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Robert Falony qui est un militant socialiste de toujours, qui fut journaliste au « Peuple », à « la Wallonie », au « Matin », au « Journal du Mardi », à l’éphémère hebdomadaire « l’Eglantine » et auteur de nombreuses chroniques. Il vient de publier un livre où il analyse un siècle d’histoire à travers l’impérialisme. Il n’écrit pas comme Lénine qu’il s’agit du stade suprême du capitalisme (1) mais il pense qu’il est fondamentalement lié au capitalisme dans sa course folle vers de plus en plus de profit.

Son ouvrage comprend trois parties : la première intitulée « 1914 : le naufrage de l’Europe et du Socialisme part des origines de la Première guerre mondiale jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit d’une analyse critique de l’histoire d’un siècle. La seconde « Dans les tourmentes de l’impossible neutralité » passe en détail cinquante épisodes qui ont marqué l’histoire de la Belgique dans le monde et du socialisme en ce pays. Le troisième volet « III et maintenant ? » tire les conclusions. Le livre s’achève par un lexique « iconoclaste à l’usage d’économistes atterrés ».

Nous faisons ici une longue recension la première partie, parce qu’elle tire en 189 pages les leçons sur chaque épisode important de l’histoire mouvementée de 1914 à 2014 et de l’évolution chaotique du socialisme et de la gauche. Et ces 189 pages sont déjà un résumé ! Ce qui rend leur lecture aisée et passionnante. Il est nécessaire en effet que le lecteur puisse s’imprégner de ce texte qui est un ouvrage de référence pour tout qui s’intéresse à l’histoire de la gauche et à l’histoire en général et qui souhaite tirer les leçons des transformations profondes que nous vivons.

Pierre Verhas

(Les intertitres sont d’Uranopole)

Robert n’analyse pas les contradictions du capitalisme, mais celles de la social-démocratie. Avant la Révolution russe, les partis socialistes s’appelaient « sociaux démocrates » comme en Allemagne et en Russie. En Belgique, le nom était Parti Ouvrier Belge. Le qualificatif « socialiste » était rarement utilisé sauf pour la IIe Internationale.

Le naufrage de la IIe Internationale

Cette IIe Internationale qui s’effondra avec l’assassinat de Jaurès étant incapable d’assurer la volonté de paix de la classe ouvrière mondiale contre les impérialismes et les nationalismes exacerbés en ce début d’été 1914.

Et pour Falony, c’est l’effondrement de cette IIe Internationale en août 1914 qui marqua la fin de l’Europe et la fin du Socialisme. « Un siècle plus tard, ce naufrage de l’Internationale nous interpelle toujours autant. La question de fond reste si importante que la gauche socialiste d’esprit critique doit lui apporter une réponse de fond, une réponse actuelle. » La problématique fut l’incompréhension de la puissance du fait national.

Une opposition à la guerre se dessina dès fin 1914 au sein du SPD en Allemagne grâce à l’action courageuse « guerre à la guerre » de Karl Liebknecht et de Rosa Luxembourg. Les socialistes des pays neutres comme les Suisses et aussi les Italiens qui n’étaient pas encore engagés dans la guerre tentèrent de réunir le Bureau de la défunte Internationale Socialiste qui s’était réfugié en Hollande et dont le secrétaire était le Belge Camille Huysmans qui ne donna aucune suite. Au terme d’hésitations et de tergiversations diverses, à l’initiative des Suisses et des Italiens et avec les bolchéviks russes, une conférence se tint à Zimmerwald en Suisse. Elle sonna le réveil de l’internationalisme. Une autre conférence eut lieu en avril 1916 à Kienthal.

Il était convenu de jeter les bases d’un nouvel internationalisme, mais il surgit une division entre les « pacifistes » et une minorité dirigée par Lénine qui veut tirer parti de la « guerre impérialiste » pour déclencher la révolution prolétarienne.

