Les dernières péripéties qui ont secoué l’Union européenne et ses institutions délient les langues. Après le « Brexit », le paroxysme est atteint avec l’embauche de Barroso à Goldman Sachs, sans oublier les sanctions décrétées par la Commission européenne à l’Espagne et au Portugal pour déficit excessif.
Quand on sait que l’excès de déficit du Portugal est dû au renflouement d’une banque en faillite que l’Etat lusitanien a dû aider pour préserver la stabilité des sacro-saints marchés, on peut s’étonner de l’intransigeance de la Commission si prompte à se plier aux mêmes marchés, intransigeance que d’aucuns trouvent excessive et surtout contreproductive.
Des sanctions pour « camoufler » une nouvelle crise bancaire ?
En outre, selon l’économiste en chef de la Deutsche Bank, David Folkerts-Landau, il faudrait créer un fonds de 150 milliards d’Euros – rien que cela ! – pour renflouer les banques européennes. En Italie, au Portugal et en Grèce, le poids des « créances douteuses » - euphémisme pour signifier des produits dérivés pourris – va crescendo : 18 % en Italie, 13 % au Portugal et 34 % en Grèce, sans oublier l’Irlande qui atteint 15 %. En outre, selon la banque centrale européenne, les mêmes « créances douteuses » s’élèvent à 950 milliards d’Euros dans les grandes institutions bancaires.
La cause en est la récession de 2012-2013 et la croissance quasi nulle des économies européennes. Bref, tout cela est consécutif des politiques d’austérité imposées par… l’Union européenne.
Couverture du numéro du 8 juillet de l'hebdomadaire de la City, "The Economist"
C’est d’Italie que viendra sans doute la prochaine crise bancaire. D’après le financier belge de New York, Georges Ugeux, sur son blog «Démystifions la finance » hébergé par le « Monde.fr », « la crise des banques italiennes sera la prochaine crise européenne. » Il ajoute :
« On ne pouvait ignorer la gravité de la situation. Or les banques italiennes ont un pourcentage de dette souveraine qui atteint de telles proportions que la demande de la commission de limiter l’encours de dette souveraine propre des banques a été rejetée par le véto du premier Ministre italien, Matteo Renzi. La limite était de 10% des actifs des banques et l’Italie est à 10,4% auxquels il faudrait ajouter les 7% de risques souverains. On se sert avant d’assurer la stabilité financière des banques: a 1,43% pour dix ans, les obligations italiennes sont subsidées d’au moins 3%.
Quelle est la proportion des actifs de la BCE qui sont soit dans la dette souveraine soit dans la dette bancaire du pays? Même cette information essentielle au contrôle de ses activités n’est pas disponible dans le fouillis de ses statistiques. Ce manque de transparence ouvre la porte à toutes les suspicions. Pour ma part, j’estime le risque italien à 25 % des 3.000 milliards du bilan de la BCE, soit près de 750 milliards d’euros. Cela limite les possibilités futures d’intervention. »
La situation – on s’en rend compte – est devenue plus que périlleuse. Le « Brexit » est un échec pour l’Union européenne, l’intransigeance excessive de l’Eurogroupe – autrement dit de l’Allemagne – pourrait entraîner la catastrophe en plus d’une crise bancaire annoncée. Mais, comment en sortir ?
Il est intéressant, surtout dans de pareilles circonstances, de lire ce que disent les « anciens » qui ont participé à la construction européenne. Et ce n’est guère étonnant qu’ils s’expriment pour le moment leur colère. Epinglons deux interviews : dans le « Figaro » du10 juillet 2016 celle d’Hubert Védrine, l’ancien ministre des affaires étrangères français à l’époque de la cohabitation entre Chirac et Jospin, et dans le « Soir » du 12 juillet l’interview de Pierre Defraigne, directeur du Centre Madariaga – Collège d’Europe de Bruges et ancien chef de cabinet d’Etienne Davignon lorsqu’il était vice-président de la Commission européenne.
Hubert Védrine, ancien ministre français des Affaires étrangères considère que les élites devraient écouter le peuple.
Le peuple : l’oublié de l’Union européenne
Hubert Védrine parle du grand oublié de l’Union européenne dont un s’est rappelé au bon souvenir des institutions de Bruxelles avec le « Brexit », le peuple.
« Les gens veulent plus de démocratie proche et identifiable, et moins de ces institutions qui se veulent omnipotentes et omniscientes. L’urgence est de ne pas laisser passer cette occasion, peut-être la dernière que nous fournit le choc du Brexit, de repenser l’Union européenne en profondeur. »
L’ancien ministre français des affaires étrangères rappelle combien ce qu’on appelle l’Europe est impopulaire.
« Fait-il rappeler aussi que Maastricht est passé à 1 % en dépit du poids de Mitterrand et du soutien des élites ? Que le Traité Constitutionnel européen de 2005 a été rejeté à 55 % ! Que les Néerlandais avaient voté contre, plus encore que la France. C’est un problème qui a plus de vingt ans.
Je trouve consternant l’aveuglement de ces élites qui ne veulent jamais se remettre en cause et acceptent de voir dépérir leur lien avec la démocratie. Après quoi, condamner le populisme ne sert à rien. C’est comme condamner la fièvre (…) Les peuples sont en convulsion parce qu’ils se sentent abandonnés, délaissés et méprisés.
