Bien des observateurs se sont étonnés récemment de la demande de l’Autorité palestinienne de poursuivre la Grande Bretagne pour la déclaration de Balfour qui promettait la fondation d’un Foyer national juif en Palestine.
Cette déclaration s’inscrivait dans le contexte bien plus vaste du partage entre les deux puissances victorieuses de la Première guerre mondiale, la France et le Royaume Uni, des territoires formant l’empire ottoman en pleine déliquescence au Moyen Orient. Ce partage s’appelle les accords Sykes Picot du nom des deux diplomates qui les ont négociés.
Or, ce sont ces accords qui sont remis en question par l’ensemble des peuples de la région parce qu’ils ont provoqué un découpage territorial purement colonialiste qui ne correspond plus – et depuis longtemps – à la réalité. Et là-dessus se greffe l’inextricable conflit israélo-palestinien.
Depuis la guerre du Golfe lancée en 1991 par George Bush senior et le maelström déclenché par George W Bush junior en 2003 avec l’invasion illégale de l’Irak, un nouvel élément s’est greffé : les groupes terroristes qui agissent aussi bien sur le terrain qu’au-delà du Moyen Orient dont le principal s’appelle Al Qaeda. Par après, vers 2010 est née l’Organisation de l’Etat islamique ou Daesh, ou EI, ou encore ISIS qui est d’une nature bien différente de la « classique » organisation de feu Oussama Ben Laden.
George Bush junior et George Bush senior sont les responsables de la catastrophe du Moyen-Orient en agissant pour l'intérêt des compagnies pétrolières et leur propre intérêt.
L’Etat islamique est une révolution.
Ce nouveau groupe est déconcertant. On ne sait pas très bien ce que c’est sinon qu’il se livre à un terrorisme particulièrement violent et meurtrier et, pire, qu’il utilise la stratégie de l’horreur. Est-ce un Etat ? Est-ce un groupe terroriste plus fort et plus efficace que les autres ? Qu’est-ce que ce califat qu’il proclame ? Les réponses à ces questions restent floues et l’inefficacité coupable de nos gouvernants à éradiquer un terrorisme de plus en plus meurtrier est effarante et va générer – si cela continue ainsi – de graves troubles en Europe même.
« Notre échec dans la « guerre contre le terrorisme », ce sont d’abord nos réactions de colère et de vengeance : elles ajoutent au chaos et ne parviennent nullement à casser la dynamique révolutionnaire. Celle-ci caractérise le mouvement radical et progresse dans le monde arabe sunnite. » écrit Scott Atran dans un petit livre intitulé « L’Etat islamique est une révolution » (éditions Les Liens qui Libèrent, Paris, 2016). Scott Atran est un anthropologue franco-américain, professeur à l’Université d’Oxford et à l’Université du Michigan, ainsi que directeur de recherche au CNRS. Il est à l’origine de ce qu’on appelle les sciences cognitives et a étudié le phénomène Daesh de manière approfondie, notamment pour le Conseil de sécurité de l’ONU.
Scott Atran, anthropologue franco-américain, est un des meilleurs spécialistes de l'ISIS.
Sa thèse est claire : en fermant les yeux sur la capacité attractive de l’Etat islamique sur les jeunes Européens de culture musulmane, les autorités européennes et américaines commettent une grave erreur.
Atran avertit : « Alors que nombre de commentateurs réduisent l’islam radical à un simple « nihilisme », (…) nous sommes en présence d’un phénomène bien plus menaçant : un projet profondément séduisant visant à changer et à sauver le monde. »
En définitive, on se trouve face à un phénomène révolutionnaire que l’on pourrait comparer au national-socialisme germanique, à la différence qu’il est à l’échelle du monde. Un projet global, une mystique, une identité par rapport au monde non musulman qu’il veut éliminer. C’est le support à l’extrême violence dont usent les « soldats » de Daesh qui acceptent d’être tués au terme de leurs opérations.
Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin
George Orwell, dans sa recension de Mein Kampf publiée le 23 mars 1940, après la déclaration de guerre et un mois et demi avant le déclenchement des hostilités, considère qu’une des forces de Hitler est d’avoir « compris la fausseté de la conception hédoniste de la vie. » Orwell fait cette analyse : « La désolation intérieure qui est celle de Hitler lui fait ressentir avec une force exceptionnelle cette vérité que l’être humain ne veut pas seulement le confort, la sécurité, la réduction des heures de travail, l’hygiène, le contrôle des naissances, et, d’une manière générale, tout ce qui est conforme au bon sens. Il lui faut aussi, par moments en tout cas, la lutte et le sacrifice, sans parler des drapeaux, tambours et autres démonstrations de loyauté. Quelle que soit leur valeur en tant que doctrines économiques, fascisme et nazisme sont, du point de vue psychologique, infiniment plus pertinents que n’importe quelle conception hédoniste de la vie. Et cela vaut probablement aussi pour le socialisme militarisé de Staline. (…) Au bout de quelques années de sang et de famine, « le plus grand bonheur pour le plus grand nombre » est un bon mot d’ordre, mais en ce moment on lui préfère : « Plutôt une fin effroyable qu’un effroi sans fin ». Aujourd’hui que nous sommes en lutte contre l’homme qui a forgé ce dernier slogan, nous aurions tort d’en sous-estimer la puissance émotionnelle. »
George Orwell avait vu juste avant tout le monde.
C’est le même défi que pose Daesh. Des jeunes délaissés, enfermés dans leurs ghettos et sans perspectives voient dans le djihad une lutte totale. Ils acceptent et même recherchent le sacrifice qui est sacralisé. Ce n’est pas seulement la perspective ridicule des « 72 vierges » qui les anime, c’est avant tout la recherche de la distinction suprême de martyr.
L’Etat islamique s’est ainsi doté d’une armée composée de toutes les nationalités, ce qui n’a plus existé depuis la Seconde guerre mondiale où toutes les nationalités étaient représentées dans les deux camps.
Son objectif ultime est de recréer le califat. Contrairement à ce que l’on dit, ce n’est pas si farfelu. Le califat considéré par beaucoup d’observateurs comme le rêve absurde de reconstituer celui des Omeyades, serait en réalité une sorte d’association sous le même drapeau de l’Islam de tous les Etats arabes qui s’organiseraient sur le modèle de l’Union européenne. On voit d’ailleurs bien que l’Etat islamique intervient sur plusieurs terrains : l’Irak, la Syrie, mais aussi le Sinaï égyptien et la Libye.
L'Etat islamique est devenu une puissance redoutable avec une armée multinationale entraînée et fanatisée.
Cependant, Daesh a un rival, c’est la Turquie qui était jusqu’il y a peu son alliée et dont l’actuel président qui est sorti renforcé du vrai-faux coup d’Etat du mois de juillet, souhaite lui aussi reconstituer le califat d’Istanbul.
Si une alliance Turquie - Russie naît de cette récente rencontre entre Erdogan et Poutine, Daesh et les pays de la "coalition" ont du souci à se faire.
Où Daesh recrute-t-il ?
Atran explique : « Lorsque nous parlons de l’EI, nous décrivons non sans raisons un groupe vicieux, prédateur et cruel, mais nous omettons de préciser qu’il a aussi une véritable capacité d’attraction, et même qu’il procure de la joie à ceux qui le rejoignent. »
Et pour quelles raisons, tant de jeunes Européens musulmans franchissent-ils ce « Rubicon » mortifère ?
Par notre pusillanimité et par notre cupidité, nous avons laissé une génération se perdre. Cette génération n’intéressait pas les possesseurs de capitaux, car elle ne leur aurait servi à rien.
Pourtant, il y eut des signes, des avertissements. Rappelez-vous, en ce qui concerne Bruxelles, les émeutes de Forest et de Cureghem dans les années 1990. C’était déjà une alerte majeure. En dépit de déclarations matamoresques des politiciens de l’époque, rien de consistant n’a été fait. D’ailleurs en auraient-ils été capables ? En France, en dépit du « karcher » et de la « racaille » de Sarkozy, les forces de l’ordre ont été incapables d’endiguer les émeutes des banlieues en 2005.
Les émeutes à Bruxelles des années 1990 et en France en 2005 traduisaient le profond malaise d'une génération délaissée par des Etats faibles et un capitalisme tout puissant.