L’horreur de la guerre et Rosa Luxemburg

La guerre s’enlise dans l’horreur. En Russie, tous les éléments sont réunis pour déclencher la Révolution. Pour Robert Falony, la deuxième Révolution russe est « une conséquence de la guerre et de la défaite, elle aurait été impossible sans ce désastre. » Et il conclut : « Donc : assumons la Révolution d’Octobre en tant qu’instant de l’histoire. Un instant unique qui ne s’est reproduit nulle part et que des générations ont proposé abusivement comme modèle universel. »

Et c’est la social-démocratie au pouvoir dans une Allemagne exsangue avec à sa tête le droitier Noske qui est en collusion avec l’aristocratie et les militaristes allemands. Il fait appel aux corps francs contre les spartakistes. « Rosa Luxembourg est hostile à un coup de force minoritaire, mais elle refuse de se séparer du mouvement de masse : ainsi est né dans la douleur et la confusion le parti communiste. »

Après les combats de Berlin, la révolution est vaincue. Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht sont assassinés par les militaristes le 15 janvier 1919. Robert Falony analyse ensuite les polémiques qui opposèrent Lénine à Rosa Luxembourg pour laquelle il ne cache pas son admiration. En effet, Rosa Luxembourg est opposée à un parti dirigé par des révolutionnaires professionnels et après la révolution russe, elle refuse de séparer le pouvoir révolutionnaire de la démocratie. Débat qui ne concerne pas seulement les partis communistes mais l’ensemble des partis sociaux-démocrates en Europe. Elle n’aura pas connu Kronstadt. Mais elle l’avait prédit. C’est ainsi que la 4e Internationale (trotskiste) parle des « erreurs de Rosa Luxembourg ».

Ensuite, pour répondre aux staliniens et à ceux qui confondent dictature du prolétariat avec bureaucratie, Robert Falony réplique : « De même qu’en démocratie bourgeoise la classe possédante exerce dans le domaine économique et financier une dictature de fait, de même la « dictature du prolétariat » pourrait être simplement le contrôle par le plus grand nombre des moyens de production, de distribution et d’échange, c’est-à-dire la démocratie économique sans préjudice de la démocratie formelle. »

L’entre deux guerres

Ensuite, l’auteur brosse le tableau de ce que nous appelons aujourd’hui l’entre deux guerres : la scission de l’Internationale, la naissance du fascisme, la crise de 1929, les aberrations du stalinisme avec les procès de Moscou, la mort de la république de Weimar avec la prise de pouvoir de Hitler, la France des années trente.

En ce qui concerne le courant pacifiste qui était assez puissant à gauche dans les années trente, Robert Falony écrit : « … nombreux sont aussi les pacifistes, justement horrifiés par l’abominable guerre de 14-18 – « Plus jamais ça ! » – qui s’engagent aussi sur une fausse voie : ils ne comprennent pas la vraie nature du régime nazi, que l’Allemagne de 1936 n’est plus celle de 1914. Il n’y a plus de front antimilitariste possible au plan international si toute capacité d’en former un a été abolie. » Cette gauche là n’a pas contribué à sauver la paix !

Arrive la décennie 1930-1940, les « années trente ». Tout d’abord, la grande dépression de 1929 amena des gouvernements de droite en Belgique à appliquer une politique déflationniste. Des troubles graves éclatèrent en 1932 et le Parti Ouvrier Belge dans l’opposition adopta au Congrès de Noël 1933 le « Plan du Travail » d’Henri de Man. Ce plan qui comportait des éléments dirigistes eut un large succès populaire. En mars 1935, le P.O.B. rentra au gouvernement Van Zeeland avec de Man et Spaak. Il dévalua le franc de 28 % : « L’attachement de la plupart des dirigeants à l’étalon-or, cette « relique barbare », s’effaçait devant la dure nécessité ». Les élections de mai 1936 amenèrent le succès de l’extrême-droite avec les rexistes et les nationalistes flamands du VNV. En juin 1936, il y eut une vague de grèves qui  en parallèle avec la situation française, aboutit à des accords sociaux similaires. « La justice sociale est en marche » titrait Le Peuple.

Robert Falony se penche en quelques lignes sur le cas du leader socialiste bruxellois Paul- Henri Spaak qui devint Premier ministre et ministre des Affaires étrangères en mai 1938 (2). Il se fit « le héraut d’une politique étrangère dite « neutraliste », adossée sur le roi Léopold III. C’était là une position que le précédent d’août 1914 rendait totalement illusoire. N’y avait-il que cela ? » En réalité, c’était la position des classes dominantes qui souhaitaient composer avec la « nouvelle Allemagne ».