Condamner le populisme sans traiter ses causes, ce n’est pas plus efficace que d’asperger un vampire avec de l’eau bénite. »
On se souvient des propos de Daniel Cohn Bendit qui estimait que le peuple n’a pas toujours raison. Il oublie que le peuple a aussi ses raisons comme il les exprime à chaque consultation. Eh bien ! Le peuple, cet oublié, s’est rappelé par le référendum sur le « Brexit » au bon souvenir des élites qui dirigent les institutions européennes.
Tout est chamboulé.
Le « Brexit » a eu un effet dévastateur. Si on écoute Pierre Defraigne, plus rien ne sera jamais comme avant. Le TTIP – le traité commercial transatlantique – est remis en question. « Négocier le TTIP devient caduc avec le Brexit » affirme le directeur du Collège d’Europe de Bruges.
Pierre Defraigne : le TTIP est désormais caduc.
Tout d’abord, la négociation sur le TTIP qui continue « comme si de rien n’était » n’aboutira certainement pas sous l’administration Obama. En premier lieu, c’est à cause de la campagne présidentielle aux Etats-Unis où Obama ne veut pas mettre Clinton en difficulté face à Trump.
Le point critique, en effet, est les marchés publics.
« Dans ce domaine, l’Europe a imprudemment ouvert son marché, alors que les Américains l’ont réservé, surtout pour ce qui concerne les chantiers des villes et des Etats fédérés, au bénéfice des PME. Les Etats-Unis ne feront pas de concessions sur ce point, et on n’aura tout simplement pas d’accord à signer. »
On observe, une fois de plus, que l’Europe est engluée dans la dogmatique ultralibérale du libre échange et de l’ouverture des marchés, alors que les Etats-Unis sont bien plus pragmatiques et préservent les intérêts de leurs entreprises et de la population américaine.
En plus, il y a une série d’inconnues : il y aura un nouveau Congrès américain dans la foulée des élections présidentielles, le nouveau président devra nommer de nouveaux négociateurs.
Et, une fois de plus, c’est l’Allemagne qui pousse à conclure sur le TTIP. Pierre Defraigne le dit tout net :
« Le TTIP est un mirage. C’est une affaire mal emmanchée depuis le début, qui prouve le manque de vision stratégique de la part des leaders européens. La négociation a été entamée en 2013, à un moment où la pression de la Russie s’est accentuée sur l’Ukraine. Dans le même temps, les Etats-Unis pivotaient de plus en plus vers l’Asie. Cela a créé un mouvement de panique en Europe, où on a peur d’être abandonné. On a cherché à se raccrocher à tout prix au train américain, ce qui arrangeait bien une partie des entreprises exportatrices allemandes influentes au sein du gouvernement Merkel. »
Ces propos expriment clairement la situation en Europe :
Une peur panique d’un repli américain. Autrement dit, l’Union européenne refuse de se donner les moyens d’une politique indépendante et les dirigeants européens n’ont aucun courage pour tenter de s’orienter vers une politique plus affirmée.
Merkel, la plus forte au sein du Conseil européen, agit en fonction des intérêts des seules entreprises transnationales allemandes. L’Union européenne n’est plus que le champ clos des rapports de forces entre Etats-membres où, pour le moment, l’Allemagne détient les clés.
Quant au vote pour le « Brexit », Pierre Defraigne estime :
« … les gens lui [à l’Europe] reprochent de ne pas les avoir protégés contre la mondialisation. Mais même aux Etats-Unis, qui sont les grands gagnants de la globalisation, la répartition des fruits du libre-échange est loin d’être égalitaire. Ceux qui en ont profité, ce sont les actionnaires des grands groupes multinationaux, alors que les travailleurs ordinaires font figure de laissés pour compte. »
En conclusion, pour Defraigne :
« En Europe, c’est la crise de la zone euro qui exerce une pression déflationniste à cause de son dysfonctionnement. Cela ne peut être compensé que par la demande extérieure. (…) Dans ces conditions, de nouveaux accords commerciaux risquent d’aggraver encore des tensions sociales déjà fortes résultant d’un creusement des inégalités. »
Et nous ne sommes plus dans un jeu à parts égales :
« L’Europe est confrontée à un énorme problème d’innovation. Nous avons un grand retard sur les Etats-Unis et aujourd’hui même sur la Chine. En quoi un nouvel accord commercial va aider à résoudre ce problème ? »
Autrement dit : stop au TTIP !
Cela dit, il ne faut pas négliger les autre conséquences du « Brexit » comme la volonté de l’Ecosse, de l’Irlande du Nord et de Gibraltar de rester dans l’Union européenne quitte à se séparer du Royaume Uni, ce qui serait un bouleversement majeur.
Il y a cependant un élément nouveau et fondamental : le peuple s’est exprimé et a fait bouger les choses. Il demande clairement que l’on prenne une autre voie. C’est la première fois que cela se passe pour une question européenne. Dès lors, plus rien ne sera comme avant.
Mais qui va le faire ? Qui va prendre la place de cette « élite » au pouvoir depuis des décennies et qui refuse de se remettre en question ?
Pierre Verhas - 14 juillet 2016