Des milliers de jeunes délaissés, méprisés, agressifs autant que victimes ont été oubliés par une société qui se proclame faussement ouverte et généreuse. Qu’a-ton pris comme « remèdes » ? Des cosmétiques comme les ZEP, ces zones dites d’éducation prioritaire qui, très vite, se sont transformées en écoles poubelles où régnait la loi des jeunes caïds régissant le marché de la drogue ou, déjà, l’islam radical était prêché par des imams dits de garage souvent issus de la péninsule arabique. On a recruté de prétendus éducateurs de rue qui n’avaient aucun pouvoir sur ces jeunes qui se moquaient d’eux. Une police dite de proximité qui, faute des moyens les plus élémentaires, n’avait le choix qu’entre une répression aveugle ou un laxisme coupable. Non ! En plus de la peur, électoralement, ce dossier n’intéressait personne ou était trop sensible. Aussi, on a laissé tomber. Et on s’est réfugié dans le déni : circulez, il n’y a rien à voir !
On a laissé tomber ? Il y en a un qui a cependant essayé, à la fois par calcul et par idéologie, Philippe Moureaux. Il avait vu juste sur le remplacement du « prolétariat » blanc de la région bruxelloise par un « prolétariat » allochtone essentiellement musulman qui pourrait renouveler et étendre l’électorat socialiste dans la région bruxelloise. Il a donc favorisé au niveau de la région bruxelloise, la présence en ordre éligible de nombreux candidats de culture musulmane, et il a pratiqué dans sa commune une politique sociale efficace à leur égard et – c’est ce qui lui est reproché – il a laissé bon gré mal gré le salafisme se répandre dans les « quartiers ».
Philippe Moureaux fut un des seuls hommes politiques à tenter à la fois par calcul politique et par sensibilité socialiste, d'intégrer les jeunes arabo-musulmans, mais il n'a pas mesuré le danger que représente le salafisme.
Pourquoi donc le salafisme dont les pratiques sont contraires à la culture occidentale appréciée par les jeunes pour ses aisances matérielles, mais méprisée pour ses valeurs, a-t-il eu un tel succès ? La raison en est une recherche d’identité chez les jeunes musulmans dont les familles sont disloquées et qui n’ont comme perspectives d’avenir que le chômage ou la délinquance, ou encore les deux ensembles.
Le salafisme (salaf signifie « ancêtre ») fait remonter l’Islam à ses origines. Et il prône le djihad – la guerre sainte – contre les mécréants qui polluent l’Oumma (le domaine de l’Islam) ou Dar al Islam (la maison de l’Islam). Il n’y a rien de plus mobilisateur comme identification. Voilà pour l’aspect religieux.
À cela, il faut ajouter les hadiths (paroles du Prophète) comme, par exemple : « Sachez que le paradis est à l’ombre du sabre. » C’est donc l’appel au djihad qui n’a rien à voir avec le « grand djihad » qui est un combat spirituel intérieur, un travail sur soi-même, qui est considéré par les salafistes comme déviant, car il serait né de « l’hérésie » soufie.
Atran écrit : « L’Etat islamique a pu s’appuyer sur l’ennui d’une société qui n’a pas connu la guerre ni un véritable combat pour ses valeurs depuis 70 ans. Il mise encore sur l’anomie d’une adolescence quasi interminable, asexuée et culturellement indistincte. Les lignes rouges de l’Etat islamique mettent radicalement fin à tout cela par la violence spectaculaire et ses adhérents à l’étranger perçoivent ce bouleversement comme une libération de leurs chaînes personnelles, mais aussi comme une libération de l’humanité tout entière. »
Ainsi, l’EI porte à la fois une éthique – abominable certes, mais une éthique bien réelle – et un projet à l’échelle du monde. Daesh fait partie intégrante du processus de mondialisation que nous vivons.
Le Mein Kampf de l’Etat islamique
D’ailleurs, les dirigeants de l’EI l’ont bien compris. Ils ont un manifeste qui a été rédigé il y a une dizaine d’années par un certain Abou Bakr Naji qui est un pseudonyme de guerre et qui était au préalable destiné à la branche mésopotamienne d’Al Qaeda qui allait devenir l’Etat Islamique.
Scott Atran en cite les grandes lignes dans son ouvrage. Ce texte dont, semble-t-il, nos « dirigeants » ne tiennent guère compte, contient des dispositions qui expliquent les attentats meurtriers que l’on subit un peu partout en Occident et au Moyen-Orient.
« Les récents massacres à Paris, Ankara, Beyrouth, Bruxelles ou Bamako correspondent exactement à certains des axiomes de ce livre. » Depuis la publication du livre d’Atran, il faut ajouter les massacres de Bagdad, d’Istanbul, de Nice et le meurtre de Saint-Etienne du Rouvray. Et la liste s’allongera certainement.