1936, ce fut aussi la guerre d’Espagne. « La guerre civile en Espagne a commencé bien avant juillet 1936 ! ». La lutte des classes y était intense et la monarchie renversée en 1931 donna naissance à une seconde République faible et haïe par la bourgeoisie, l’église et l’aristocratie. La gauche était divisée. Il y avait lutte entre les anarchistes et les socialistes et les socialistes eux-mêmes étaient divisés. Les élections de 1936 qui amenèrent le Front populaire mirent les anarchistes de côté. « Ce qui a été dit (…) de l’Italie de 1920-1922 est encore plus vrai pour l’Espagne d’alors : un mouvement révolutionnaire divisé et qui tourne en rond est perdu. »

Cela annonça le coup d’Etat de Franco du 18 juillet 1936. La guerre civile s’acheva avec la chute de la République en 1939. La guerre d’Espagne avait été le banc d’essai de la Seconde guerre mondiale.

Dès lors, la voie était tracée pour Hitler. Après avoir absorbé l’Autriche, il y eut Munich en 1938. La Bohème et la Moravie tombent entre les mains de l’Allemagne et la proie suivante fut la Pologne. Pendant ce temps-là, le militarisme japonais dès 1927, imposa une politique d’expansion territoriale, mit la main sur la Mandchourie en 1931. Shanghai fut bombardé en 1937 et les Japonais envahirent la Chine.

La guerre à nouveau

Vint ensuite en 1939, le Pacte germano-soviétique. Robert Falony estime qu’il s’agit d’un pacte de non-agression. Il écrit : « … si Staline pouvait tirer une conclusion de l’affaire de Munich, c’est bien que la pusillanimité de Londres et de Paris rendait improbable une alliance sérieuse avec lui face à la montée du nazisme. » S’il n’y avait eu la Pologne comme état tampon, la classe dirigeante franco-britannique n’aurait pas vu d’un mauvais œil une attaque de l’Allemagne contre la Russie soviétique.

Ce pacte jeta le trouble sur les partis communistes occidentaux, Moscou prétextant qu’il lui faisait gagner du temps et de l’espace. Argument dramatiquement démenti par l’attaque allemande du 22 juin 1941 qui surprit Staline. Et l’Armée rouge n’était pas prête à encaisser ce choc.

La débâcle de 1940, la résistance héroïque des Britanniques, la guerre en mer, la neutralité de l’Amérique et enfin, l’entrée de l’Amérique en guerre suite à l’incroyable attaque de Pearl Harbour. « Il y a un mystère Pearl Harbour » pour Robert Falony, tout comme lors du 11 septembre 2001.

Lorsqu’à Casablanca en janvier 1943, Roosevelt et Churchill exigèrent la reddition inconditionnelle de l’Allemagne, ce fut une « formulation de type nationaliste » selon Robert Falony. Cela n’a pas facilité les complots contre Hitler. « C’est la liquidation du régime nazi qu’il fallait exiger explicitement, la restauration de la démocratie et des libertés publiques en Allemagne. »

De même, le débarquement des forces alliées en 1944 et les sacrifices consentis ont « motivé pour des générations un devoir de reconnaissance éternelle envers les Etats-Unis. Oui, mais (…) ces hommes sont tombés « pour notre liberté » et pour les intérêts de l’empire américain. Ils sont tombés parce que Hitler, pur produit de la crise de 1929, n’a pas été arrêté à temps. Et nous devons au moins nous souvenir des millions de soldats russes tués en affrontant la Wehrmacht, victimes, eux, des « erreurs » de Staline. »

Le triomphe de la barbarie

La fin de la guerre amène à une réflexion fondamentale sur le triomphe de la barbarie comme l’écrit Falony. L’inventaire des atrocités est terrible, mais l’auteur insiste sur le fait que si ces tueries touchèrent l’Europe de l’Ouest, elles furent bien pires en Pologne, en Russie ou dans les Balkans. Et il y a bien sûr l’horreur des camps de concentration. Robert Falony ajoute : « … il y a dans le génocide subi par les Juifs quelque-chose d’unique dans l’histoire : pas seulement par le nombre de victimes (…) mais surtout parce que l’organisation scientifique de ce génocide a été le fait d’un Etat moderne, d’une nation industrialisée et cultivée, l’Allemagne. » La Turquie du génocide Arménien de 1915 n’était pas un Etat moderne, mais les deux génocides eurent lieu pendant une guerre.

