En écho aux derniers rapports parus qui affirment que le monde fonce vers des niveaux de réchauffement d’au moins 2,5°C [2], la nouvelle synthèse d’Amnesty International illustre les destructions que la crise climatique engendre déjà.
À la veille de la COP27, Amnesty International invite tous les États parties à la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) à réactualiser leurs objectifs d’émissions pour 2030 afin de les aligner sur le maintien de la hausse de la température mondiale moyenne à 1,5°C maximum. Ils doivent s’engager sans attendre à cesser progressivement d’utiliser et de produire des combustibles fossiles, sans s’en remettre à des « raccourcis » délétères et non éprouvés tels que les mécanismes d’élimination du carbone, et mettre en place un fonds pour les pertes et préjudices afin d’offrir un recours aux personnes dont les droits humains sont bafoués par la crise climatique.
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« La COP27 a lieu au lendemain d’un été terrifiant, qui a vu des incendies se propager en Arctique, des vagues de chaleur extrêmes ravager l’Europe et des inondations submerger de vastes régions du Pakistan et de l’Australie. En bref, la crise climatique est déjà là – pourtant, la plupart des gouvernements choisissent de poursuivre leur collaboration mortelle avec l’industrie des combustibles fossiles, en proposant des objectifs d’émissions très insuffisants, sans même parvenir à les atteindre, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
« Ces défaillances nous mènent tout droit vers un réchauffement mondial supérieur à 2,5° C – un scénario qui verrait la famine, le problème des sans-abris, la maladie et les déplacements atteindre une ampleur quasi insondable. Ces violations des droits humains se déroulent déjà dans de nombreuses régions du globe.
« Alors que la crise climatique se déploie, les personnes qui en sont le moins responsables sont en première ligne et sont les plus durement touchées, ce qui exacerbe leur marginalisation. Lors de la COP27, des mesures doivent être prises afin de modifier radicalement le partage des responsabilités et de remédier à cette injustice. Les gouvernements des pays riches doivent augmenter leurs engagements en matière de financement climatique afin d’aider les pays à faibles revenus à éliminer progressivement les combustibles fossiles et à renforcer les mesures d’adaptation. Enfin, ils doivent mettre en place un fonds pour les pertes et préjudices afin d’offrir un recours rapide aux personnes dont les droits humains sont bafoués par la crise climatique qu’ils ont contribuée à engendrer. »
« JE M’APPAUVRIS CHAQUE JOUR »
Dans la nouvelle synthèse d’Amnesty International Intitulée ‘Any tidal wave could drown us’, des études de cas présentent la situation de sept communautés marginalisées de par le monde, notamment au Bangladesh, dans les îles Fidji, au Sénégal et en Arctique russe.
Amnesty International a travaillé avec des militant·e·s locaux pour interviewer des personnes marginalisées, notamment celles qui vivent dans des endroits parmi les plus exposés au changement climatique dans le monde, et a partagé leur histoire et leurs appels à l’action. Leurs récits donnent un aperçu de la vie en première ligne de la crise climatique, caractérisée par la discrimination, les déplacements forcés, la perte des moyens de subsistance, l’insécurité alimentaire et la destruction du patrimoine culturel.
Au Bangladesh, les habitant·e·s de villages côtiers pauvres et marginalisés, dont des dalits (opprimés) et des aborigènes Mundas, expliquent que les fréquentes inondations les obligent à reconstruire sans fin leurs habitations, ou à vivre dans les ruines de leurs maisons inondées. Les installations hydrauliques et sanitaires sont également endommagées et ils se retrouvent avec de l’eau potable salée et des toilettes hors d’usage.
Les populations indigènes de la région arctique de Yakoutie habitent l’extrême nord-est de la Russie, où les températures moyennes ont augmenté de 2 à 3°C ces dernières années, provoquant le dégel du permafrost, la multiplication des incendies et une perte de biodiversité.
