Face à l'opposition croissante et combien justifiée envers l'Europe du grand capital et la dictature budgétaire qu'elle exerce- et dont la Grèce a été la principale mais non la seule victime- une partie de la gauche se retrouve à une sorte de carrefour. "Le Monde" du 20-21 septembre consacrait toute une étude à ces ratiocinations dont les intellectuels parisiens raffolent, et dont une partie sont soupçonnés de faire maintenant le jeu du Front national. Le cas Jacques Sapir est le plus pendable, mais laissons là les jeux narcissistes. La controverse de fond porte sur le mot "souverainisme", et sur ceux qui seraient tentés par une sorte d'alliance "objective" avec la droite "souverainiste". Quelle confusion!
D'abord sur le sens même des mots: la "souveraineté du peuple" est une abstraction universelle, elle devrait unir les nations et donner le même sens au mot "démocratie". La "souveraineté nationale", c'est toute autre chose, c'est même le contraire. C'est la vieille "patrie" qui s'approprie jusqu'à votre vie, et vous oppose par la naissance aux autres peuples, c'est l'Etat vindicatif envers les autres nations. N'ignorons pas qu'il y a une composante de gauche, de nos jours, parmi les indépendantistes écossais ou catalans. Mais ce sont des vendeurs d'illusions. Ils ont déserté le terrain de la lutte de classe au profit d'une vieille utopie, qui dissimule souvent une certaine forme d'égoïsme collectif.
Sortir de la zone euro et de son carcan? En quoi serait-ce un progrès? Pour en revenir à la vieille spéculation monétaire intra - européenne? Mieux vaut revendiquer la mutualisation des dettes dans la zone euro, non pas le retour à des monnaies nationales qui seraient pour la plupart dévaluées.
Le pire est cependant la fascination qu'exerce sur les esprits faibles le discours populiste de droite, tout pétri de haine, du Front national, avec ses faux accents de gauche. Tel le national-
socialisme de la grande dépression... (celle qui est devant nous?). Le Front national est la dernière carte à jouer du grand capital. En quoi menace-t-il les sociétés multinationales? Entre
Le Pen fille et Le Pen père, il n'y a qu'une querelle de famille, d'ego. Une Marine Le Pen à l'Elysée, ce serait d'une manière ou d'une autre la fin des libertés démocratiques en France, à la faveur de la Constitution "monarchique" instaurée par De Gaulle pour lui-même, sottement face à l'avenir, et que Mitterrand a perpétuée.
La construction européenne, cette tour de Babel toujours inachevée, est une fausse Europe, mais une vraie machinerie néo-libérale. Le parlement à pouvoirs réduits est élu selon des procédures nationales et est dominé par la droite. La Commission émane des gouvernements, et le Conseil des ministres fonctionne à l'intergouvernemental. Bien avant la fatale catastrophe de l'effondrement du bloc de l'Est, l'Europe occidentale avait déjà renoncé à toute vocation fédéraliste.
La gauche ne doit pas perdre sa mémoire historique. Il a existé un mouvement socialiste pour les Etats-Unis d'Europe, dont les militants ne voyaient pas d'avancée vers le socialisme dans les cadres nationaux étriqués. Avaient-ils tort? Certes, et avant tout, toute question européenne doit être envisagée "d'un point de vue de classe". Mais pas d'un point de vue national! Les néo-souverainistes "de gauche" font fausse route!
Robert Falony - (publié antérieurement dans 'la lettre socialiste' numéro 71 de) - septembre 2015
P.s. Les élections portugaises viennent de voir le recul de la droite et la gauche radicale à 18%.
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