Et Falony réfute la théorie comme quoi « Tout a été perçu comme s’il y avait une distance infranchissable entre les violences de la « Nuit de cristal », du racisme ordinaire, et les fours crématoires. Or, cette distance n’existait pas. Lorsqu’on s’engage dans la voie de la discrimination ethnique, le chemin risque d’être sans bornes. Le pogrome est l’ancêtre du four crématoire. »

« Après Auschwitz et Dresde, la barbarie avait encore une dernière cime à atteindre : Hiroshima et Nagasaki. » La bombe atomique a profondément changé la stratégie et les rapports de forces entre grandes puissances. Robert Falony se penche d’abord sur les origines du projet « Manhattan » d’élaboration de la bombe avec, notamment, l’exploitation de l’Uranium du Congo belge.

Les deux blocs et la guerre froide

La fin de la guerre engendra l’ONU et ce que l’auteur appelle le « Conseil d’insécurité ». Robert Falony pense que la faiblesse innée de cette organisation est due à deux principes contradictoires dans sa Charte : d’une part, une aspiration démocratique universelle et d’autre part, le respect de la souveraineté des Etats. L’Assemblée générale sert de tribune et le Conseil de sécurité est une « caverne de brigands », champ clos des rivalités impérialistes.

Cela n’a pas empêché la guerre froide. Tout d’abord, une rupture idéologique entre l’Est et l’Ouest. Les partis communistes occidentaux ont été chassés des gouvernements en 1946 et en 1947, ce qui provoqua une nouvelle division de la gauche. On en était revenu aux années vingt ! Il y eut la frénésie Maccarthyste aux USA et aussi de nombreux foyers de tensions, mais sans guerre, dès 1948. En 1949, c’est la fondation de l’OTAN. Cette nouvelle alliance clairement au service des intérêts américains fut ressentie par Moscou comme une tentative d’encerclement qui répliqua par le Pacte de Varsovie.

Une vraie guerre éclata en Corée en juin 1950 suite à l’invasion de la Corée du Sud sans doute avalisée par Staline. Les Américains réagirent sous le drapeau de l’ONU avec la participation d’armées alliées dont un bataillon belge. Cela aboutit à un statu quo entre les deux Corées. En attendant, les Soviétiques avaient mis au point leur propre bombe nucléaire. L’équilibre de la terreur était atteint.

Suit le réarmement allemand, l’échec de la CED (Communauté européenne de défense), l’entrée de l’Allemagne de l’Ouest dans l’OTAN. Tout cela s’achève par la crise des missiles de Cuba en 1962 et qui fut la dernière de cette intensité.

La décolonisation : une dramatique occasion manquée

Entre temps, la décolonisation débuta dès 1948 par la partition des Indes britanniques. Les guerres d’Indochine et d’Algérie avec notamment le gouvernement socialiste de Guy Mollet qui intensifia la guerre. « Il reste une figure des moins glorieuses de la social-démocratie d’après-guerre » (3). La guerre d’Algérie emporta la Quatrième république. Il n’empêche que la gauche française et la gauche belge se sont engagées à fond pour l’indépendance de l’Algérie. Néanmoins, la leçon à tirer est : « lorsqu’un peuple est acculé à la violence, celle-ci finit par régir les rapports entre colonisés et colonisateurs, mais entre colonisés eux-mêmes. » Et on va retrouver « cette culture de la violence » en Asie et en Asie du Sud-Est.

Falony se penche bien entendu sur la décolonisation du Congo. « La crise congolaise de 1960-1961, quant à elle, devait beaucoup à l’impréparation de l’immense colonie belge à son indépendance. La bourgeoisie belge somnolente face à l’évolution du monde et totalement surprise par l’émeute de Léopoldville de janvier 1959, fut acculée à concéder une indépendance nominale dont la date fut fixée au 30 juin 1960. » La Société générale et l’Union minière jouèrent sur les divisions au sein de la population congolaise et le seul homme politique qui avait une vision politique d’un Congo unitaire, Patrice Lumumba, fut assassiné dans des conditions atroces au Katanga. Sa liquidation fut préparée à Bruxelles et à Washington.