Les conditions météorologiques chaotiques ont de graves répercussions sur le mode de vie des populations autochtones, comme l’explique un Tchouktche : « La météo est essentielle dans le mode de vie traditionnel des populations indigènes. En fonction des phénomènes climatiques, nous déterminons où vont paître les rennes, où établir notre campement entre les migrations, quand va arriver la tempête de neige, où et quand vont migrer les animaux, les oiseaux et les poissons. »
Au Québec, au Canada, les Innus habitant la réserve de Pessamit sont confrontés à des menaces similaires. La hausse des températures engendre la fonte des glaces côtières et d’autres changements climatiques qui affectent gravement leur mode de vie. Les lacs ne gèlent pas l’hiver et les aînés ont donc du mal à se rendre sur leur territoire ancestral et à transmettre leur savoir traditionnel en matière d’itinérance.
« Si vous ne pouvez plus parler de votre savoir, une certaine honte s’installe. Vous perdez un peu de dignité », a déclaré David Toro, conseiller environnemental au conseil tribal de Mamuitun.
Par ailleurs, les études de cas révèlent que les personnes qui subissent des pertes et préjudices du fait du changement climatique sont souvent livrées à elles-mêmes après les catastrophes, ce qui les oblige à contracter des prêts exorbitants, à partir, à limiter leur alimentation ou à déscolariser leurs enfants.
« J’arrivais à envoyer mon fils à l’école… Aujourd’hui, je n’ai plus ce luxe, je m’appauvris chaque jour », a déclaré un pêcheur qui vit dans la région du golfe de Fonseca, au Honduras, régulièrement en proie aux inondations et aux cyclones.
« ON NE NOUS ÉCOUTE PAS »
Certaines personnes interrogées ont évoqué les stratégies d’adaptation qu’elles ont développées ; ce sont des enseignements importants pour le reste du monde, qui soulignent l’importance d’inclure les populations les plus touchées dans l’élaboration de stratégies pour répondre à l’urgence climatique. Au Canada, la communauté autochtone de Pessamit au Québec a par exemple lancé des projets visant à protéger le saumon et le caribou.
« Depuis 10 ou 12 ans, la chasse collective ou même individuelle de l’orignal est interdite », explique Adelard Benjamin, coordinateur de projet pour le Territoire et les ressources à Pessamit.
L’ingéniosité des communautés les plus durement touchées souligne la nécessité absolue de les inclure dans la prise de décision concernant les réponses à l’urgence climatique. Pour les Innus de Pessamit, les impacts du changement climatique et de la dégradation de l’environnement renforcent les inégalités causées par la longue histoire du colonialisme, du racisme et de la discrimination.
Comme l’indique Eric Kanapé, conseiller environnemental pour la communauté de Pessamit : « Nous sommes consultés de façon purement machinale. Nous proposons de nouvelles manières de faire les choses, mais personne ne nous écoute. Nous ne sommes pas pris au sérieux. »
La Langue de Barbarie est une péninsule de sable proche de la ville sénégalaise de Saint-Louis, où près de 80 000 personnes vivent dans des villages de pêcheurs densément peuplés, à haut risque d’inondation. L’érosion des côtes fait perdre jusqu’à 5 ou 6 mètres de plage chaque année. « La mer avance », selon les mots d’un pêcheur.
Les personnes interrogées à Saint-Louis évoquent les initiatives qu’elles ont mises en place pour faire face à la crise climatique. Un projet communautaire aide les habitant·e·s touchés par la montée du niveau de la mer à construire des maisons et à créer des activités de recyclage génératrices de revenus. D’autres ont créé un fonds de solidarité pour aider les gens dans les moments difficiles – mais il reste parfois vide en raison des problèmes économiques qui touchent toute la collectivité.
L’absence de mesures de soutien et de recours efficaces pour les pertes et préjudices dus au changement climatique est une injustice majeure. Les pays riches qui contribuent le plus au bouleversement climatique, et ceux qui ont le plus de ressources, ont une obligation accrue de fournir des réparations. Lors de la COP27, cela devrait commencer par un accord sur la création d’un fonds pour les pertes et préjudices et par des promesses de fonds adéquats dédiés à cette fin.