Une fois de plus, l’aveuglement des élites est ahurissant. Nous nous trouvons dans la même configuration que dans les années 1930-40. En dépit des avertissements de plusieurs observateurs, personne ne prit Mein Kampf au sérieux. Pour reprendre George Orwell, il avait averti ses compatriotes dans son ouvrage reportage sur la guerre d’Espagne Hommage à la Catalogne et le 23 mars 1940, dans sa recension de l’ouvrage d’Hitler, il avait lui aussi disséqué le danger mortel qui pesait sur l’Europe et l’Angleterre en particulier.
Que contient ce manifeste de l’EI ?
1. Frapper des cibles faciles : « Diversifier et élargir les frappes perturbatrices contre l’ennemi croisé-sioniste en tous lieux du monde musulman, et même en dehors, si possible, afin de disperser les efforts de l’alliance ennemie et ainsi l’épuiser au maximum. »
2. Créer la peur dans la population : « Si une station touristique où se rendent les croisés (…) est frappée, toutes les stations touristiques dans tous les Etats du monde devront être protégées par l’envoi de renforts armés deux fois plus important qu’en temps normal, et par une énorme hausse des dépenses. »
3. Le recrutement des combattants de Daesh : « Inciter des groupes issus des masses à partir vers les régions dont nous avons le contrôle, en particulier les jeunes, car les jeunes d’une nation sont plus proches de la nature innée de l’homme du fait que la rébellion qui est en eux… »
4. Entraîner l’Occident dans la guerre : « Dévoilez la faiblesse du pouvoir centralisé de l’Amérique en poussant ce pays à renoncer à la guerre psychologique médiatique et à la guerre par personne interposée, jusqu’à ce qu’ils se battent directement. »
N’est-ce pas exactement ce qu’il se passe ? L’EI frappe partout et surtout n’importe où.
Abou Bakr Al Baghdadi autoproclamé calife n'est-il qu'une marionnette de l'Etat islamique ?
Les médias et la classe politique entretiennent la peur par des mesures aussi spectaculaires qu’inutiles comme la présence de l’armée dans les rues, l’interdiction de manifestations touristiques et folkloriques – la récente et stupide interdiction de la braderie de Lille en est un exemple, avec comme conséquences l’épuisement des forces de l’ordre et de sérieuses perturbations dans l’économie. La saison touristique en France et en Belgique est catastrophique.
Chaque shrapnel des bombes occidentales et russes génère un nouveau combattant pour le djihad.
Daesh, dans sa stratégie, cherche à pousser les Occidentaux à la faute. Et il y arrive ! Un exemple : dans la nuit qui a suivi le massacre de Nice, François Hollande a signalé qu’il allait renforcer les bombardements en Syrie. C’est l’erreur qu’il ne fallait pas commettre !
Par leur manque de stratégie et de vision à moyen et long terme, les Américains et surtout les Européens s’enlisent dans ce conflit qui n’est pas une vraie guerre. Tout cela finira par coûter très cher. Chaque shrapnel des bombes occidentales et russes engendre un nouveau combattant pour le djihad.
Chaque schrapnel de bombes russes ou occidentales génère un nouveau combattant pour le djihad.
Sur le plan géopolitique, l’EI fustige les fameux accords Sykes-Picot de 1916. En effet, comme toujours, dans cette région, si l’on veut comprendre les enjeux, il faut remonter l’histoire.
Les accords entre le diplomate anglais Sykes et le français Picot n’ont pas – contrairement à ce que l’on pense – fixé de frontières Ils ont délimité les zones d’influence des Anglais et des Français.
Selon le principe de « diviser pour régner », les traités qui ont suivi ont découpé l’immense territoire de l’ancien empire ottoman en Etats nations artificiels sur le modèle européen, alors que le défunt empire était transnational et fondé sur l’allégeance religieuse des sujets au sultan-calife d’Istanbul, qu’ils soient turcs, arabes ou kurdes.
Les minorités religieuses chrétiennes et juives étaient reconnues par l’empire et vivaient sous le régime dit des millets, à savoir un statut d’autonomie interne. Les chiites, par contre, étaient persécutés et ne pouvaient être sujets de la Sublime Porte. On voit là se pointer l’origine du conflit actuel entre sunnites et chiites.