La sécession du Katanga fut quand-même vaincue et le principe des frontières intangibles en Afrique fut définitivement fixé, ce qui n’empêcha pas les guerres et les conflits internes.

Deux camps et les « trente glorieuses »

Mais le monde est lui aussi figé en deux camps. Cependant pas pour longtemps. Dans le « camp socialiste », il y eut l’affaire de Yougoslavie et plus tard, le schisme sino-soviétique. Et une troisième force survint : les non-alignés à la conférence de Bandoeng en 1955. Mais le neutralisme n’eut guère de succès. En Europe, une partie de la gauche, qui rejetait l’atlantisme ne fut pas tentée par le non-alignement, à l’exception d’une partie des travaillistes anglais.

En Belgique, la gauche critique à l’égard de l’atlantisme ne se rallia pas au non-alignement. Elle était plus préoccupée par les risques causés par l’arme nucléaire et la course aux armements. C’est ainsi qu’elle organisa les Marches antiatomiques dans les années 1960 et en 1981 le grand mouvement contre les Euromissiles.

Sur le plan économique et social, ce furent les « trente glorieuses » avec un pétrole bon marché, une industrie connaissant un développement technologique inégalé, la consommation encouragée par le crédit. Cela aveugla le mouvement ouvrier européen – à l’exception de l’aile gauche syndicale – qui ne vit que le partage d’un gâteau qui ne cessait de croître. Mais le système monétaire commençait à donner des signes de déséquilibre et en 1973, la guerre israélo-arabe provoqua le quadruplement du prix du pétrole. Une récession généralisée eut lieu en 1974 – 1975, accompagnée d’une inflation sans égale depuis la fin de la guerre.

Cette période eut l’avantage d’ouvrir les yeux surtout après la décision de Nixon de sortir le dollar du système de Bretton Woods en 1971. S’en suivit une crise monétaire qui n’est toujours pas terminée. En 1980, Reagan et Thatcher lancent la dérégulation néolibérale. Tout cela aboutit à la crise financière de 2008 dont nous subissons les conséquences, sans doute pour longtemps encore.

De grands organismes comme le FMI, la Banque mondiale instaurent un « néo-colonialisme subtil » dans le Tiers-monde.

Les pâles « lueurs révolutionnaires »

Mais des « lueurs révolutionnaires » s’allumèrent un peu partout. Robert Falony analyse les différents mouvements révolutionnaires de la fin des années 1960 et de la décennie 1970. En 1974, la révolution des œillets renverse le régime de Caetano, successeur de Salazar, mais généra une social-démocratie droitière. Mai 68 en France fut aussi un échec « hormis dans le domaine des mœurs ». Le parti communiste et la CGT encadrèrent la classe ouvrière sans aucune intention révolutionnaire. Dans l’autre bloc, le printemps de Prague en Tchécoslovaquie fut écrasé par Brejnev « parce que cette tentative n’avait plus rien à voir avec un « modèle » conforme aux intérêts de la bureaucratie dirigeante. » Ensuite, dans les années septante, de petites fractions de la gauche sombrent dans le terrorisme. Robert Falony fustige cet aventurisme sanglant et suicidaire. Sur l’autre continent, le mouvement hippie issu de la révolte des étudiants de Berkeley contre la guerre du Vietnam aboutit à l’impasse, parce qu’il est impossible de s’évader de la société réelle (4).

Le capitalisme fou

L’Union Soviétique s’effondre. Gorbatchev a échoué dans son entreprise de réforme et son successeur Eltsine amène l’ancienne Nomenklatura au capitalisme. Elle devient l’oligarchie en pillant ce qu’il reste de la Russie. La Chine de son côté choisit la voie de l’économie de marché et la bureaucratie chinoise a dépassé la soviétique en corruption et opulence.