LA DERNIÈRE CHANCE
Amnesty International sera présente à la Conférence de l’ONU sur les changements climatiques (COP27), à Charm El Cheikh, en Égypte, entre le 5 et le 19 novembre. Elle appelle tous les gouvernements à veiller sans attendre à ce que leurs objectifs en termes d’émissions pour 2030 soient compatibles avec l’impératif qui consiste à maintenir la hausse de la température mondiale en dessous de 1,5° C.
Atteindre l’objectif des 1,5° C permettrait d’atténuer certains des pires impacts du changement climatique, mais la fenêtre d’action se referme rapidement. Bien que le Pacte climatique de Glasgow scellé lors de la COP26 demande à tous les États de renforcer leurs objectifs pour 2030, seuls 22 pays ont soumis des engagements actualisés en 2022. En outre, la plupart des politiques nationales actuellement mises en œuvre ne permettent pas de respecter ces engagements.
Les pays riches doivent présenter un plan clair afin d’augmenter leurs contributions au financement de la lutte contre les bouleversements climatiques, en vue d’atteindre collectivement l’objectif attendu de longue date de lever au moins 100 milliards de dollars par an pour aider les pays à faibles revenus à éliminer progressivement les combustibles fossiles et à renforcer les mesures d’adaptation. En outre, ils doivent mettre rapidement à disposition de nouveaux fonds pour fournir aide et réparations aux populations ayant subi de graves pertes et préjudices causés par les effets du changement climatique.
La participation de la société civile à la COP27 est fortement compromise par la répression qu’exercent depuis des années les autorités égyptiennes contre les droits à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique, et qu’Amnesty International a dénoncée. Tous les États participant à la COP27 doivent faire pression sur le gouvernement égyptien pour qu’il protège l’espace civique et garantisse une participation véritable des ONG et des populations indigènes.
« Nous vivons un phénomène naturel causé par le réchauffement climatique, et par nous-mêmes du fait de notre inaction face aux dégâts écologiques que nous avons engendrés, a déclaré une personne habitant à Punta Ratón au Honduras. Maintenant, nous devons prendre soin de ce qui reste pour les générations à venir. »
ANNEXE – ÉTUDES DE CAS
Bangladesh
Des membres de communautés côtières appauvries et marginalisées, notamment des dalits et des Mundas habitant des villages côtiers du sud-ouest du Bangladesh, ont décrit l’impact des inondations et des cyclones réguliers. Ces communautés vivent dans la pauvreté, et certaines font l’objet d’une discrimination omniprésente et systématique, ce qui les fragilise énormément en cas de chocs climatiques. Les personnes interrogées ont raconté que les fréquentes inondations les obligent à reconstruire sans fin leurs habitations et endommagent les infrastructures sanitaires, ce qui fait qu’elles se retrouvent avec de l’eau potable salée et des toilettes hors d’usage.
Russie
Les populations indigènes de la région arctique de Yakoutie vivent dans l’extrême nord-est de la Russie. Si la Yakoutie est l’une des régions habitées les plus froides de la planète, sa température moyenne a augmenté de 2 à 3°C ces dernières années, provoquant le dégel du permafrost, la multiplication des incendies et une perte de biodiversité.
Cela a de graves répercussions sur le mode de vie des populations, comme l’explique un Tchouktche : « La météo est essentielle dans le mode de vie traditionnel des populations indigènes. En fonction des phénomènes climatiques, nous déterminons où vont paître les rennes, où établir notre campement entre les migrations, quand va arriver la tempête de neige, où et quand vont migrer les animaux, les oiseaux et les poissons. »
Les impacts du changement climatique en Yakoutie sont exacerbés par les projets du gouvernement russe de maximiser l’extraction et la production de pétrole et de gaz dans la région.
