule d’investissement retenue pour ce projet de barrage et d’énergie hydroélectrique est celle d’un partenariat public-privé impliquant des investissements du gouvernement de la RDC et d’un consortium d’entreprises internationales privées.
C’est à la suite de l’étude de préfaisabilité dénommée « Étude du développement du site d’Inga et des réseaux associés » (EDIRA), réalisée par le groupement AECOM et EDF que le gouvernement a décidé de se lancer dans le projet Grand Inga. Il s’agit de construire sur le site d’Inga le plus grand complexe hydroélectrique du monde qui va produire au total 44 000 MW. Ce projet sera exécuté en 7 phases qui sont : 1re phase : Inga III Basse Chute : 4 800MW ; 2e phase : Inga III Haute chute : Max 7800MW ; 3e phase : Inga IV : 7180 MW ; 4e phase : Inga V : 6970 MW ; 5e phase : Inga VI : 6680 MW ; 6e phase : Inga VII : 6700 MW ; 7e phase : Inga VIII : 6750 MW.
L’un des résultats de l’étude de préfaisabilité financée par la Banque africaine de développement (BAD), était le premier modèle du développement du projet Inga III. Ce modèle, soutenu par la BAD, consiste en un format fournissant 4 800 MW pour un budget de 12 milliards de dollars US. Cette énergie serait répartie entre l’Afrique du Sud (2500 MW), l’industrie minière de l’ex-province du Katanga (1300 MW) et la Société nationale d’électricité (1000 MW). L’autre modèle est celui du consortium sino-espagnol, projetant de vendre le courant produit à l’Afrique du Sud, à la Société nationale d’électricité, aux industries minières ainsi qu’à d’autres pays dont l’Angola et le Nigeria [2].
Conséquences néfastes du projet
Cependant, ce projet est, selon plusieurs sources dont le Parlement des jeunes de la RDC, à la base de plusieurs cas de violations de droits humains, de corruption et d’abus de pouvoir. Tout d’abord, il a été mis sur pied en violation de la loi relative aux marchés publics avec une opacité dans les négociations et en violation au droit d’accès à l’information. Les communautés locales et de la Société civile n’ont donc nullement été impliquées dans le projet Grand Inga.
Par ailleurs, ce projet aura des conséquences environnementales négatives indéniables comme la perte de la qualité des eaux douces, la dégradation de la nature et de la biodiversité, la disparition de certaines espèces aquatiques. Ce qui renvoie à la question sur le supposé caractère écologique de Inga évoqué plus haut en termes de « puissance environnementale ». Inga III risque de détruire des moyens de subsistance que les nouveaux emplois ne compenseraient pas.
De plus, ce projet provoquera la délocalisation d’environ 40 000 personnes membres des communautés du site Inga, sans aucune indemnisation et proposition de relogement. Ces communautés sont pourtant détentrices de ces ressources naturelles. C’est la continuité d’un schéma colonial des pillages des ressources naturelles.
Ce projet est donc mis en place sans prendre en compte la population vivant sur le site d’Inga et au bénéfice des multinationales qui vont exploiter les ressources sur place et en tirer des bénéfices, avec tout ce que cela comporte comme impacts négatifs sur le plan social et environnemental.
Incidence sur la dette de la RDC
Pour le gouvernement de la RDC, la construction d’Inga III est susceptible de causer une perte des ressources financières déjà limitées, plutôt qu’apporter une source de nouveaux revenus. En effet, le coût d’Inga est actuellement estimé à 13,9 milliards de dollars US et le gouvernement de la RDC devrait contribuer à hauteur de 3 milliards de dollars US grâce à des prêts concessionnels. Inga III nécessitera de gros emprunts extérieurs par le gouvernement de la RDC. Les partenaires privés apporteraient la somme restante de 11 milliards de dollars US.
Les chiffres les plus récents du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale indiquent que la dette extérieure du gouvernement de la RDC est de 6,5 milliards de dollars US, soit 16 % du PIB en 2018. Inga III entraînerait une nouvelle dette de 3 milliards de dollars US pour le gouvernement. Cela augmenterait la dette extérieure au minima à 9,5 milliards de dollars US, soit 24% du PIB. Cela risquerait de modifier l’évaluation du FMI et de la Banque mondiale de la RDC, passant d’un « risque modéré » de surendettement à un « risque élevé ». Pour la RDC, une telle évaluation réduirait encore plus le nombre de prêts à taux d’intérêt inférieur provenant d’institutions publiques laissant l’avenir de la RDC aux mains de créanciers privés dont l’unique but est de faire du profit [3].
Pour la suspension d’Inga III
Tout contrat signé en ce qui concerne Inga III est plus susceptible de remplir les poches des dirigeants au pouvoir et des multinationales que d’améliorer l’accès à l’électricité de la population congolaise
Le projet Inga III n’est qu’un « éléphant blanc » [4] et ne viendra qu’accroitre le stock de la dette publique extérieure, nuisant ainsi à la santé économique du pays à long terme. Comme c’est souvent le cas dans le cadre des partenariats public-privé, tout contrat signé ou tout paiement effectué en ce qui concerne Inga III dans le contexte actuel est plus susceptible de remplir les poches des dirigeants au pouvoir et des multinationales que véritablement contribuer à améliorer l’accès à l’électricité de la population congolaise. Les entreprises espagnoles, chinoises et sud-africaines qui envisagent de répondre à cette offre, ainsi que d’autres acteurs internationaux, devraient se rendre compte que tout paiement qu’elles effectueraient maintenant en lien avec le projet Inga III ne ferait que renforcer un système corrompu. L’exploitation de Inga III ne couvrirait même pas le paiement de la dette publique extérieure de la RDC et va au contraire l’enfoncer plus profondément dans la dette, tandis que d’autres pays et les investisseurs internationaux vont récolter les bénéfices
Pourtant, si la RDC veut réellement atteindre ses objectifs d’amélioration de l’accès à l’énergie et de développement économique, elle ferait mieux de suspendre le projet d’Inga III jusqu’à l’obtention des garanties de bonne gouvernance et d’explorer les solutions provenant de la micro-hydroélectricité et de l’énergie solaire. Si la RDC investissait ses prêts concessionnels limités dans d’autres sources énergétiques, cette électricité atteindrait beaucoup plus d’utilisateurs à moindre coût, dans des zones plus diversifiées et créerait un gain économique plus important.
Les mouvements sociaux de la RDC ont un rôle important à jouer afin de créer un rapport de force et faire pression sur le gouvernement afin qu’il ne signe pas un tel accord. C’est dans ce contexte que le réseau CADTM Afrique a organisé fin octobre 2021 une université d’été où était représentée une forte délégation de représentant·es des victimes et des chefs coutumiers vivant sur le site d’Inga, tous et toutes contre ce projet Grand Inga.
Notes
[1] Base de données de la Banque mondiale, accès à l’électricité (% de la population) en République démocratique du Congo,
[2] Note de la CORAP sur le nouveau paradigme dans le projet Grand Inga, 30 septembre 2021.
[3] Tim Jones, Endetté à l’aveuglette. Analyse économique du projet d’Inga III en RDC, International Rivers, juin 2017
[4] À qui profitent toutes les richesses du peuple congolais ? Pour un audit de la dette congolaise, CADTM, 2007,