Les choses n’étaient pas si paisibles pour autant. En 1860, il y eut le massacre des maronites par les Druzes au Mont-Liban. En conséquence, la France envoya un corps expéditionnaire et les puissances européennes ont imposé un statut spécial pour les chrétiens maronites libanais. Le Mont-Liban a été placé sous influence française dans les accords Sykes-Picot.
Les accords Sykes Picot de 1916 qui ont déterminé les zones d'influence des Anglais et des Français sur les débris de l'empire ottoman.
Le royaume arabe fut réduit à un bout de désert.
Au déclenchement de la Première guerre mondiale, l’empire ottoman s’allia avec l’Allemagne. Les Anglais par l’intermédiaire du Chérif Hussein de la Mecque (Chérif désigne un descendant du Prophète. Hussein était un Hachémite, famille descendante de Muhammad) incitèrent alors les Arabes à se révolter et leur promirent un royaume. C’est le fils de Hussein, Faycal, qui dirigea la révolte avec l’aide du fameux Thomas Edward Lawrence.
On connaît la suite. La promesse ne fut guère tenue. En 1917, le royaume arabe garanti n’est plus qu’un bout de désert. Les Hachémites perdirent le contrôle de La Mecque qui passa aux Saoudiens et eurent en compensation un nouveau territoire appelé le royaume de Transjordanie qui comprenait la Jordanie actuelle et Jérusalem. La promesse a donc été trahie ! La Palestine, elle, était sous mandat britannique avec en outre l’installation progressive du Foyer national juif promis par Balfour en 1917.
En plus, les Français ayant créé le Liban et la Syrie sur le modèle de l’Etat-nation, les Anglais fondèrent l’Irak contre l’avis de TE Lawrence qui, ne l’oublions pas, était anthropologue.
Thomas Edward Lawrence et le roi Abdallah Ier de Transjordanie (à gauche) à la réception d'un représentant de la communauté juive d'Angleterre à Jérusalem en 1917 en vue de confirmer la déclaration Balfour.
La « nation » irakienne était purement artificielle et a été imposée par les Anglais. Au départ, l’Irak était composé des anciens wilayets de Bagdad et de Bassora qui étaient à 95 % arabes.
« L’Etat irakien s’impose donc au nom de conceptions totalement étrangères à celles de l’immense majorité de la population irakienne. » écrit Pierre-Jean Luizard (Le piège Daech, éd. La Découverte, Paris, 2015).
C’est aussi la naissance de l’arabisme : la nation arabe permet à une minorité confessionnelle (les sunnites en Irak) de s’emparer contre une majorité chiite persécutée. La fondation de l’Irak en 1920 s’inscrit dans le mandat britannique pour servir d’Etat tampon vis-à-vis de la Perse et protéger ainsi la route de l’Inde. La nationalité irakienne n’était accordée qu’aux anciens Ottomans, c’est-à-dire des sunnites puisque les chiites n’étaient pas reconnus par l’ex empire ottoman.
Reste aussi la Transjordanie.
La Transjordanie a été fondée en 1921 et est devenue la Jordanie en 1949 après la fondation de l’Etat d’Israël qui n’a pas réussi à étendre son territoire jusqu’au Jourdain lors de la guerre déclenchée par les Arabes en 1948. Jérusalem a été divisée en deux jusqu’à la guerre des Six jours de 1967.
« Après la conférence du Caire de 1921, le trône sur le territoire transjordanien est en effet accordé au troisième fils du chérif Hussein, Abdallah Ier, sous la surveillance d’un résident britannique. » (Pierre-Jean Luizard, Op. cit.)
Enfin, il y a un troisième pays qui joue un rôle fondamental dans cet imbroglio du Proche-Orient, l’Arabie Saoudite. Ce royaume fondé par Ibn Saoud est lui aussi purement artificiel et a un rôle moteur du fait qu’il est à la fois le gardien des Lieux Saints de l’Islam, la Mecque et Médine et à la fois le principal producteur de pétrole sur le marché mondial. Il diffuse dans le monde une vision rigoriste de l’Islam, le wahhabisme, qui a alimenté les Frères musulmans égyptiens puis tous les mouvements radicaux de l’Islam jusqu’à Daesh aujourd’hui.
Pierre Verhas - 11 août 2016
Prochain article : Daesh la révolution du Proche Orient. Le porte drapeau de l’Islam mondialisé (II)