Autriche et Suisse
En 2022, l’Europe a connu son été le plus chaud jamais enregistré, marqué par de multiples canicules, des températures battant tous les records, des épisodes de sécheresse et des incendies dans plusieurs pays. Amnesty International a interrogé des sans-abris en Autriche, ainsi que des personnes âgées ou souffrant de handicaps en Autriche et en Suisse : toutes ont particulièrement souffert de la chaleur.
Fidji
Amnesty International s’est entretenue avec les résident·e·s d’un centre d’hébergement – pour la plupart des personnes LGBT – dans un quartier informel de Fidji, l’un des pays du monde les plus vulnérables au changement climatique. À Fidji, les températures de l’air et de la mer ont augmenté, les cyclones tropicaux se sont faits plus intenses, les marées de tempêtes et les sécheresses ne sont pas rares, et les cycles des précipitations sont modifiés. Les résident·e·s ont raconté qu’ils ont du mal à trouver de la nourriture en quantité suffisante après les cyclones et ont dû évacuer le centre plusieurs fois ces dernières années, car les cyclones l’avaient endommagé. Ils ont ajouté que les personnes d’orientation sexuelle et d’identité de genre différentes font parfois les frais de la colère de la population ou des perturbations administratives en marge des catastrophes, et subissent notamment le harcèlement du quartier et de la police, en raison de la stigmatisation et de la discrimination.
Honduras
Tributaires de la pêche pour leur subsistance, les habitant·e·s de la région du golfe de Fonseca, au Honduras, sont particulièrement sensibles aux chocs climatiques. Les phénomènes climatiques extrêmes et la baisse du nombre d’espèces de poissons ont considérablement réduit leur niveau de vie et aggravé la pauvreté. Ils racontent qu’ils sont souvent réduits à couper la mangrove pour la vendre comme bois de construction ou de chauffage, contribuant ainsi à la dégradation de leur environnement.
Un pêcheur du village de Cedeño a expliqué : « Vous n’avez pas idée de ce à quoi ressemblaient les mangroves, c’était un vrai plaisir de les regarder et de les admirer. Aujourd’hui, on ne les voit plus, elles ont été détruites, remplacées par un désert sur l’eau. »
Canada
Les Pessamit sont une communauté indigène de la nation Innue dans la province du Québec, au Canada. La hausse des températures engendre la fonte des glaces côtières et d’autres changements climatiques qui affectent gravement le mode de vie et la culture du peuple Innu. Les lacs ne gèlent pas l’hiver et les aînés ont donc du mal à se rendre sur leur territoire ancestral et à transmettre leur savoir traditionnel.
« Si vous ne pouvez plus parler de votre savoir, une certaine honte s’installe. Vous perdez un peu de dignité », a déclaré l’un d’entre eux.
Les Pessamit subissent aussi les répercussions des barrages hydroélectriques situés sur leurs terres ancestrales, tandis que l’industrie forestière abat les arbres. Un aîné a déclaré : « Ceux qui ont construit les barrages, ils les installent mais ne font pas attention. Il y a des poissons dans les fleuves, mais ils s’en fichent. Il y a des animaux, ils ne s’en soucient pas. Même si cela inonde les terres, ils ne se préoccupent pas des humains, encore moins des animaux. »
Sénégal
La Langue de Barbarie est une péninsule située au Sénégal où vivent près de 80 000 personnes dans des villages de pêcheurs densément peuplés. C’est l’un des sites du continent africain les plus exposés au changement climatique, menacé par la hausse du niveau de la mer et en proie à des inondations et à des marées de tempêtes fréquentes.
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Les habitant·e·s expliquent que ces phénomènes climatiques ont endommagé les pêcheries, les privant ainsi de tout moyen de gagner leur vie. La perspective de devoir partir est dévastatrice pour certains :
« Nous envisageons de partir, mais nous n’en avons pas vraiment envie. Parce que si vous voulez tuer un pêcheur, il vous suffit de l’éloigner de la mer », a déclaré un pêcheur local.