L’Europe de son côté ne parvient pas à se construire. C’est le triomphe de la non-Europe. Il est impossible d’élaborer une Europe sociale. L’Unice (le patronat européen) s’oppose farouchement à un système européen de conventions collectives pour améliorer la situation des pays à bas salaires. Même la démocratie est en déclin en Europe avec la France et son régime de monarchie élective et l’Italie avec son pouvoir fragile et souvent corrompu.

Pendant ce temps là, le capitalisme devient fou. L’école de Chicago impose ses dogmes dans tout le monde occidental. Les faillites se multiplient et atteignent leur paroxysme avec la faillite de la banque Lehman Brothers en 2008. Robert Falony attire l’attention sur la montée en puissance de l’économie souterraine et mafieuse.

Le déclin de la social-démocratie

Quant à la social-démocratie, la chute de l’empire soviétique la laissa seule avec elle-même. Elle a raté l’occasion de marquer l’histoire, bien qu’elle ait fait partie, voire dirigé la plupart des gouvernements de l’Union européenne. Robert Falony fait ce constat amer : « A défaut de faire barrage à la vague néo-libérale, de mettre en cause la libre circulation des capitaux, ces partis auraient pu au moins donner une impulsion nouvelle à la construction nouvelle, dans un sens fédéraliste. Il n’en fut rien, ils en restèrent à la primauté du « fait national ». Et que dire d’une Internationale socialiste qui accueillait en son sein quelques dictateurs hors d’Europe, comme le Tunisien Ben Ali ? » Aujourd’hui, les partis sociaux-démocrates n’ont pratiquement plus de militants, ils ont des technocrates. Elle ne pense plus, elle ne réagit plus. « Même la crise financière de 2008 l’a laissée relativement impavide. »

On n’est plus au temps de Karl Marx.

Le tableau est certes noir. On ne peut guère être optimiste, mais Robert Falony, fort de son expérience, de son immense culture et de son bon sens ne jette pas pour autant l’éponge. Il est convaincu que le capitalisme est arrivé à un point où il ne peut plus résoudre ses contradictions. Selon lui, les économistes alternatifs, comme les « économistes atterrés », doivent franchir un pas supplémentaire : se tourner vers une économie dirigée.

L’économie au service de l’homme, en quelque sorte.

Pierre Verhas (publié antérieurement sur uranopole.over-blog.com le) 29 décembre 2014

Robert Falony 1914-2014 La véritable histoire du siècle en Belgique et dans le monde

Editions Jourdan, Paris, 2014 (www.editionsjourdan.fr)

ISBN : 978-2-87466-360-4

Prix (France) : 18,90 Euros

Notes

(1) Il y eut deux éditions de l’ouvrage de Lénine intitulé : « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme », l’une parue en 1913 et l’autre après la seconde révolution russe fin 1917. Il est intéressant d’en analyser les différences !

(2) Paul-Henri Spaak représente le type même de l’homme politique social-démocrate occidental qui pratiqua la collaboration de classe en s’alignant sur la droite libérale et sur l’atlantisme le plus dur, alors qu’il avait été auparavant neutraliste et même partisan du « socialisme national » de Henri de Man. À la fin de sa vie, il a trahi son engagement au Parti socialiste en rejoignant son adversaire politique de l’époque, le FDF, parti francophone bruxellois qui fut fondé en opposition aux lois dites linguistiques de 1963 dont le même Spaak fut un des promoteurs comme Vice-Premier ministre du gouvernement Lefèvre-Spaak. Le PS à Bruxelles ne s’est jamais totalement remis de cette trahison.

(3) On compare souvent François Hollande à Guy Mollet qui ont pas mal de points communs. Une politique belliciste à l’extérieur et une politique libérale à l’intérieur.

(4) Ajoutons qu’une partie de ce mouvement dont une des leaders fut Ayn Rand prôna la pensée « libertarienne » : un capitalisme sans règles, une sexualité libre, le commerce libre de la drogue, bref la liberté totale économique et de mœurs. C’est un des courants du néolibéralisme actuel. De même, certains leaders « soixante-huitards » français sont passés du maoïsme ou du trotskisme, ou encore du situationnisme au néolibéralisme le plus pur et dur. D’une démarche totalitaire à l’autre, en somme.